Le mardi 8 février 2000


La faim des congés scolaires
Pierre Foglia, La Presse

Vous saviez qu'il y a des enfants à Montréal - et dans tout le Québec - qui ne prennent qu'un seul repas par jour: celui qui leur est servi gratuitement à l'école ?

Moi aussi je le savais, mais je n'ai pas fait le rapprochement tout de suite quand la dame m'a dit qu'il faudrait changer les dates de la semaine de relâche.

Elle m'a expliqué.

Dans la grande région de Montréal la semaine de relâche scolaire commencera le lundi 28 février pour se terminer le dimanche 5 mars (1). Les chèques d'aide sociale arriveront dans les familles défavorisées le mercredi premier mars. Comme les enfants seront en congé scolaire, ils ne mangeront pas à l'école le lundi et le mardi, et comme il n'y aura plus rien à manger à la maisons parce que c'est la fin du mois, ils ne mangeront pas non plus à la maison ces deux jours-là. En fait, plusieurs n'auront rien mangé depuis le vendredi soir, dernier jour de l'école. Quatre jours. D'où la proposition de reporter la semaine de relâche après l'arrivée du chèque d'aide sociale.

Des 76 000 enfants de la commission scolaire de Montréal, 71 % se prévalent du repas gratuit. Nous savons que pour un certain nombre d'entre eux ce sera le seul repas qu'ils prendront dans la journée. Vous le savez. Je le sais. Mais comment dire ? Il y a plein de choses comme celles-là qu'on ne sait pas avec notre coeur. Même pas avec notre tête. Avec notre cul, si vous me permettez, parce qu'on est assis dessus. On a oublié. Cela resurgit par la bande d'un aménagement d'horaire pour un congé scolaire, une question nous traverse fugitivement l'esprit: comment font ces enfants-là les samedis, les dimanches et pendant les vacances ? Mais on oublie encore.

L'indignation est un ressort qui ne se détend pas quand on est assis dessus avec notre gros cul.

(1) Dans l'est du Québec, incluant Québec, la semaine de relâche scolaire s'étend du 6 au 12 mars... exemple que suivra sûrement la commission scolaire de Montréal pour 2001.

TOUS DES SKIEURS ET DES CONS ? - Jörg Haider, un jeune fascîste autrichien, accède démocratiquement au pouvoir et voilà le monde entier qui déclare la démocratie autrichienne en danger. Va falloir m'expliquer des choses. C'est que je ne comprends plus rien à la démocratie, moi. N'est-ce pas la loi du nombre ? Les citoyens votent librement, on compte les bulletins, et voilà. C'est pas comme ça ? Faudra-t-il envoyer dans des camps de rééducation démocratique les 27 % d'Autrichiens qui ont voté pour Haider ?

Je veux bien que l'on s'inquiète pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales et pour tous les grands principes de l'État de droit, mais il va falloir m'expliquer en quoi les 27 % d'Autrichiens qui ont voté pour Jörg Haider constituent une plus grande menace pour le monde que les 20 % de Français qui ont voté pour Le Pen en France. Ou une plus grande menace que les néo-nazis belges, hollandais, anglais, américains. M'expliquer en quoi 27 % des Autrichiens font de l'Autriche, un pays sans maturité politique prêt à basculer à tout moment dans le nazisme. Les 73 % d'Autrichiens qui restent, les 73 % qui n'ont pas voté pour Haider ce sont tous des skieurs et des cons ou quoi ?

Il faudra m'expliquer aussi pourquoi on n'arrête pas de rappeler que Hitler était d'origine autrichienne. Mozart aussi. Freud aussi. Et Musil. Et Sweig. Et mon ami Hermann journaliste sportif à Vienne. Je lui ai envoyé un courrier. Hé? Hermann, vieux nazi pourri, t'as voté pour Haider ?

No, m'a-t-il répondu, no but if you piss me of some more I will.

LES MONONCLES - Celle-là je la retiens depuis la mi-décembre. Le Club de la médaille d'or à choisi la golfeuse Marie-Josée Rouleau comme l'athlète professionnelle de la dernière décennie! Faut le faire! Dans une période où il n'y a jamais eu autant d'athlètes d'exception au Québec - pensez à Caroline Brunet, Myriarn Bédard, Annie Pelletier, Rosie Edeh, Sylvie Fréchette - ces zoufs-là ont trouvé le moyen de nommer « athlète de la décennie, DE LA DÉCENNIE! » une golfeuse qui n'a encore rien gagné d'autre que le droit de jouer dans la LPGA !

Ces petits mononcles de la chose sportive justifient leur choix en distinguant entre professionnelleS et amateurS, comme si ce n'était pas une distinction purement académique, comme si traiter Caroline Brunet d'amateur n'avait pas quelque chose de péjoratif, comme si Caroline faisait autre chose dans la vie que s'entraîner. Au fait quelles étaient donc les autres soi-disant professionnelles en lice ? Manon Rhéaume ?

Au fait, qu'est-ce donc que le Club de la médaille d'or ? Quelque chose comme les Chevaliers de Colomb du sport ?

LA CHÈVRE DE M. MARÉCHAL -Vous vous rappelez ce jeu qui consiste à composer des phrases qui ne veulent rien dire, à partir de listes de mots qui ne veulent rien dire non plus à force de vouloir en dire trop ? Des mots comme organisationnel, comme processus, comme pluridisciplinarité, comme contingentaire...

En faisant le ménage de son tiroir, une collègue journaliste a trouvé cette lettre que lui adressait, il y a un peu plus d'un an, un jeune cadre dynamique: « J'ai le plaisir de vous informer que je me suis récemment joint au Groupe Secor à titre de directeur au sein de l'unité stratégie qui se spécialise dans la conduite de mandats de planification ainsi que de transformation organisationnelle en plus d'offrir des services d'analyse stratégique et d'intelligence de marché dans le cadre d'acquisitions ou de

désinvestissements. » Aux dernières nouvelles, le jeune cadre était en poste à Paris pour la même compagnie, toujours dans le secteur de la stratégie de la planification et de la transformation organisationnelle.

C'est sa maman qui doit être contente.

Ça me rappelle une histoire. Quand j'étais petit j'avais une voisine, madame Maréchal qui avait un fils qui faisait de la prospective à l'institut national de la statistique, à Paris.

- Et qu'est-ce que c'est de la prospective madame Maréchal ?

- Eh ben j'en sais rien, qu'elle nous disait en écartant les mains. On voyait que ça la contrariait d'avoir un fils qui faisait des choses qu'elle comprenait pas c'était quoi.

Un beau jour toute la rue a su que le fils de madame Maréchal avait quitté son institut pour aller élever des chèvres dans le Tarn-et-Garonne.

- Eh ben au moins, maintenant, je sais ce qu'il fait, disait la brave dame, ajoutant avec un brin de philosophie: Et lui aussi !