Le jeudi 17 février 2000


La business de la détresse
Pierre Foglia, La Presse

Je dis toujours la même chose quand je parle de la Direction de la protection de la jeunesse. Je dis : c'est très très bien la DPJ, mais... Un « MAIS » qui grossit de fois en fois, chargé de plus en plus de doutes...

Avez-vous vu l'annonce de la DPJ à la télé ? Ce petit garçon au visage tuméfié dont le nez s'allonge comme celui de Pinocchio? Comment ne pas penser que si son nez s'allonge, c'est parce qu'il ment ? Même perplexité autour de moi. « Bizarre » est le mot qui revient le plus souvent. Quelqu'un a fini par risquer une explication: c'est un message pour dire que les enfants battus mentent pour protéger leurs parents. Heureusement que la DPJ est là...

Dieu que cela est tordu et maladroit. Et terriblement contre-productif. À évoquer le mensonge avec ce nez qui s'allonge, on nous fait penser aux vraies fabulations des enfants, si tant est qu'on puisse fabuler pour de vrai. Des fabulations qui ont déjà ruiné la réputation, la carrière, la vie de quelques profs..

Au-delà de la maladresse, une question plus générale: la DPJ a-t-elle vraiment besoin de se montrer à la télé ? De faire des pubs de morale publique ? Quand je pense à ce que la DPJ fait de mieux, quand je prends la défense de la DPJ devant des lecteurs qui ont à s'en plaindre, je souligne son rôle indispensable de médiation dans un monde où justement il y a de moins en moins de médiation. Je vante sa capacité à trouver les meilleures ressources dans l'intérêt des enfants maganés. Une pub comme celle qu'on voit en ce moment à la télé dit exactement le contraire: elle annonce une organisation dans la business de la détresse qui organise des battues pour ramasser les enfants maganés comme le Père du meuble ramasse vos vieux frigos...

C'est très très bien la DPJ, mais... mais des fois je me demande si elle est menée par une bande de mémères charismatiques, ou pire, par des technocrates qui font carrière dans le dolorisme.

Dix-huit ans de scolaritée - Appelons-le Pascal. Il est enseignant, il a 18 ans de scolarité, et il n'est pas d'accord avec Mme Francine Boulet qui est enseignante aussi. La chicane porte sur l'équité salariale. Mme Boulet milite pour que les profs les plus scolarisés soient les mieux payés. Elle présume qu'ils délivrent un meilleur enseignement. Ce que j'en pense ? Rien. De toute façon, ce n'est pas mon sujet... Cessez de m'interrompre, laissez-moi finir de vous exposer la chose, vous allez tout comprendre.

La CEQ, le syndicat des profs, ne partage pas la conception de l'équité salariale de Mme Boulet. Sur son site Internet, Mme Boulet reçoit des courriels de syndiqués qui lui font part de leur désaccord. C'est du courriel de Pascal dont je vais parler ici, - Pascal qui trouve que 18 ans de scolarité, c'est bien assez.

Sauf qu'il écrit « scolaritée » avec un « e ». «Aujourd'hui, dit-il, les nouveaux enselgnants arrivent dans le système avec 17 ans de scolaritée. L'objectif de la scolarisation donc atteint. » Avec un « E » à scolarité, rien n'est moins certain. Une simple faute de frappe ? J'y ai pensé aussi, sauf que plus loin, Pascal écrit aussi:
- l'equitté salariale
- du point de vue salariale
- la mécanique d'affection
(pour affectation)
- des cours qui ne donne rien
- le niveau salariale
- les plus scolarisés en profiterons...
Je ne parle pas des accents manquants presque partout, des barbarismes et autres peccadilles. La lettre se termine sur un impétueux coup de clairon: « Encourageons la compétence ! »

Yeeessss, comme dit ma petite voisine en fermant son petit poing.

Dix-huit ans de scolaritée. C'est mon meilleur titre depuis longtemps. Ce « e » de trop, une lettre qui vaut mille maux, les mille maux de l'école d'aujourd'hui.

Good ! - L'Irak revient dans l'actualité. Pas de façon spectaculaire, une petite nouvelle de rien du tout. Mais à la lumière de ce que je rapportais il y a un mois dans cette chronique, c'est assez amusant - enfin, amusant, vous me comprenez..

Je vous disais que lors de mon précédent voyage en Irak, il y a deux ans, le type que les Américains détestaient le plus à Bagdad n'était pas Saddam Hussein, mais un Irlandais du nom de Denis Halliday. Il était le coordonateur humanitaire de l'ONU, responsable du programme «pétrole contre nourriture », sans doute le fonctionnaire de l'ONU qui connaissait le mieux la situation sur le terrain. C'est fort de cette connaissance du terrain qu'il dénonçait les sanctions. Je le recite : « Les sanctions se sont révélées un dispositif brutal, inhumain et totalement inutile. Haïr Saddam Hussein ne justifie pas qu'on torture son peuple. En tout cas, aucun article de la charte des Nations unies ne le justifie. »

Les Américains ont eu la peau de Denis Halliday. L'irlandais a été remplacé par un Allemand, Hans von Sponeck. La délégation que j'accompagnais a rencontré von Sponeck à Bagdad, il y a un mois. Il nous a tenu le même discours que Halliday, et même, il en a rajouté: « Il y a maintenant pire que le manque de nourriture, de médicaments, d'eau otable en Irak, nous a-t-il dit. Il y a l'inexprimable: le pourrissement de l'âme d'un peuple. Il y a l'immense fatigue de survivre jour après jour; il y a la fin de l'espoir. »

Devinez quoi ? Les Américains viennent d'avoir la peau de von Sponeck.

La nouvelle est tombée lundi : L'Allemand von Sponeck a demandé à être relevé de son poste d'ici la fin mars après avoir fait l'objet de pressions en ce sens de Washington et Londres. « J'ai perdu espoir quant à une amélioration des conditions de vie de la population irakienne », a-t-il déclaré en annonçant sa décision.

Invité à commenter le départ de l'Allemand, James Rubin, porte-parole du département d'État à Washington, a simplement déclaré: « Good ! »...

En sortant de la conférence musclée que nous avait donnée von Sponek à l'hôtel Canal, il y a un mois de cela, j'avais dit à mes amis de la délégation: « Lui, ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver! » Prophétique observation qui a été reprise dans Le Monde diplomatique, sous la plume militants de son rédacteur en chef Ignacio Ramonet: « Les États-Unis mènent le monde comme aucun empire ne l'a encore fait dans l'histoire de l'humanité. »

Cout'donc, Ignacio, tu pourrais citer tes sources...