Le mardi 14 mars 2000


Red Light
Pierre Foglia, La Presse

Comment saurais-je s'il faut, ou non, déjudiciariser la prostitution ? C'est pas tellement un sujet qui me concerne. Il n'y a pas de prostituées à Saint-Armand. Enfin pas dans ma cour.

Sur le petit chemin boisé qui mène à la maison je n'ai jamais trouvé de seringues, ni de condoms. Je ne me fais jamais réveiller la nuit par une fille qui crie parce qu'un client est parti sans payer, ou parce que son dealer est en train de la battre. Il n'y a pas d'autos qui passent sans arrêt en donnant des petits coups de klaxon. Quand ma fiancée va prendre une marche jamais personne ne lui demande combien elle charge pour faire une pipe.

Fait que je peux bien vous dire que je suis pour la déjudiciarisation de la prostitution dans le centre-sud de Montréal, mais bon, je ne vis pas là, moi.

Marie vit là. Rue du Havre, entre Rouen et Hochelaga. Face au parc, dans un petit appartement avec sa fille de trois ans. Marie se fait demander combien pour une pipe quand elle va chercher une pinte de lait au dépanneur. Sa soeur, enceinte de sept mois s'est fait écoeurer l'été dernier. Marie trouve des seringues et des condoms sous ses marches. Marie est contre le projet de déjudiciarisation de la prostitution dans son quartier.

Contre le projet pilote de la ville que l'on discute publiquement aujourd'hui dans le quartier Sainte-Marie. Projet pilote qui devrait débuter en juin. Si ça marche, si d'ici là il n'y a pas trop d'opposition des résidants et des commerçants, les prostituées du centre-sud ne seront plus systématiquement embarquées par les policiers. Sur le territoire couvert par les postes de quartier 21 et 22 on tentera de résoudre les problèmes de prostitution par la médiation. Ce que cela signifie ? On ne sait pas trop. On nous dit que chaque fois qu'on enregistrera une plainte, chaque fois qu'un citoyen appellera le 911 pour dénoncer des filles qui racolent devant sa porte, ou font du tapage, ou consomment de la dope, une équipe formée d'un travailleur de rue et d'un policier sera immédiatement envoyée sur place. On essaiera de trouver des solutions, des ressources. De conclure des ententes.

Marie qui a déjà fait la pute dans une autre vie n'en revient pas de la naïveté du projet pilote. « En apprenant cela, les filles vont arriver par avion ! De Halifax, de Toronto, de Calgary. C'est comme promettre le paradis aux pimps: les filles pourront travailler en paix, finies les arrestations, les pertes de temps et d'argent. C'est juste ça qu'ils veulent. »

Marie a signé la pétition qui circule dans le quartier. « C'est insultant. Pourquoi notre quartier devrait-il devenir le Red Light de toute la ville ? Pourquoi le projet pilote ne s'étend-il pas au centre-ouest, à la Petite Bourgogne où il y a aussi de la prostitution ? »

Marie dit aussi qu'à 16 ans, quand c'est pas drôle à la maison, quand tu réçois des claques, quand tu fugues souvent, quand ton estime de toi est toute dans ton cul, la porte de sortie c'est la prostitution...

- Quel rapport avec la déjudiciarisation ?

- Tu hésites moins longtemps lorsque c'est toléré, et lorsque ça se passe dans ta rue, t'as moins loin à aller.

Au Centre d'éducation et d'action des femmes du Centre-Sud on serait plutôt en faveur du projet pilote. On évalue que la prostitution dans le quartier est une prostitution « de fin de mois », que la répression ne changera rien, qu'il faut aider ces jeunes femmes, souvent des adolescentes mères d'un enfant, à s'en sortir économiquement, leur apporter des soins, de l'information. Le centre regrette quand même, comme Marie, que le projet se limite à deux quartiers, on craint, sans le dire ouvertement, que des réseaux plus organisés profitent du projet pour s'installer dans le quartier.

À STELLA, l'organisme qui milite pour la défense des droits des travailleuses du sexe, on est évidemment pour le projet, pour la déjudiciarisation, pour l'approche « travailleurs de rue » qui mettrait fin à la répression policière. À STELLA on redoute une nonvelle chasse aux sorcières - à coup de bâton de baseball - comme il y en a eu une au coin Fullum et Dufresne en juin 93.

De fait, hier, les commerçants ont commencé à se plaindre. À dire, en conférence de presse, ça va être épouvantable toutes ces putains devant notre porte.

Moi, comme je vous disais au début, je sais pas trop quoi en penser. Je crois que c'est Marie qui a raison, c'est un projet pilote pour faire un quartier Red Light ! Mais je n'ai pas envie de le crier trop fort pour ne pas faire plaisir aux commerçants. J'aime pas beaucoup les commerçants. Peut-être que vous aviez déjà remarqué.

À Calcutta, il y une rue minable, Wallasey Road, avec un hôtel minable, Wallasey Hotel. Devant la porte, assise sur une chaise, il y avait une putain hindoue presque noire de peau. Elle était assez âgée. Elle avait les cheveux luisants de la graisse de serpent qu'elle mettait dedans (c'était peut-être pas de la graisse de serpent je dis ça à peu près). À part elle, l'hôtel était plein de jeunes chrétiens européens, surtout des Allemands, qui venaient travailler quelques mois pour mère Teresa. Il y en avait qui voulaient que la putain parte parce qu'ils disaient qu'elle faisait du bruit la nuit. Et c'était vrai, des fois des clients ivres la battaient. D'autres voulaient qu'elle reste. On m'avait demandé mon avis. J'avais suggéré qu'on la paie - à la gang ça ne nous aurait presque rien coûté, quelques roupies - pour qu'elle ne travaille plus, comme ça elle n'aurait plus fait de bruit la nuit. Je me souviens que quelqu'un avait dit OK, mais pour le même prix on lui fait laver notre linge.

Voyez, c'est pas les projets pilotes qui manquent pour les putes. Celui-là, d'en faire une mère, n'était pas si bête non plus.

MOCHA - Suite à mon appel à tous de samedi, j'ai reçu des millions de prénoms pour la petite chatte qui avait la queue prise dans la glace. C'est fou. C'est fou ce que vous aimez les animaux. Et moi donc! Eh bien savez-vous quoi ? il paraît que d'aimer les animaux comme nous les aimons est un signe de névrose... Quelques chasseurs, qui donnaient dans la psychologie de cuisine, nous ont traités l'autre soir à Télé Québec d'anthropomorphiques-hystériques et je fus bien déçu de reconnaître dans nos censeurs une sorcière pour qui j'avais quelque estime et que je trouve bien imprudente de s'ériger en professeur d'équilibre...

Anyway. Boucane, Quenouille, Glaçon, Loreena (Bobbit, ah ah !) Popsicle, Nénette, c'est pas les bonnes idées qui manquent, mais c'est Mocha qui a gagné. Mocha. Paraît qu'en espagnol ça veut dire ébouriffé. Merci.