Le jeudi 30 mars 2000


Les bons sentiments
Pierre Foglia, La Presse

Vive réaction à la chronique sur Bithi, cette jeune fille du Bangladesh dont je racontais l'histoire samedi. Vive réaction à mon endroit, en tout cas, on m'a trouvé très « PC » dans cette affaire. PC veut habituellement dire politically correct, mais ici, j'ai nettement le sentiment que cela veut dire aussi petit con. Bon.

Rappel en deux mots. Se disant victime de violence conjugale, et menacée de mort par son mari, Bithi a demandé le statut de réfugiée au Canada. Il lui a été refusé. Les flics de l'immigration n'ayant pas cru son histoire.

Depuis deux ans, de délais en recours de toute nature, d'appels en révisions, Bithi est soutenue et défendue par des gens, notamment les bénévoles du Comité d'aide aux réfugiés, qui ont tout fait pour retarder son expulsion.

Vendredi, j'étais en train de rédiger une chronique prenant fait et cause pour Bithi quand est arrivée des États-Unis la preuve qu'elle avait menti. J'ai vitement retitré mon texte: Bithi a menti.

Elle a menti et puis après ? M'ont lancé plusieurs lecteurs en colère. Surtout des immigrants. Êtes-vous déjà allé au Bangladesh, M. Foglia ? Vous ne mentiriez pas, vous, pour vous sortir de la misère ? On dirait que vous êtes content qu'elle ne puisse pas embarquer dans la même chaloupe que vous, vous aussi vous êtes un immigrant, non?

Bande de petits nonos. Évidemment que je me contrecrisse qu'elle ait menti ou pas. Évidemment qu'elle resterait au Canada s'il n'en tenait qu'à moi. Ça fait deux ans qu'elle vit ici, petite musulmane émerveillée des communes libertés qu'elle peut se permettre chez nous, par exemple, habiter seule dans un appartement. Elle s'est même donné la peine d'apprendre cinq mots de français - juste cinq mots, mais c'est tout de même bien cinq de plus que Shayne Corson. Petite souris dans son trou, elle ne dérange absolument personne, c'est à peine si elle se donne le droit de respirer.

Mais tout cela n'a rien voir. Dans ce genre d'histoire il ne sert à rien de faire brailler. Il faut prendre le règlement en défaut. Gagner dans le prétoire. Les bons sentiments sont inutiles, sans ajouter qu'ils n'engagent à rien. Vous êtes quelques joyeux tôtons à m'avoir dit qu'on devrait ouvrir complètement les frontières. Ben tiens ! Et nous deviendrons tous citoyens du monde! Quel âge avez-vous donc ? 12 ans et demi ?

Ce qui est vrai, c'est que le Canada pourrait accueillir beaucoup plus de réfugiés. Le Canada est loin, dans les faits, de soutenir sa réputation de grande nation humanitaire. Mais là n'est pas la question, quelle que soit l'ouverture, il y aura toujours des conditions, des lois, des règlements, des enquêtes, des soupçons. Ce n'est pas une affaire de coeur. Les bénévoles qui ont défendu Bithi l'on fait avec leur coeur, oui bien sûr, parce que ce sont des gens de coeur, mais ils ont surtout plaidé que Bithi disait la vérité. Ils n'avaient pas le choix. « C'est une bonne petite fille qui essaie de se sortir de la misère », m'écrivez-vous. Sans doute. Mais c'est pas un argument pour aller à la guerre. Elle ment, disent les flics de l'immigration. Il fallait leur prouver le contraire. C'était ça la game. Et non pas, comme une lectrice l'a fait avec moi, de chanter l'Hymne à la joie. Les officiers de l'immigration canadienne n'ont absolument rien à foutre des peuples des cités lointaines qui rayonnent chaque soir et sentent leurs âmes pleines d'un ardent et noble espoir. Y'ont tu un visa ou y'en n'ont plas ?

Ce que vous n'avez pas mesuré, c'est que, vendredi midi, quand la preuve est sortie que Bithi avait menti, c'est tout le réseau communautaire de solidarité autour des réfugiés qui a mangé la claque. Avec quelle assurance pensez-vous, les bénévoles du Comité d'aide aux réfugiés vont défendre les prochains cas litigieux ? Avec quel petit sourire, pensez-vous, les flics de l'immigration, vont les regarder venir ? Ah oui, vous avez la preuve ? Comme pour Bithi ?

Pour ce qui me regarde plus directement, il s'en est fallu de quelques heures que j'écrive une chronique complètement fausse. Oh! j'aurais survécu. Ce ne serait pas ma première fausse chronique, et vous ne me l'avez pas envoyé dire d'ailleurs. Sauf que j'ai compté tout à l'heure, en 99 j'ai écrit 14 chroniques sur l'immigration. J'ignore évidemment quel impact elles ont eu, mais si je m'étais planté vendredi, je peux vous dire quel impact aurait eu la prochaine: nada. Niente.

Brave petite fille, dites-vous. Je sais pas. Elle vit ici depuis deux ans. Deux semaines je comprendrais qu'elle ne comprenne pas. Mais deux ans ? Assez long pour amortir le choc culturel. Pour comprendre qui sont ses amis. Et leur faire confiance. Brave petite fille ? Je sais pas.

Bithi est incarcérée depuis mardi à la prison spéciale de l'immigration, à Laval. Ce matin, un arbitre doit rendre une décision sur sa remise en liberté en attendant son retour au Bangladesh, imminent.

MARCI BIEN - Strictement aucun rapport avec ce qui précède sauf que c'est aussi dans mon courrier, vous avez été très très nombreux à me renseigner sur « bretter ». Je me demandais à haute voix d'où venait le mot bretter et d'un seul élan vous êtes tous allés voir dans le dictionnaire pour trouver le vieux sens de bretter, ferrailler, bretter avec une brette qui est une épée.

C'est gentil à vous d'être aller voir dans le dictionnaire. Peut-être ne vous l'ai-je jamais dit, mais j'en ai un aussi, un dictionnaire. J'suis pas un tout nu. Et de toute façon je connaissais et j'emploie parfois bretter dans ce sens-là « d'en découdre ».

Sauf que si vous me permettez de vous engueuler encore un peu, je ne vois pas le rapport. Je ne vois pas comment - de ferrailler, se battre, se piquer - bretter se serait altéré en traversant l'Atlantique au point de signifier son contraire ou presque, puisque dans son sens commun québécois bretter signifie perdre son temps, se pogner le cul. Vous me suivez ? Bon, alors, sacrement, y'a-t-il un pure laine dans la salle qui pourrait m'éclairer?

Marci bien comme disait Jerry.

TRÈS IMPORTANT - La semaine prochaine, je suis en vacances. Yessss. Je m'en vais faire du vélo dans le Rhode Island. Je vais sûrement vous en reparler dans ma chronique de samedi, mais au cas où j'oublierais samedi, un truc très important: si Quebecor achète Vidéotron pendant que je suis pas là, appelez-moi pas, OK ? Ce serait trop d'émotion.