Le jeudi 27 avril 2000


Meutriers insouciants
Pierre Foglia, La Presse

D'où sortent tous ces chauffards ? Celui-là percute une ambulance dans les Hautes-Laurentides, deux morts. Délit de fuite à Pointe-Claire, deux jeunes filles tuées.

Ce ne sont pas des accidents. Ce sont des meurtres de cons insouciants. Le con en état d'ébriété pose un pied léger sur l'existence... des autres ! Conduire paqueté ? No problemo. Regardez-le aller. Pas un fou. Il sait qu'îl est paqueté. Il va faire très attention, c'est tout. N'oubliera pas de mettre ses clignotants pour tourner. Ne roulera pas trop vite. Bien dans sa ligne. En fait, il conduit mieux soûl qu'à jeun. En parfait contrôle. Relax. Il chantonne, pom, pom, pom ... Il peut même aller un peu plus vite s'il veut ...

Boum. Deux morts.

La violence faite aux enfants, aux femmes, aux vieux, aux malades, la violence avec une arme à feu, la violence à la télévision, la violence psychologique, même la violence verbale, la société s'indigne et se mobilise contre toutes les formes de violence sauf contre celle du con au volant en état d'ébriété. J'imagine que c'est parce que c'est une connerie trop bien partagée. Qui peut se vanter de n'avoir jamais pris le volant un peu chaud ? Même moi qui ne bois pas, cela a bien dû m'arriver une ou deux fois.

Les campagnes contre l'alcool au volant sont de plus en plus culpabilisantes, les peines pour conduite avec facultés affaiblies de plus en plus lourdes, mais comment dire, dans ce monde de petits moteurs, dans cet univers du vroum-vroum roi, tuer avec une auto, n'est toujours pas ressenti comme un VRAI crime. Les peines sont de plus en plus exemplaires, mais en même temps, le type qu'on va condamner à dix ans de prison ou plus, est lâché lousse dans la nature en attendant son procès. Bien sûr, il n'a pas le droit de conduire. Ni de fréquenter les bars, mais allez donc y voir...

Je connais un monsieur dont le fils de 17 ans a été tué le 22 janvier 1999 par un chauffard. Reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies (0,24 d'alcool dans le sang) le chauffard devrait recevoir sa sentence le 1er juin prochain. Cela fait donc quinze mois qu'il est en liberté. Il fréquente la même-brasserie qu'avant, se beurre la face aussi régulièrement qu'avant (même s'il vient de suivre deux cures de désintoxication). Pire, il continue de conduire, sans permis. Tout cela au su de la famille du jeune homme qui a été tué, puisque cela se passe dans un coin de banlieue où tout le monde connaît tout le monde.

Soit disant pour protéger la société, on met en prison des vendeurs de drogue qui ne forcent personne à acheter leur merde, mais on lâche lousse sur les routes un irrépressible connard qui, malgré l'interdiction qui lui en a été faite, reprend, paqueté, le volant du putain de char avec lequel il a déjà tué quelqu'un.

Un voisin donne deux taloches à son fils, toute la rue appelle la DPJ. À la fin d'une soirée un copain complètement gueurlot monte dans sa voiture pour rentrer chez lui, et personne ne dit un mot.

Cela dit, je ne crois pas tellement à l'efficacité des peines exemplaires. Condamner un chauffard ivrogne à la prison à vie ne changera rien sur les routes. Ce qui peut faire changer les choses c'est plein de petits trucs. Comme bousculer son chum dans le parking, bougre de morron, donne tes clefs c'est moi qui te ramène à la maison. Comme le serveur de la brasserie qui refuserait de servir l'autre crétin: Ça te sulffit pas d'avoir déjà tué quelqu'un ? Comme aussi un nouvel article du code de la route qui rappellerait que dans la voiture qui s'en vient il y a des gens avec des enfants et un chien. Et que ce serait drôlement bien si la seconde d'après, dans la voiture qui s'en va, il y a encore des gens, des enfants et un chien.

IL ÉTAIT TEMPS - Il y a des histoires qui durent trop longtemps. Celle du petit Elian Gonzalez n'en finit plus d'irriter. Tous les jours ces cris, ces larmes, ces femmes qui s'arrachent les cheveux, qui se tordent les mains, tout ce cinéma grandiloquent, mine de rien, ça fait 40 ans que ça dure.

Voilà près de 40 ans que Washington chouchoute les 800 000 exilés Cubains de Miami. Au départ, une autre brillante idée de John Kennedy (une autre, parce que rappelez-vous, c'est lui aussi qui a eu l'idée du Vietnam). Bref, pour consoler « ses » Cubains du débarquement manqué de la Baie des Cochons, John Kennedy leur a mitonné un programme d'aide très spécial, 2,1 milliards de 1962 à 1976 (1), c'est assez dire que la réussite économique tant vantée des Cubains de Miami - 25 000 entreprises (essentiellement familiales), trois chaînes de télé, dix radios privées, 1650 médecins, 600 avocats - n'est pas le seul fait de leur « dynamisme naturel ».

En remerciement, les Cubains de Miami n'ont cessé de faire chanter Washington (par le biais des contributions aux caisses électorales, principalement celle des républicains), forçant le maintien de l'embargo et poussant l'anticastrisme à un point de totale hystérie. C'est ainsi que Cuba est devenu une question de politique intérieure pour les Etats-Unis puisque toute décision concernant Cuba doit d'abord recevoir l'aval des Cubains à Miami.

Et non contents de faire chanter Washington, pour achever d'être vraiment très désagréables, ils font chanter aussi Gloria Estefan.

L'intervention commandée par la ministre de la Justice Janet Reno arrive comme une tape sur les fesses d'un enfant trop gâté. La première en 40 ans. il était plus que temps.

LES QUATRE VÉRITÉS D'UN MATIN À LA CAMPAGNE - Ce matin, un renard est passé sous ma fenêtre. Il trottinait, altier et droit. Vite, les minous venez voir... La chatte pas-de-queue ouvrait des grands yeux, Toto Bine l'a pris pour le chien du voisin et s'est mis à grogner. Le renard s'est éloigné sans tourner la tête, comme un avion passe un nuage.

Inventez-vous des histoires des fois, m'a demandé le physicien que j'avais en entrevue l'autre jour. Pourquoi j'inventerais un renard ? Je m'en vanterais plutôt.

Ce matin aussi le champ de chicots de blé d'Inde était tout blanc. Non pas de la neige. Des oies. Des milliers.

Ce matin encore en revenant d'aller chercher La Presse, dans le cimetière du lieudit Pigeon Hill, des chevreuils. Je les ai comptés. Si je dis 23, qui va me croire ?

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(1) Miami, City of the Future, T.D. Allman, Atlantic Press