Le mardi 2 mai 2000


L'éthique et les tics
Pierre Foglia, La Presse

Étalée sur deux soirs, la fin de La fin du monde est à sept heures s'est terminée plutôt platement jeudi et vendredi soir derniers, vendredi surtout; rarement Labrèche et ses petits copains ont été aussi drabes ; si c'était pour qu on regrette moins de les voir partir, c'est raté aussi. Je m'ennuie déjà. Je les écoutais,en reprise à 22 heures, bien obligé parfois de zapper vers le téléjournal, mais, entre Bureau et Blanchet, ça n'a jamais été un match, c'est 123-0 pour Blanchet.

Je le dis sans rire, j'ai pour mes confrères journalistes de l'affection, du respect et souvent même de l'admiration, mais qu'est-ce qu'ils peuvent me faire chier toute la gang quand ils se mettent à ergoter en « professionnaleux », comme des docteurs ou des avocats, sur l'éthique du métier. Et les tics, donc ?

Ils se sont posé un million de fois la question en se grattant le menton: est-ce que La fin du monde c'est de l'information ou de l'humour ?

On s'en crisse-tu madame Chose.

Où commence le show dans l'informatin ? Ne parlons pas de La fin du monde, ni des reality show ou de Jerry Springer, parlons de ce qu'est devenu 60 Minutes, de nos émissions d'affaires publiques, des chroniques et des éditoriaux. C'est quoi un bon texte ? Le style c'est pas du show ? Ah non ? Anyway. J'ai eu honte un peu quand la profession qui distribue des cartes de presse à quelques putes notoires a refusé d'en donner à Dufort, Maréchal et Masbourian. J'aurais bien brûlé la mienne pour protester, mats je l'avais perdue, je la perds tout le temps, heureusement que ça sert à rien.

Quand j'entends que La fin du monde n'avait pas de contenu, je hurle. Le contenu n'est pas seulement le commentaire éclairé de l'actualité. La création, l'invention, le talent c'est aussi du contenu, et un contenu d'autant plus précieux qu'il est rare. Pour trouver un équivalent à Bruno Blanchet il faut chercher du côté des collages surréalistes d'un Max Ernst (La Femme 100 tête), du côté de Robert Desnos (Une fourmi de 18 mètres avec un chapeau sur la tête), du côté de Benchley (Comment devenir fou). Non, on n'est pas dans l'actualité. On est ailleurs.

Le truc de La fin du monde c'est pas qu'elle était à sept heures. C'est qu'elle était ailleurs. Mais en réalité y'en avait pas de truc. Y'en a jamais. Y'a du talent et du travail ou y'en a pas. La meilleure émission de télé au Québec avait fait son nid sur le réseau le plus cheapo et le plus nul de notre télé, ça veut dire fuck le contenant, fuck l'argent, ça veut dire qu'avec du talent et du travail tout est possible.

À part ça ce n'est pas tout à fait vrai que La fin du monde est à sept heures est finie. Elle se prolonge (en esprit du moins) à la radio, jusqu'au 16 juin, à l'émission Macadam tribus où sévit Philippe Laguë, un autre génial débile de la même race que Blanchet (ils ont d'ailleurs déjà été copains), je vous recommande en particulier les fausses annonces de bière de Laguë, « celle qui se boit ». Voilà. Et ne me demandez pas si c'est de l'information, de l'humour, ou du boudin, je sais pas.

CRIER AU LOUP POUR RIEN - Jean Leloup qui s'appelle en réalité je ne sais plus trop comment, Jean Lachance ou Jean Longchamp, enfin pas un nom d'animal ni rien (même pas Lelièvre) - je le signale par que c'est quand même décevant venant d'un artiste si original d'employer sa grande originalité à ne pas vouloir s'appeler Machin - Jean Leloup que j'aime beaucoup plus que Lara Fabian néanmoins, a écrit, tourné et joué un truc surréaliste d'une heure qui devait être présenté à Radio-Canada en octobre dernier. Et qui ne l'a pas été.

Les fans ne sont pas contents. Ils accusent la direction générale de Radio-Canada de censure. Radio-Canada confirme à moitié: c'est vrai, certaines scènes de Herbert au pays de Kunderwald, c'est le nom de la chose, étaient trop violentes et trop osées pour être diffusées dans le cadre des Beaux Dimanches. Oui des corrections ont été demandées à l'auteur.

Les fans de Leloup sont montés aux barricades, et le site Internet qui lui est consacré fait circuler une pétition contre la censure.

Si vous me permettez une statistique personnelle sur la censure: dans nos contrées, la moitié des cas de censure visent des articles, des films, des pièces de théâtre, des expositions, des installations qui sont complètement nulles avant que d'être sulfureuses. L'un n'empêchant pas l'autre. Ce que je dis, c'est que la moitié des oeuvres censurées dans nos contrées dérangent d'abord par leur nullité. La force de l'adoration mutuelle étant ce qu'elle est dans le milieu des artistes, on trouve très peu de gens capables de dire à un créateur (surtout si c'est le plus « in » de tous) : « Ton truc vaut pas d'la marde, mon vieux. » Pour son ego il est recommandé de lui dire : « Ton propos est un peu trop audacieux pour le téléspectateur moyen. »

Il y aurait dans le film de Leloup une scène de suicide qui revient comme un leitmotiv et qui dérange effectivement les gens de Radio-Canada. Mais de l'aveu même des producteurs (Amérimage Spectra), l'oeuvre avait de toute façon besoin de sérieuses retouches. C'est la raison pour laquelle les journalistes n'ont pas pu voir la cassette: on craignait qu'ils relèvent surtout l'amateurisme de la chose.

Ajoutons que le diffuseur est responsable du contenu, que c'est son rôle de suggérer des corrections, que c'est le processus habituel et normal, qu'il n'y avait donc aucune raison de s'énerver le poil des jambes. Nous verrons probablement la chose l'automne prochain à Radio-Canada. Si le délai entre le brouillon et la copie finale aura été un peu long, c'est seulement que M. Leloup n'est pas là souvent, aux dernières nouvelles il était au Luxembourg, invité spécial de la grande Duchesse, familièrement appelées Zouzoune par ses sujets. J'ai pris cela sur le site Internet consacré à M. Leloup. Vous y trouverez aussi, si vous me permettez, les paroles d'une chanson que j'ai composée exprès pour M. Leloup et dont le refrain va ainsi

am stram gram
pique et pique et colégram
bourre et bourre et ratatam
am stram gram

LA RÉFORME SCOLAIRE - C'est une prof qui parle (dans ma boîte vocale). « J'enseigne dans une polyvalente de banlieue. Nous avons un intercom pour les messages d'intérêt commun. Pour le dernier message d'aujourd'hui vendredi, l'animatrice des loisirs nous a lancé un joyeux: « Bonne fin de semaine à tous et continuez à boire Coca-Cola. »