Le jeudi 25 mai 2000


La vie mon vieux, suite
Pierre Foglia, La Presse

Quand ça fait trente ans que tu chroniques sur la vie, s'il y a un truc que tu sais, c'est bien celui-là: que la vie est redondante. Et conséquemment que les clichés ne sont pas des clichés pour rien.

Exemple d'hyper-cliché: le monde est petit. On connaît toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un, qui... prenez mon nouveau boss. Je ne le connaissais pas du tout avant qu'il arrive à La Presse. Jamais entendu son nom. J'ai appris en même temps que tout le monde, au début de l'année, que M. Landry serait remplacé par M. Guy Crevier.

Qui ?
Guy Crevier.
Ah bon.
Quelques jours plus tard, mon plombier est à la maison en train de zigoner à genoux dans la salle de bain, quand il me lance, bête de même:
M. Foglia, si vous voulez une augmentation, je peux dire un bon mot pour vous...
Comment ça ?
Votre nouveau boss, M. Crevier, c'est mon client aussi.
C'est comme ça que j'ai appris que mon nouveau boss était quasiment mon voisin. Qu'il habitait la maison dite « du vieux Polonais »; qu'une voisine, amie de ma fiancée, fréquente sa mère; que sa soeur a failli acheter la maison où je déménage dans 15 jours; qu'un copain de vélo sous-loue le chalet d'un autre membre de sa famille, et que Luc, le peintre que je pressentais pour de travaux chez nous était déjà pris chez lui, wo les bicyks ! Voilà un monsieur que je ne connaissais pas, jamais entendu parler, jamais vu, et tout d'un coup il est partout !

Mais je reviens à mon plombier, M. Denis Larocque, personnage admirable qui, question jasette, tient plus du barbier que du plombier...
Pis Denis, comment il est mon boss, puisque vous le connaissez ?
Oh! C'est un monsieur qui sait ce qu'il veut!
Mais encore ?
Ben par exemple quand il veut que la ligne d'eau passe là, c'est drette-là, pas à côté !
La ligne d'eau dites-vous ?
Ben oui la ligne d'eau ? Quelque chose qui ne va pas, M. Foglia ?
Non, non. Je pensais à mes lignes de mots que je ne réussis pas toujours à faire passer où je veux. Anyway, qu'est-ce qu'on disait avant de parler de mon boss ? Ah oui, qu'on connaît toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un...

Vous vous rappelez cette récente chronique sur un Français qui s'est fabriqué une fausse identité canadienne en empruntant celle d'un petit garçon qui s'appelait Daniel Thibault, décédé en très bas âge. Le Français avait repéré la tombe du petit Thibault au cimetière du Sault-au-Récollet (sur Henri-Bourassa), s'était présenté au presbytère de l'église voisine, avait demandé un baptistaire au nom de Daniel Thibault, et avec ce baptistaire s'était forgé une nouvelle identité (avec passeport et tout) qu'il avait gardée une vingtaine d'années avant de se faire dénoncer. J'ai donc raconté cette histoire dans le détail et voilà que je reçois ce courrier: C'est avec grand intérêt que j'ai lu votre article sur le faux Daniel Thibault. Figurez-vous que j'ai connu cet enfant, nous étions voisins. Daniel est né en octobre 1950 et est décédé en février 1951, à l'âge de 4 mois. Il avait un jumeau qui lui a survécu. Daniel souffrait d'une malformation au coeur, on le disait un « bébé bleu ». Il a été exposé chez lui. Je me souviens très bien de la scène. J'étais enfant. J'étais très impressionnée par ce bébé dans son cercueil... (Louise)

C'est exactement ce que je vous disais on connaît toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît la belle de Cadix qui a des yeux de velours, tchika tchika aie aie aïe. Si ça se trouve je vous connais aussi. Où votre soeur. Ou alors c'est mon plombier qui vous connaît. Il connaît tout le monde.

LE FRÈRE KARAMAZOV - D'autres nouvelles de mes récentes chroniques. Claude Ledoux, cet employé des Postes qui avait innocemment proféré des menaces en l'air, comme nous en proférons tous, du genre « m'a l'tuer le tabarnak » - a été libéré des accusations de menaces à l'endroit de ses supérieurs qu'on avait portées contre lui.

J'avais raconté les quatre flics qui l'attendaient au travail le lendemain. Les quatre autres qui intimidaient sa femme à son domicile. Cinq jours de prison, libéré sous caution. Bref, on était dans le Kafkaka jusque-là. Pardonnez le jeu de mots d'autant plus gratuit que je ne pense pas à Kafka, mais aux frères Karamazov (Dostoïevski), à celui des quatre frères, Aliocha je crois, en tout cas le plus mystique des quatre qui dit quelque chose comme: « Plus j'aime l'humanité, moins j'aime les individus. » Ce qui ressemble beaucoup au credo des intégristes : « Plus j'aime Allah, moins j'aime mon prochain. » Et ce qui, traduit dans le langage de plus en plus paranoiaque des frileuses démocraties occidentales, donne à peu près ceci: « Plus je m'aime comme victime, plus ça me prend des coupables. »

Ledoux a été libéré, la Couronne n'ayant pas de preuve à montrer. C'est un petit miracle en soi parce que, généralement, quand la machine s'emballe, preuve, pas preuve, elle en fabrique.

BON SANG DE BON SENS - Gaétan Lucier, cet instituteur de Saint-Jean qui avait légèrement serré le bras d'une petite fille en la reconduisant à sa place, a été accusé de violence par la Direction de la protection de la jeunesse. Quand j'ai écrit la chronique, la DPJ n'avait pas encore porté d'accusation, « Mais c'est sûr, écrivais-je à ce moment-là, ils vont l'accuser de quelque chose ». C'est dans la logique mécanique de la machine DPJ, chaque pièce est entraînée par une autre qui à son tour, en entraîne une autre et ça ne peut pas s'arrêter.

Regardez comme tout ça est plein de bon sens. On accuse M. Lucier de violence. Et en même temps on lève sa suspension. M. Lucier a retrouvé ses élèves hier matin, c'était son plus cher désir: prendre sa retraite (après 35 ans de service) debout dans sa classe.

Je l'ai appelé pour lui demander comment il se sentait, il m'a dit je suis désolé, je ne peux pas vous parler.
Comment ça ?
Je n'en ai pas le droit!
Renseignements pris auprès d'un autre prof, M. Lucier aurait signé un papier dans lequel il s'engage à ne plus parler aux médias.
Résumons-nous: on accuse un type d'être violent avec les enfants. Et on fait quoi ? On lui interdit d'approcher les enfants ? Pas du tout. On le réinstalle en lui interdisant de parler aux médias !

Trouvez pas ça comique ? Moi si. C'est pas les enfants qu'on veut sauver, ils ne sont d'ailleurs pas du tout menacés. On veut seulement sauver la face.
Eh bien c'est raté.
Pour terminer sur un tout autre sujet, mais pas forcément sans lien, on a déplâtré Ramon mon chat nono qui se crissait des grands coups de patte de plâtre dans le front.

Si je vous, disais que je connais des gens qui en font autant ?