Le vendredi 23 juin 2000


La Saint-Jean
Pierre Foglia, La Presse

Vous trouvez ça important, vous, la Fête nationale du Québec ?

C'était dans une école privée, à Sainte-Thérèse, la semaine dernière. Nous parlions éducation et culture. Une fille lève la main pour me demander timidement la permission de poser « une question qui n'avait rien à voir ».

- Faites, mademoiselle.

- Vous trouvez ça important, vous, la Fête nationale du Québec ?

J'ai plus ou moins esquivé. Je lui répondu que je n'étais pas très porté sur tes fêtes.

- De quelle origine êtes-vous, mademoiselle?

- Moitié chinoise, moitié laotienne, m'a-t-elle répondu.

Si j'avais osé, je l'aurais invitée à prendre un café. Je lui aurais dit: C'est vrai, je n'ai aucun goût pour les parades, les défilés et les drapeaux... Mais ce n'est pas ce que vous me demandiez, n'est-ce pas ? Votre question réelle était: Est-ce que le Québec qui n'est pas un pays à le droit d'avoir une fête nationale ? À votre ton, je devine que vous repondriez non à cette question. Et à un rien d'exaspération dans votre voix, je devine aussi que vous tenez la Saint-Jean, dont on allumera les feux ce soir, pour une pathologique manifestation du nationalisme québécois.

C'est une idée assez commune dans ce pays. Je pense à Pierre Elliott Trudeau, Mordecai Richler, Esther Delisle, pour qui tous les nationalismes sont haïssables, xénophobes, et fascisants et tout particulièrement devinez pourquoi ! - le nationalisme québécois. J'ai déjà abondé dans ce sens-là. Je me souviens d'avoir écrit, dans cette chronique, que je refuserais le prix Olivar-Asselin (dieu merci, on ne me l'a jamais décerné, ce qui m'a évité d'être ridicule) parce que ce grand nationaliste québécois avait fait, en son temps, l'éloge de Mussolini. Tout comme le chanoine Lionel Groulx, d'ailleurs. Je racontais que mon père ayant été purgé à l'huile de ricin par les chemises noires de Mussolini, je dirais non au prix Olivar-Asselin.

Ce que je peux être poseur des fois ! Et inutilement grandiloquent.

Le Québec d'aujourd'hui, laïc, démocrate, non violent, accueillant - ce n'est certainement pas vous, mademoiselle la sino-laotienne, ni moi le franco-italien, qui pouvons dire le contraire -, le Québec d'aujourd'hui n'à rien en commun avec celui, frileux, de Groulx et Asselin.

Pour des raisons de basse politique qui n'ont rien à voir avec la crainte réelle de voir survenir une société pure laine, il se trouve des gens dans cette province pour faire une poussée d'urticaire publique à chaque éruption de nationalisme québécois. Le nationalisme n'est pourtant pas une maladie.

L'idée de nation n'est pas aberrante en soi. La nation est un espace géopolitique où des gens vivent ensemble, assez souvent en parlant la même langue. Ils partagent des services, des routes, des hôpitaux, des écoles. Ils partagent aussi des idéaux, comme la démocratie, la justice sociale. Ils habitent une Histoire collective, des mythes, des légendes - Maurice Richard -, se réfèrent à des symboles communs - un drapeau -, s'investissent dans des cérémonies, des rituels - la fête nationale, des équipes sportives nationales - qui sont la part sacrée, si j'ose dire, d'un concept en principe laïc.

La nation est en crise partout, rapportent les politicologues, aussi bien Yves Lacoste dans Vive la Nation (Fayard) que Wallerstein et Balibar dans Race, nation et classe, des identités ambiguës. Les multiculturalismes - surtout celui à la canadienne - s'accommodent évidemment mal de l'idée de nation. Les écolos et les granoles mondialistes se tournent vers le grand large (Ah! Gaïa ! Ah! la Terre mère !). Bref, un peu partout la nation est contestée. Elle reste pourtant, pour l'instant, un modèle non seulement incontournable, mais qui, loin de se dissoudre dans les grands ensembles comme l'Union européenne par exemple, se revivifie, se resingularise dès que se précise la menace d'uniformisation.

Au Québec, en plus des problèmes communs aux autres nations, l'idée d'une nation québécoise est battue en brèche par des activistes, des organisations religieuses elles-mêmes très exclusives, qui prêtent à la nation québécoise de porter en elle les germes de l'exclusion et d'un sournois racisme. Une hostilité constante, une malveillance ostentatoire. (Je pense au cirque de M. Howard Galganov, aux fulminations de M. William Johnson, aux quolibets de M. Mordecai Richler, qui se retourneront un jour ou l'autre comme un doigt de gant.) Et on se demandera alors comment on a pu se taire pendant aussi longtemps devant cet incroyable scandale qui consiste à considérer raciste tout ce qui n'est pas fédéraliste... C'est flyé pareil !

La mode pour les nations est à la diversité ethnique. Plus qu'une mode. Un idéal de réussite communautaire. Une recette. Une morale. Si c'est multi, c'est bien, c'est grand, c'est généreux, c'est moderne ! Si c'est homogène, ouache !... La seule façon de mesurer la grandeur d'une nation n'est pourtant pas de compter le nombre d'ethnies qui en font une mosaique, mais bien de mesurer la qualité de la vie des citoyens qui la composent. Et par qualité de vie, je n'entends pas seulement revenu moyen per capita. J'entends la capacité de donner du sens à la vie. La prise qu'ont les citoyens sur leur quotidien. La richesse de leur vie culturelle.

À cette aune-là, la nation québécoise n'est ni pire ni meilleure qu'une autre. Disons qu'elle est au milieu du tableau des nations industrielles. Elle se classerait mieux, c'est sûr, si elle dépensait moins d'énergie à assurer sa survie. À défendre sa langue. J'ai envie d'ajouter, même si le jour est mal choisi: à très mal défendre sa langue par des lois malhabiles. Il n'y a qu'une façon de défendre une langue: lui faire dire quelque chose.

Pas parfaite, la nation québécoise. oh non. Y'a des mardis après-midi du mois de novembre sacrément plates. Mais certainement pas plus ridicule, ni plus outrancière dans ses manifestations nationalistes que ses considérables voisins. Je crois un Québec indépendant parfaitement capable d'égaler les bouffonneries cocardières du Canada, d'inventer des Minutes du patrimoine qui dureraient un quart d'heure et reviendraient toutes les vingt minutes ; mais pour l'instant, à ce ridicule chapitre, c'est madame Copps qui gagne. Toute seule. Loin en avant.

Et pour revenir à votre question, mademoiselle:

- Trouvez-vous ça important, la Fête nationale du Québec ?

La réponse est que je n'irai pas. Mais que je souhaite à ceux qui en seront du soleil et des chansons. Voilà.