Le mardi 27 juin 2000


Encore le progrès
Pierre Foglia, La Presse

Avez-vous compris que le séquençage presque complet du génome humain allait faire de vous un homme jamais malade ?

Moi aussi. Mais je me demandais un truc. C'est juste pour les maladies, ou aurons-nous aussi le choix de notre apparence physique ? Un petit nez? Des grand pieds? Des cheveux sur toute la tête si je veux? Et des fantaisies comme des grandes grandes oreilles pour faire du vol à voile, ou un pénis comme une gargouille musicale qui jouerait une p'tite musique chaque fois qu'on irait faire pipi, la belle dé Cadix a des yeux dé velours tchik à tchik aïe aïe aie...

Sérieux, allons-nous pouvoir nous bricoler une personnalité parfaite ? L'homme sans défaut est-il pour bientôt ? Et son épouse tout de suite après ? Pensez à Robert-Guy Scully qui est, à ma connaissance, l'être bumain qui s'approche le plus de la perfection. Imaginez six milliards d'individus comme lui. L'horreur ? Si nous n'y prenons garde , c'est pourtant le genre d'humanité que nous promet l'ère du « tout génétique ».

Pour éviter cela, j'ai une solution en deux points que je soumets respectueusement aux autorités scientifiques de la planète. Premier point : continuons les recherches jusqu'à l'identification de tous les facteurs génétiques de toutes les maladies, de façon à ce que l'homme et sa fiancée ne soient jamais malades et meurent en bonne santé au bout de leur âge. Mais pour le reste, pour tout ce qui concerne la personnalité, l'intelligence, les sentiments, la peur, NE TOUCHONS À RIEN. Continuons à nous engueuler sur l'inné / l'acquis, l'hérédité / le milieu, la nature / la culture. Mieux vaut s'engueuler que d'être six milliards de cintres à cliqueter dans la même penderie en placoplâtre.

Second point. Au lieu de parfaire génétiquement l'humanité actuelle, créons sur un territoire préservé une humanité expérimentale. Une sorte de réserve d'humains parfaits. À partir de cellules au génome idéal - 150 000 gènes soigneusement sélectionnés un à un - créons une humanité zéro défaut. Et regardons-la évoluer.

On verra bien. Si ça donne de bons résultats, on l'appliquera pour nous. Sinon, on arrêtera l'expérience. Que fera-t-on alors des êtres « parfaits » qu'on aura mis en circulation ? Bof, on les intégrera à notre société en les rendant moins parfaits, c'est tout. Comment ? On commencera par les sortir de la réserve pour les installer en banlieue. Puis, on leur fera lire Rousseau, Jean-Jacques : Notre vrai moi n'est pas tout entier en nous.

Ils vont commencer à chercher où.

Et à partir de là, ils sont foutus.

DEUX LIVRES POUR L'ÉTÉ - Habituellement, je fuis les livres « d'athlète », tous pourris, tous complaisants. Une exception: Muhammad Ali - Le plus grand. Deux maintenant avec Il n'y a pas que le vélo dans la vie, de Lance Armstrong, ce Texan vainqueur du Tour de FrancE l'an dernier, qui devrait répéter son exploit cette année.

Il n'y a pas que le vélo dans la vie, il y a aussi le cancer. 1996 après un début de saison en fanfare, Lance Armstrong, 25 ans, cafouille. Abandon au Tour de France, déception aux Jeux d'Atlanta. Fin septembre, fatigué, incapable de s'asseoir sur sa selle à cause d'un testicule enflé et douloureux, il décide de consulter: « J'ai pris une douche, je suis monté dans ma Porsche, le service d'urologie est situé dans le centre-ville (de Austin, Texas), le Dr Reeves avait des manières rassurantes. Deux heures plus tard, toujours aussi rassurant, il m'a dit de sa voix grave: Bon, je n'irai par quatre chemins. Vous avez un cancer des testicules avec des métastases importantes au poumon... Je suis remonté dans ma voiture, emprunté les rues sinueuses bordées d'arbres, pour la première fois de ma vie j'ai conduit lentement. Oh mon dieu ! le vélo c'est fini. Oh mon dieu ! je vais mourir... »

Quelques jours plus tard, on trouvait à Armstrong d'autres métastases, celles-là au cerveau.

J'ai connu Armstrong au Tour de France, Avant son cancer. Détestable personnage. Talentueux et stupide comme s'il était tout le Texas à lui tout seul. Une vraie tête de vache, avec des cornes comme ils en portent là-bas pour tout défoncer. Il reconnaît aujourd'hui : « Je courais comme un idiot, avec une impudence totale, je paradais, je me vantais, je détestais l'Europe »...

Sauf pour sa science de la course qu'il a peaufinée, sauf pour l'Europe qu'il a appris à aimer (il habite à Nice), Armstrong n'a pas changé. Pas pour la peine. Toujours aussi baveux. Toujours rouleur de mécaniques. N'empêche. Il a battu ses trois cancers 14 à 0. Il est remonté sur son vélo. Il a gagné le Tour de France. Moi qui déteste les livres d'athlètes, moi qui suis incapable d'entendre parler de maladie, j'ai pris autant de plaisir à suivre le déroulement de celle-là qu'à suivre une étape de montagnes dans le Tour de France.

L'Izoard. La Croix de Fer. L'Alpe d'Huez. La gueule ouverte. Crachant le sang. Un sacré livre. Un livre d'aventures comme quand j'étais petit et que ma mère me criait: viens manger, et que je lui répondais: attends, encore deux pages.

Il n'y a pas que le vélo dans la vie, Lance Armstrong (avec Sally Jenkins), Albin Michel.

BRUME - Des fois, je tète une heure en librairie. J'hésite. Celui-là ? Hum je sais pas. Celui-ci plutôt. Et je me ramasse avec une merde. Cela m'est arrivé très souvent ces derniers temps. L'autre jour, à La Presse, Jocelyne, la responsable du cahier livres, déballait ses arrivages. Tu me donnes celui-là Jocelyne, hop, une seconde et quart, j'ai pris n'importe lequel sur le tas. Je ne fais jamais ça. Anyway. Le gros lot, pour une fois. Un Oiseau blanc dans le blizzard. Laura Kasischke, peut-être avez-vous lu d'elle A Suspicious River, pas vraiment des lectures de vacances, encore que, qu'est-ce au juste que des lectures de vacances ?

La banlieue de Toledo (Ohio), port charbonnier du lac Érié. Notre maison, comme toutes celles de notre rue, a trois chambres - la mienne, celle de mes parents, une chambre d'amis, dont la porte est toujours fermée. Les rares fois où on ouvre cette porte, une bouffée fraîche de naphtaline s'engouffre dans nos poumons comme si l'ami invité était en fait le passé, enfermé depuis des années, qui essaie de s'échapper... Une virtuosité glaciale, lit-on en quatrième de couverture. Touché. Mais une virtuosité qui n'a rien de française, qui ne doit presque rien aux mots et presque tout aux ombres. On dit « entrer» dans un livre. Celui-là, ce n'est pas nécessaire. Il nous environne dès qu'on l'ouvre. Une brume. Perverse.

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Un Oiseau blanc dans le blizzard, Laura Kasischke, Christian Bourgois éditeur.