Le samedi 26 juillet 2000


Circulez, y'a rien à voir
Pierre Foglia, La Presse

VILLEPINTE
J'appelle à La Presse hier aprèsmidi, je tombe sur un collègue des sports. On parle un peu, il me dit: « T'es où ? » « je suis à Paris. Enfin pas exactement Paris, je suis d'ans un hôtel près de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. » Il me dit alors: Comme ça, t'es à côté de l'accident ? »

« Quel accident ? »

J'ai de la chance d'avoir des amis journalistes autrement je ne saurais jamais rien. J'étais à moins de cinq kilomètres de Gonesse où un Concorde est tombé hier après-midi sur l'annexe d'un hôtel, faisant 113 morts, bilan provisoire.

Avec les bouchons ça m'a pris presque une heure pour me rendre au barrage de sécurité qui empêchait les badauds et la presse de passer. « Circulez, Y'a rien à voir », les CRS nous ont refoulés sur un pont routier de la nationale 17. Nous étions à eu près à 300 mètres de l'impact. En rase campagne. On voyait très bien qu'il n'y avait rien à voir. Rien en tout cas qui ressemble à une carcasse d'avion, ou au fameux nez du Concorde, ou à des morceaux de fuselage. Rien que des ambulances, les tentes d'un hôpital de campagne et une montagne de ferraille fumante qu'une armée de pompier arrosait.

Le Concorde s'est écrasé en plein champ, c'est la mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que l'hôtel de quatre ou cinq étages, de la chaîne Les Relais Bleus, qui se dresse au beau milieu de ces champs-là, est encore debout. Miraculeusement. Il s'en est fallu de quelque mètres. Le Concorde a pulvérisé l'annexe-restautant de l'hôtel, tuant trois employés et un Anglais qui passait par là. On parle aussi de cinq blessés, on ignore pour l'instant la gravité de leur état.

Il s'en est fallu d'un ou deux kilomètres pour que l'appareil s'écrase sur la petite ville de Gonesse et il s'en est fallu d'une minute et demie de vol de plus, dans la même trajectoire, pour qu'il se plante en plein coeur de Paris.

« Ça s'est passé très vite, raconte un témoin. J'habite un HLM près d'ici et les avions, on n'y fait plus attention, mais le Concorde c'est pas pareil, c'est tellement un bel oiseau, on regarde toujours... Quand je l'ai vu, il était en pleine ascension et il y avait du feu et de la fumée qui sortaient par l'arrière, le réacteur ou je sais pas quoi qui brûlait. Il a commencé à tomber par en arrière justement, on aurait dit qu'il allait s'asseoir. Puis il y a eu une grande colonne de fumée... »

Une tonne de carburant, c'est ce que contiennent les réservoirs d'un Concorde au décollage.

Un porte-parole d'Air France est venu confirmer ce que nous savions déjà, qu'il s'agissait d'un vol nolisé qui emmenait 97 touristes Allemands, deux Danois et un Américain à New York d'où le groupe devait s'envoler pour l'Équateur.

Quand j'ai quitté les lieux, la rumeur courait qu'il y avait peut-être un survivant parmi les passagers.

Je lui souhaite que ce soit vrai.