Le samedi 12 août 2000


L'accident hors la loi
Pierre Foglia, La Presse

La semaine avait fini par une nouvelle olympique, la levée de la suspension du sauteur cubain Sotomayor reconnu coupable d'avoir pris de la cocaïne. Un ami m'avait appelé:
- Vas-tu à Sydney ?
- Oui, pourquoi ?
- Vas-tu voir le Cubain, celui qui a testé positif à la cocaïne ?
- Sotomayor ? Peut-être, pourquoi ?
J'étais un peu surpris, l'ami qui m'appelait ne connaît rien au sport. Par contre, il sait tout de la cocaïne. Je l'invitai à poursuivre:
Si tu le vois, conseille-lui donc d, achetes sa coke à Montréal à l'avenir. Il ne testera plus jamais positif à la cocaïne. Il va tester positif au Ajax, au Tide et à la Petite vache mais plus jamais à la cocaïne.

La semaine avait fini par une pathologie cubaine, elle recommença avec le virus du Nil occidental que des maringouins américains allaient nous inoculer. Était-ce lundi ? Le téléjournal a ouvert sur un savant dans un laboratoire qui disait qu'il avait examiné 221 oiseaux morts et trouvé le virus du Nil dans aucun. C'est la nouvelle idéale: elle rassure les gens en les inquiétant un peu. Nos petits bonheurs de vacances ne seraient pas complets sans un frisson. Vous vous rappelez la tique de Lyme ?

Mais l'actualité ne se repose jamais bien longtemps. Il y a eu ces jeunes gens qui se sont tués en automobile suivi de deux crimes épouvantables. En plein congrès de victimologie, cela tombait drôlement bien quand même pour tous ces gens qui, au nom du progrès et du droit, n'ont de cesse de déclarer l'Accident hors la loi.

Je hurle chaque fois. Un malade tue un enfant. Un amant sa maîtresse. Des jeunes se foutent en l'air en voiture. Un Concorde tombe. On cherche un sens dans ce qui - par définition même de l'accident - n'en a aucun. On cherche un sens et comme forcément on n'en trouve pas, alors on en fabrique. Je deviens alors comme les coyotes le soir au bout de mon champ: je hurle et je ris en même temps. J'ai entendu une sommité de l'Université de Montréal proposer que l'on équipe les automobiles d'une boîte noire. J'ai entendu une autre folle inciter les enfants à dénoncer leurs parents qui fument, et voilà qu'on voudrait mettre un bracelet qui fait bip-bip au poignet des gens que l'on remet en liberté conditionnelle. Tout contrôler, c'est le projet de la modernité. Contrôler. Soigner. Prévenir. Dans notre société moderne, le criminel sera de moins en moins le bandit et de plus en plus le malade, surtout le malade sexuel, mais pas seulement sexuel, aussi le malade qui fume, le malade « social », le déviant qui ne se lave pas les dents, qui ne boucle pas sa ceinture, qui engueule ses enfants, qui ne fait pas d'exercice. Le droit relèvera bientôt de l'hygiène. À une époque où on voit le lascisme partout, on oublie curieusement de le voir là où il est de toute éternité, là où il germe d'abord: dans le désir de pureté.

Ce matin à la une de tous les journaux, on apprenait que Jean-Pierre Ferland et Ginette Reno sont allés chanter des chansons d'amour aux Hells. Pendant ce temps à Sorel, « une centaine de citoyens déchaînés » ont voulu faire un mauvais parti au présumé meurtrier d'un adolescent. Voilà qui résume assez bien ce que je viens de vous dire. Les criminels sont de moins en moins les bandits de plus en plus les malades.

Et la justice de plus en plus un fantasme de thérapeute.

LES MÈRES - J'ai reçu copie de la lettre de douze pages qu'une grand-mere a adressée tout récemment à M. Camil Picard, directeur des centres de jeunesse des Laurentides.

« Je suis la mère de Pierre V... écrit la vieille dame au directeur de la DPJ Laurentides. Je suis persuadée qu'il y a des erreurs dans votre dossier car personne de notre famille ne croit d'aucune manière que mon fils Pierre ait pu abuser sexuellement de son fils »...

On ne traitera pas ici du cas de Pierre. Je n'ai même pas appelé à la DPJ pour me le faire expliquer. En fait, je ne pensais pas faire écho à lettre. Je l'ai ressortie hier en voyant dans le journal ce garçon de Laval aux avant-bras bandés, et celui-là de Sorel que la foule insultait, tous deux accusés de meurtre. Je me suis demandé s'ils avaient une mère quelque part. Et comment elle était. À la télé, j'ai entendu une mère de la foule lyncheuse se mettre à la place de la mère de la victime. Personne pour penser à la mère du coupable ?

J'ai relu la lettre de la vieille dame qui parle d'une autre époque, évoque d'autres valeurs qui n'ont plus cours et qui ne protégeaient pas, de toute façon, des accidents. Rien ne protège jamais des accidents. Sauf peut-être les mères. Parce qu'elles se jettent en avant.

« Qui mieux qu'une mère peut connaître son enfant ? » demande la vieille dame dans sa lettre.

« Je suis âgée de 85 ans. Pierre est le cinquième et dernier enfant que j'ai eu dans le cadre de mon mariage avec Joseph Ubald V... Ubald était comptable, diplômé du Mont-Saint-Louis. J'ai fait mon cours d'infirmière à Hull. Nous nous sommes mariés en 1941. De notre union naquit cinq enfants, nous les avons élevés dans la religion catholique et la foi chrétienne... Nous avons donné le maximum à nos enfants, nous leur avons toujours dit: n'attendez pas d'héritage, notre héritage c'est l'éducation que nous vous donnons... Nous avons été des parents attentifs, dévoués, disponibles. Nous en avons fait de bons citoyens, ce que je crois être la plus grande réussite de ma vie... Aujourd'hui l'un est maire, un autre président de syndicat, ma fille milite pour les droits des femmes, l'avant-dernier s'occupe d'e l'intégration des immigrants, Pierre, le dernier, après du scoutisme s'est occupé d'action politique et de syndicalisme...

« J'ai questionné Pierre, je lui ai demandé en le regardant droit dans les yeux si c'était vrai qu'il avait abusé sexuellement de son fils. Il m'a répondu non. Plus jeune, lorsqu'il ne me disait pas toute la vérité, il avait les yeux fuyants, devenait nerveux et en sueur. Il a dit non sans broncher. C'est pour cela que je prends sa défense...

« Qui mieux qu'une mère peut connaitre son enfant ? »

On serait tenté de répondre à la vieille dame: n'importe qui mieux que sa mère. Les parents sont souvent aveugles quand il s'agit de leurs enfants, et c'est bien ainsi. On a une mère pour ça: pour qu'elle nous trouve le plus beau et le plus fin. Un peu de cécité n'est pas inutile dans la majorité des cas.

Je ne présume pas de la culpabilité de Pierre. C'est la vieille dame que m'occupe ici. C'est la vieille lionne qui montre les dents que je salue ici. Je ne présume pas de l'innocence de Pierre. Je dis seulement qu'il a de la chance, lui.