Le samedi 19 août 2000


Un petit gratteux avec ça?
Pierre Foglia, La Presse

Une belle maison de pierre sur un terrain boisé, construite en 1804, et superbement préservée. La plus belle maison de la ville. Imprudemment achetée par un couple qui en est tombé amoureux il y a quatre ans. imprudemment ? Les terrains alentour sont zonés industriels. Cela ne paraît pas. Pas encore. On se croirait à la campagne.

Sont arrivés des promoteurs avec un projet d'usine de planchers de bois franc à laquelle on adjoindra, dans la phase deux, des séchoirs à bois et dans la phase trois, une usine de vernissage. On parle aussi d'une éventuelle scierie.

Le maire fait visiter aux promoteurs le parc industriel de la ville. Ils lèvent le nez. Ils ont une meilleure idée. Ils ont acheté les terrains derrière la maison deux fois centenaire. C'est là qu'îls veulent construire leur usine. Je vous rappelle que le zonage le leur permet. Sauf qu'un règlement de la Ville stipule que les entreprises industrielles doivent nécessairement être raccordées aux égouts. Il n'y a pas d'égout là où les promoteurs veulent ériger leur usine, aussi demandent-ils la permission de creuser une fosse septique. Permission refusée par cinq des sept conseillers de la Ville... qui virent capot quelques jours plus tard sur l'insistance du maire.

Les jobs, les taxes. Arguments définitifs. D'un côté des promoteurs philanthropes, des bienfaiteurs de l'humanité, des donneurs de jobs devant lesquels les pouvoirs municipaux se roulent à terre. Merci messieurs. Une fosse septique ? Mais comment donc. Une petite subvention avec ça ? Un prix spécial sur l'électricité ? Des frites ?

De l'autre côté, s'opposant aux promoteurs, des citoyens prêts à sacrifier le bien commun pour préserver leur petit confort douillet. Cinquante jobs, vous vous en foutez? Pas dans votre cour, c'est ça ? Égoïstes !

À la grandeur de la province le même débat, chaque fois. Suffit de changer les noms, les lieux. Scieries. Porcheries. Carrières. Camions. Bruit. Poussières. Odeurs. Même dossier. Mêmes arguments définitifs qui font pencher la balance toujours du même côté: les jobs, les taxes.

Les citoyens ont beau avancer que 50 jobs ici ou un peu plus loin, où ça dérangerait moins, ce serait 50 jobs pareil, et les mêmes taxes, on ne les écoute pas. Le promoteur est roi. L'usine de planchers de bois franc ne s'installera pas dans le parc industriel officiel de la petite ville parce que les terrains y sont trop mous. Il faudrait remblayer avec des pierres, cela coûterait 80 000 $ de plus. Pourquoi le promoteur paierait plus cher ?

Bonne question. Mais j'en ai une autre. Combien vaudra la maison deux fois centenaire, avec une usine dans sa cour, des camions qui font bip-bip-bip à longueur de jour, de la poussière et des odeurs de vernis, le bruit de fond des scies que le mur de son que l'on a promis n'arrêtera pas ? Combien ? Cent mille dollars de moins ? Et les propriétés situées dans la zone résidentielle, sur l'autre trottoir de la même rue ? Dévaluées de combien ? Au nom de quoi ces gens-là sont-ils pénalisés ? Dérangés ? Au nom d'un développement économique qui se ferait tout aussi bien trois kilomètres plus au nord ? Au nom du droit sacré des promoteurs à faire n'importe quoi, n'importe où parce qu'ils créent des jobs et paient des taxes ?

Un résidant du quartier, inquiet du futur développement, est allé rencontrer un des trois promoteurs, un commerçant qui l'a reçu dans son bureau au-dessus de son magasin.

En cours de discussion, le promoteur a traîné son visiteur devant la fenêtre d'où l'on domine le magasin. Désignant les clients, SES clients qui le font vivre, il a dit « regarde en bas, je ne veux plus avoir affaire à cette gang de BS, ces crisses de chialeux jamais contents du service. Je paie des gens pour s'occuper d'eux, mais je ne veux plus rien savoir de leur piastre à 60 cents. Ce qui m'intéresse, c'est les billets verts, nos planchers on va les vendre aux États et partout dans le monde »...

Bien entendu, il a nié avoir tenu de tels propos quand je l'ai rencontré dans son bureau. Il avait commencé par refuser de me recevoir en me traitant subtilement d'immigrant : « Au Canada, mon cher monsieur... »

Quoi au Canada ?...

L'épais dans toute son épaissitude. En entrant dans son bureau, il me glisse mine de rien... « Votre grand boss à La Presse habite tout près d'ici, je crois... »

Tu crois ou t'es sûr ? Tu fréquentes des gens qui le connaissent ? C'est ça que tu veux me dire ? Je suis terrorisé, mon vieux.

Je ne sais pas si vous avez vu Réjeanne Padovani, le film de Denys Arcand, rappelez-vous, dedans, les ti-counes de fond de ruelle qui se prenaient pour des barons de la finance, celui-là est tout à fait leur jumeau. Le Québec profond est encore plein de Moyen Âge, de dinosaures, de Malenfant, d'épiciers grasseyants. Bonjour madame Chose, comment elle va à matin ? Un petit gratteux avec ça?...

Tu grattes et c'est écrit : Crisse de BS.

Ce que je comprends moins, c'est qu'un des partenaires de ce projet est le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec.

Vous avez dit solidarité ?

LE DÉSIR - Savez-vous que vous commencez sérieusement à m'embêter avec votre Anna Kournikova ?

Et n'allez pas me prendre pour un de ces puritains que l'on entend répéter partout, ces jours-ci, qu'on devrait parler de son jeu, pas de son cul. Non, non. Moi j'aime bien parler de cul. Ce qui m'embête ici, c'est de me sentir seul dans mon goût. Quand je vous vois si nombreux bandés sur son tutu et pas moi, je me dis cout'donc serais-je pédé ? Une vocation tardive...

C'est que je la trouve bien commune, votre lolita. Et même un peu vulgaire. Il y a des centaines de poupées blondes comme elle dans le métro de Moscou, mais avec un petit quelque chose de plus, une lueur dans l'oeil un grain de beauté, une bretelle de soutien-gorge qui dépasse, enfin quelque chose qui les rend vivantes. Vous voulez que je vous dise ? Votre Kournikova à une tête de veau. Une de ces têtes de veau avec du persil dans les oreilles que l'on voit, dans le temps de Noël, à la vitrine des traiteurs.

« Voyons Foglia, c'est pas sa tête qu'il faut, regarder ! » Je sais, les boys, je sais. Mais qu'est-ce qu'un cul avec du persil dans les oreilles ? Je vous le demande. Qu'est-ce que le désir stéréotypé ? Comment faites-vous pour bander sur quelque chose, sachant que sur cette même chose, le gérant de votre caisse populaire bande aussi ?

Vous n'êtes vraiment pas snobs. Je vous félicite.