Le mardi 12 septembre 2000


Ma roulotte au bout du monde
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Quand je suis allé jogger, la veille de partir, trois chevreuils, hop, ho hop, ont traversé le chemin Eccles Hill, juste devant moi et je me suis dit la prochaine fois que je vais aller jogger, ce sera en Australie, et c'est des kangourous qui vont traverser le chemin devant moi.

Eh bien dans le village des médias, juste en face de la cafétéria, dans un enclos qu'est-ce qu'il y a? Yeeesss, y'a des kangourous. Il y en a un gros qui s'appelle Jules. Enfin j'ai décidé qu'il s'appellerait comme ça. Tous les matins je lui porte des feuilles de salade et des toast. Je lui parle de la vie. Ce matin aussi je lui ai donné un petit drapeau du Canada. Il l'a mis dans sa poche ventrale. Si c'est vrai? Pourquoi êtes-vous toujours en train de me demander si ce que je vous raconte est vrai? Que je sois changé en attaché de presse de madame Copps, si je mens. Vous me croyez maintenant?

Oui, vous me croyez? Ça tombe bien parce que je vais vous dire un truc, un peu incroyable: les Australiens ressemblent beaucoup à des kangourous debout. Le même immense étonnement dans le regard. La même curieuse façon de regarder les gens. Comme s'ils vous regardaient par-dessus leurs lunettes et que vous étiez la chose la plus captivante qu'ils aient vue depuis des années.

Ah si, j'insiste, l'Australien tient beaucoup, du kangourou, il a beaucoup de marsupial en lui. J'oserais même aller jusqu'à dire que les Australiens sont un peu des marsupiaux avec des cellulaires.

Maintenant je suppose que vous voulez savoir comment j'ai trouve Sydney ? J'ai envie de vous dire que je l'ai trouvé à UNE HEURE du village des médias, mais je ne veux pas commencer à ronchonner. Le magazine Geo qualifie Sydney de «plus belle ville du monde». Whaô les smokes ! Je trouve la ville beaucoup plus sympathique que réellement belle. Un peu comme Montréal mais avec, en plus, plein d'oiseaux qui n'arrêtent pas de jacasser dans des grands arbres que l'on appelle des Moreton Bay Fig. En plus aussi, la mer. La mer qui donne à Sydney son odeur et sa sensualité.

Mais si je devais ne retenir qu'un mot pour qualifier Sydney, je dirais: multiculturelle. À regarder les gens dans la rue, on ne peut pas deviner où on est. On a l'impression de participer à une expérience. On a l'impression d'être dans une éprouvette où des savants seraient en train d'inventer une couleur universelle pour repeindre le monde. Un peu de rouge, du noir, beaucoup de jaune, on touille... c'est sûr, on ne sortir de là blanc comme neige.

Les Jeux ? Ils s'annoncent absolument formidables, mais vous savez comment c'est, rien n'est parfait. Tenez hier par exemple, j'ai rencontré le gymnaste montréalais Alexandre Jeltkov, « je le salue, bonjour Alexandre, comment ça va ? C'est bien le village ?

Il me fait une drôle de petite moue...

- Quoi ? C'est pas bien ?

- Ben, je suis logé dans une roulotte avec un autre gymnaste. On est très très tassé. Ce n'est pas l'idéal pour se reposer, ni pour se préparer mentalement.

- Dans une roulotte, dis-tu ?

- Oui oui, une roulotte. Il n'y avait pas assez de maisons dans le village, alors ils ont ajouté des roulottes en arrière... C'est en tôle, c'est un peu froid la nuit... »

Peut-être ne connaissez-vous pas Alexandre ? Vice-champion du monde à la barre fixe, actuel meneur de la Coupe du monde sur cet appareil, favori pour remporter la médaille d'or ici à Sydney, c'est le genre spartiate et frugal comme le sont souvent les gymnastes. Grands oubliés des commandites, les gymnastes sont habitués à vivre à la dure, de la à faire du camping sauvage au village olympique...

Rassurez-vous. M. Juan Antonio Samaranch n'est pas dans une roulotte. Il loge à l'hôtel Regent, dans une suite à 2500$ la nuit. Il est très bien, merci. Il est en train d'écrire son discours d'ouverture des Jeux dans lequel il ne manquera pas de dire que les Jeux, c'est... c'est D'ABORD pour les athlètes.

Moi, comment je suis logé ? C'est gentil de vous inquiéter de mon confort. Moi je suis donc au village des médias. À Lidcombe à 15 kilomètres de Sydney. Dans une chambre à 230 $ la nuit, j'avais un peu honte, mais bon la chambre est réservée et payée depuis l'année dernière. Je me disais fuck, à ce prix-là, je vais me retrouver dans un foutu palace avec les mongols du CIO, des présidents de fédérations nationales, et peut-être même Jean Pagé. Pour une surprise c'en fut toute une ! Au lieu du club Med, j'ai débarqué à la Baie-james! Vraiment nous sommes logés dans des baraquements de grand chantier. Huit cellules par baraquement. Dans chaque cellule un lit de soldat, un minuscule bureau, les toilettes sont dans le couloir, les murs en carton, et voilà mon vieux pour le confort olympique à 230 $ la nuit.

Pour toutes sortes de raisons pas vraiment raisonnables, je m'étais mis dans la tête que les Jeux de Sydney seraient super bien organisés. Et bien voilà mon vieux, c'est formidable. Sauf qu'il y a des petits trucs qui clochent. À dire vrai, c'est un peu la pagaïe. En fait, parlons net, c'est bien parti pour être un joyeux bordel. Mais j'insiste sur joyeux.