Le mercredi 13 septembre 2000


Bonjour, les filles
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Avez-vous vu Waneek nue? Waneek Horn-Miller.

La Mohawk de l'équipe canadienne de water-polo. En couverture de Time Magazine elle tient juste un ballon pour cacher ses seins.

Avez-vous vu Jenny nue? Jenny Thompson, la nageuse vedette de l'équipe américaine. Elle a été la première à oser, nu intégral, dans la revue Sports Illustrated.

Avez-vous vu la cycliste Lyne Bessette, la canoéiste Marie-Josée Gibeau dans le numéro spécial de Géo Plein Air ? Nues aussi. Mais jamais aussi nues que les athlètes australiennes que loin peut voir dans le livre qui fait jaser tout Sydney depuis hier - The Sydney Dream - appelé aussi « Le livre noir » parce que les photos sont en noir et blanc et que celle de la couverture est très foncée. Le livre noir montre, nues, des filles qu'on n'imagine pas nues. Quatre joueuses de l'équipe de saftball. La capitaine de l'équipe de hockey sur gazon. Une sauteuse à la perche. Une joueuse de basket. Toutes sont en mouvement, ce qui donne a leur nudité du muscle, une santé, et un air de dire: voyez les filles, pas besoin de se bourrer les tétons de gélatine et de suivre des régimes débiles pour être sexy. Elles ont des dos musclés, des seins moyens, elles ne sont pas maquillées.

Cela a pris 32 ans (Jeux d'Amsterdam, 1928) pour que les premières femmes soient acceptées aux Jeux. Le water-polo féminin, le saut à la perche féminin, le pentathlon moderne féminin, l'haltérophilie féminine seront des disciplines olympiques pour la première fois à Sydney: cela a pris cent ans. Ça y est. Les filles sont enfin des athlètes. Et c'est le moment qu'elles choisissent pour accrocher leur WonderBra aux anneaux olympiques: eh, oh, les boys, vous avez vu, on est des filles aussi!

À la conférence de presse de l'équipe canadienne de natation hier, les journalistes ont demandé aux filles présentes, Marianne Limpert, Joanne Malar, Jessica Deglau, Karine Legault, si elles aussi, elles auraient osé aller dans le livre noir. Elles ont toutes dit oui. Pourquoi pas?

Jamais Jeux olympiques n'auront été aussi féminins que ceux de Sydney. Une fille - Marion Jones - pourrait en être la grande vedette avec cinq médailles d'or. Pour les Canadiens, l'événement de ces Jeux est d'ores et déjà l'équipe féminine de water-polo. Si les filles du water-polo se rendent au bout, et c'est bien possible, elles disputeront la finale le même soir que Bruny Surin courra la sienne... et je mettrais ma main au feu que la majorité de mes confrères seront au Water-polo. Pas pour le water-polo.

Pas pour les seins de Waneek. Pour les filles qui forment cette équipe extraordinaire d'abnégation. Pour l'étudiante Sandra ( Lizé ). Pour Marie-Claude ( Deslières ), 34 ans, ses trois enfants, les gardiennes, les repas préparés d'avance. Pour Isabelle (Auger) l'infirmière de l'Hôtel-Dîeu. Pour Sue (Gardiner) qui a déménagé de Vancouver. Pour Cora ( Campbell ) qui a déménagé de Calgary. Pour Johanne ( Bégin ) la policière de Québec qui a pris deux ans de congé sans solde. Pour toutes les autres, Josée, Waneek, Marie-Luc. Pour une équipe. Un des plus beaux cadeaux que peut nous faire le sport: une équipe. Et les filles - celles du soccer américain, celles du volley-ball, les nôtres - les filles disais-je, sont en train de réinventer le concept de l'équipe en y introduisant l'autre plus beau cadeau que peut nous faire le sport: l'émotion.