Le jeudi 14 septembre 2000


C'est pour ça qu'elles sont belles
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Un collègue de RDI offre à Marie-Claude Deslières de saluer sa famille en ondes. Marie-Claude, 34 ans, mère de trois enfants, pilier de l'équipe de water-polo, s'installe tranquillement devant la caméra, salue ses enfants, son mari, sa soeur et éclate en sanglots. Elle revient à l'entrevue qu'elle me donnait en séchant ses larmes. Excusez-moi, me dit-elle.

Fait longtemps que vous avez vu vos enfants?

Oui, mais c'est pas à cause de mes enfants que je pleure. C'est à cause de ma soeur, France.

Elle est malade?

Non. Elle a joué dix ans pour cette équipe nationale. Et puis elle n'a pas été retenue pour les Jeux. Chaque fois que je pense à elle, je braille.

Quand cette équipe a été formée il y a deux ans, en avril 1998 précisément, il y avait là Marie-Claude, il y avait la gardienne de but Josée Marsolais, le coach Daniel Berthelette et quelques autres. Ils ont tenu une réunion à Claude-Robillard et c'est une des premières choses qui ont été dites: si on embarque, on embarque. Mariée pas mariée, enfant pas enfant, les mêmes règlements pour tout le monde, les mêmes pratiques pour tout le monde, pas de passe-droit, et c'est moi le boss, a dit Berthelette.

L'équipe est née de cette discussion-là. Quand Berthelette a décidé que France, la soeur de Marie-Claude, n'irait pas aux Jeux, Marie-Claude a ravalé sa peine, ses protestations, l'envie d'étrangler Berthelette. Mais les larmes, ça, elle contrôle pas. « Chaque fois que je pense à France, je braille, j'y peux rien. »

Je peux me tromper, mais j'ai le sentiment que cette équipe est véritablement née de la commune et furieuse envie que partagent 13 jeunes femmes d'étrangler Berthelette. On pense au Canadien des bonnes années de Scotty Bowman. Et comme Bowman, Berthelette le fait sûrement un peu exprès.

« Je ne pense pas qu'il le fait exprès, c'est dans sa profonde nature ! » laisse tomber la frisottée Josée Marsolais, gardienne de but et étudiante en psychologie... sportive !

Ce doit être drôlement agaçant pour un coach d'avoir une étudiante en psychologie sportive dans son équipe. Détail amusant, Berthelette a récemment essayé de brasser sa gardienne de but psychologue en la menaçant de lui enlever son poste de gardien numéro un et de la faire jouer sur le banc. Or, la thèse de maîtrise de Josée a justement pour titre La dynamique des réservistes dans le sport... Ça tombe bien !

Les filles jouent leur premier match samedi contre la Russie. Le lendemain contre les Américaines. Cinq matches de préliminaires en cinq jours. Les demi-finales pour les quatre premières équipes classées. La finale, l'autre samedi. Et c'est fini. Je veux dire leur grand, leur beau trip sera fini. Gagne ou perd. Les entraînements au petit matin, les voyages, les stages, les rires, les pleurs, les envies d'étrangler Berthelette, fini.- Elles n'y pensent pas vraiment parce qu'il leur reste un dernier grand truc à faire ensemble. Elles y pensent pourtant. Elles savent qu'après, c'est le vide. C'est pour ça qu'elles sont plus soudées que jamais. C'est pour ça qu'elles ont hâte et en même temps voudraient que cette attente ne finisse jamais. C'est pour ça qu'elles sont fortes et en même temps qu'elles ont peur. C'est pour ça qu'elles sont belles.

NE PRENEZ PAS CET AIR IDIOT, MERCI - Les filles de la natation aussi sont superbes. Vous comprenez « superbes », n'est-ce pas. Juste pour être sûr qu'il n'y a pas de malentendu, on me donnerait deux millions pour faire une entrevue avec Patrice Brisebois, je dirais O.K. pour deux millions. Par contre, je pourrais passer toute la journée avec la nageuse Karine Legault, et ça ne lui coûterait pas un sou. Vous me suivez ? Ou avec Yannick Lupien, tiens, ce grand jeune homme fébrile qui prend tant de plaisir à raconter ses courses, à expliquer ses chronos.

Tu comprends, me disait-il, le sprint au Canada, ça n'existe pas. Je suis le premier Canadien à avoir brisé la barrière des 50 secondes sur 100 mètres et ça ne me classe même pas dans les 20 meilleurs au monde.

Comme ça, tu ne feras pas la finale ?

Ce sera un miracle si je fais les demi... Mon but, c'est de redescendre sous les 50 secondes : 49,5, ce serait comme une médaille d'or, je serais fou comme un balai...

En passant, si vous avez l'impression que la natation canadienne n'est plus ce qu'elle était, c'est une fausse impression. Le Canada a déjà brillé par défaut à l'époque où la natation c'était seulement trois nations : États-Unis, Australie, Canada. Les années 80. Depuis, les Européens, les Asiatiques, les Sud-Américains s'y sont mis et dans ce concert mondial, le Canada occupe une place honorable. À Sydney, la guerre entre Australiens et Américains va provoquer un raz-de-marée qui noiera tout le reste, mais si vous prêtez bien attention, vous verrez de temps en temps sur le podium un Anglais, un Français, un Croate, des Suédois, des Néerlandais, des Hongrois, même des Japonaises, une Costaricaine, deux Canadiennes, Marianne Limpert, Joanne Malar, et un Canadien, Curtis Myden. Vous ne verrez pas Lupien, 20 ans, ni Jessica Deglau, 20 ans aussi, mais ils ne seront pas si loin.

Je vous dis ça parce que les Jeux commencent avec la natation, et les premiers jours, il n'y en aura que pour le gentil Popov, lan Thorpe, Michael Klim, l'insupportable Gary Hall et je vous entends d'ici dans votre salon : Et les Canadiens ? Où, sont les Canadiens ? Sont à leur place. Troisième ou cinquième au monde, même dixième, même 23e comme Lupien, c'est pas grave si vous n'appréciez pas, c'est pas obligé, ni rien. Mais, de grâce, ne prenez pas cet air un peu con que vous prenez pour dire : « C'est bien quand même. »

VIVE LE VENT, DIT CAROLINE - Franchement, j'aime mieux notre automne mouillé que leur printemps venteux et frisquet. On nous avait prévenus d'apporter une petite laine, on aurait dû prévenir aussi les avironneurs et les kayakistes comme Caroline Brunet de se présenter avec une planche à voile plutôt qu'avec leur embarcation traditionnelle.

Le vent souffle en bourrasques si fortes au bassin de Penrith où auront lieu les épreuves d'aviron et de canoë-kayak que les entraînements ont dû être suspendus de peur que les embarcations chavirent. Une honte, se plaignent les uns, une joke, se résignent les autres.

« C'est pas si pire », nous confiait Caroline Brunet rencontrée hier à l'Université Macquarie où était donnée une réception en l'honneur de l'équipe canadienne. « Le bassin est ainsi fait que le vent souffle également sur tout le bassin, aucun couloir ne sera avantagé, c'est tout ce qui m'importe. » Notons que le style tout en puissance de Caroline - moins de coups de pagaie à la minute - s'accommode mieux d'un vent contraire que celui de ses adversaires qui pagaient plus léger, à une cadence plus rapide.

Le jeune canoéiste Maxime Boilard, de Québec, abondait dans le sens de Caroline: « Nos compétitions ont lieu le matin avant que le vent se lève vraiment. Et puis je suis si heureux d'être ici, et jetrouve les installations si somptueuses, que ce n'est pas un peu-de vent qui va gâcher mon plaisir. »

ANGUILLE SOUS ROCHE - Les filles du water-polo ont reçu hier leurs nouveaux maillots Speedo, des maillots en néoprène, une matière qui n'offre pas de prise aux accrochages. Retenir par le maillot est la faute la plus classique en water-polo, d'où l'idée d'un maillot qui transforme les nageuses en anguilles. Remarquez que cela n'empêchera pas les coups de genou, les coups de coude, paraît que c'est effrayant ce qui se passe sous l'eau, et paraît que les pires à ce petit jeu salaud sont les Américaines...

MON ESPION AU VILLAGE - Il est si compliqué d'entrer au village des athlètes pour un journaliste, les passes sont si limitées, que j'ai déjà renoncé. Je m'étais trouvé un espion à l'intérieur, nous devions communiquer par courrier. « Petit problème me dit mon espion, il n'y a que deux ordinateurs au pavillon Canada, deux accès à Internet, longues listes d'attente, et même des files d'attente au cas où quelqu'un inscrit sur la liste ne se présenterait pas! En plus, pour un des deux ordinateurs, un petit comique a détourné Explorer à son seul profit, en introduisant un code connu de lui seul évidemment.- » Ah l'esprit olympique !

IL Y A DES MINISTRES JUNIORS, CELUI-CI EST JUVÉNILE - Pour revenir à la réception en l'hoNneur de l'équipe canadienne où j'ai rencontré Caroline Brunet hier soir, quelle soirée excitante ce fut. Danses folkloriques et chorales de patronage. Tonitruant discours préélectoral du juvénile et exubérant secrétaire d'État aux Sports, Denis Coderre. Coderre a promis des jardins de roses aux athlètes. Très bien, c'est dans sa fonction, mais quelqu'un pourrait-il lui conseiller d'arrêter de sautiller, de claquer dans ses mains et de faire toujours les mêmes jokes plates sur son poids? Quelqu'un pourrait-il lui dire qu'il n'est plus président des jeunes libéraux de son comté ?