Le vendredi 15 septembre 2000


Vive le sport
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

« Vous croyez que cela va bien se passer ? » m'a demandé la caissière à la banque. C'est fou ce que Sydney a le trac à quelques heures de l'ouverture de ses Jeux. C'est fou ce que Sydney a peur d'être tournée en ridicule par les médias du monde entier. « Sans compter, disait un inconnu sur le parcours de la flamme hier, que s'il devait arriver quoi que ce soit, même un cyclone dont on ne serait pas responsable, Melbourne se foutrait de nous pendant des siècles ! »

Melbourne l'européenne. Sydney la western. Sauf que Melbourne aussi a le trac. Je viens d'appeler Sophie, une amie québécoise qui enseigne là-bas: « C'est tout le pays qui est comme ça. Tu sais, au Québec, on a des villages qui sonnent « creux », comme Sainte-Perpétue-du-Dégelé, je te dis n'importe quoi, ce qui est fascinant ici, c'est que cet immense continent se sent tout petit, tout nu dans son tutu comme Sainte-Perpétue. »

À cause des Jeux ?

« Non, non, tout le temps. Et sans aucune raison. Ils ont tout. L'ambition et la douceur de vivre. Un gouvernement de droite qui les bouscule un peu, des traditions de gauche qui les préservent du modernisme sauvage, un taux de croissance économique, élevé. Peu de chômage. Ils ont un climat extraordinaire. Les hivers sont délicieux. Bref, ils ont tout pour être heureux. »

Et en plus, ils ont les Jeux. Ou n'en avaient-ils pas besoin ils n'ont peut-être pas tort d'avoir le trac. Le cadeau est souvent empoisonné. Montréal paie encore. Les Américains ont été ridiculisés à Atlanta. Barcelone est la seule grande réussite, olympique des 30 dernières années. Vous croyez que cela va bien se passer ? m'a demandé la caissière de la banque.

Je le crois vraiment, madame. La raison en est bébête : Sydney a la fibre sportive. Cela se sent tout de suite. Sydney vibre pour ses nageurs, lan Thorpe, Susie O'Neill, Michael Klim, pour Cathy Freeman, emblème de toute une nation, pour ses équipe féminines de water-polo et de hockey sur gazon. Même Barcelone, n'était pas sportive comme ça. Barcelone était conviviale. Sydney est sportive. Et bon, les milliards de béton, les cérémonieux flaflas et le trampoline synchronisé pour amuser les matantes nous l'ont fait un peu oublier, mais les Jeux olympiques, c'est d'abord: du sport.

Vive le sport. Que les Jeux commencent.

Bruny, un sacré pari

SYDNEY - Ça commence dans quelques heures, dans Sydney Cove, là où Sydney est la plus belle. Les triathlètes se jetteront à l'eau devant l'Opera House, le triathlon, nouvelle épreuve, fait son entrée aux Jeux en les ouvrant. Une Canadienne pourrait d'ailleurs très bien remporter la première médaille d'or de ces Jeux, Carol Montgomery, vice-championne du monde de triathlon, qualifiée aussi pour l'épreuve de 10 000 mètres en athlétisme. Quand je vous disais hier que ces Jeux seraient tout féminins...

Ça commence dans quelque heures et je vous propose de passer en revue les athlètes québécois médaillables, ceux dont on parlera le plus. Surin, Brunet, Gill, Jeltkov, Lareau, etc. Surin d'abord. Un cas. Un mystère. On entend tout et n'importe quoi. Il est en ce moment à mille kilomètres d'ici, à Brisbane. Il ne répond pas aux messages, je ne dis pas ça pour moi, je ne l'ai pas appelé. Je n'ai rien à lui demander...

On aimerait tous voir Bruny sur le podium. Il n'est pas d'athlète plus affable. De grande star plus abordable, plus parlable. On aimerait tous le voir la médaille d'or autour du cou et son grand sourire juste au-dessus.

On aimerait. Mais est-ce bien raisonnable d'en rêver quand on sait que le meilleur temps de Bruny cette année est un modeste 10,08 à Lille (modeste pour un meilleur temps) il y a trois mois ? Bruny n'a pas couru sous les 10 secondes depuis les championnats du monde en août l'an dernier. Bruny Surin s'est entrainé sérieusement. Bruny est guéri de sa légère blessure à un ischio. Bruny peut sortir des blocs plus vite que Maurice Greene. Bruny a la puissance et la fluidité pour tenir jusqu'au bout. Alors ? Que lui manque-t-il ?

Il lui manque des repères. Il lui manque de s'être frotté régulièrement cet été aux Maurice Greene, Ato Boldon, Obikwelu, Obadele Thompson. Il manque de compétition. Mais Bruny vous dirait que tout cela c'est de la bullshit. Comme souvent les sprinters, Bruny croit à la course parfaite. Il croit à l'inspiration, à la magie du moment. Il ne croit pas que la victoire soit la dernière brique d'une minutieuse construction. Il croit à un état de grâce. Un coup de dés. Mais même si cela était un coup de dés, les chances n'iraient-elles pas à ceux qui les font rouler souvent ?

Autre chose, la pression. À Atlanta, Surin s'était mis toute la pression du monde sur les épaules. Il a craqué. Il s'est juré qu'on ne l'y reprendrait plus. Sydney ? Bof, ce sera une course comme une autre, se répète-t-il depuis des mois comme un mantra. Yeah ! yeah ! yeah ! Ça me fait penser à l'insomniaque qui se répète que ce soir il va dormir, en espérant que ça arrivera, et tourne d'un bord, et vire de l'autre...

Tout cela pour vous dire que je ne vois pas Bruny sur le podium. Une quatrième place, ce serait bien. Cela dit, je ne vois pas Donovan Bailey non plus. Bien beau s'il atteint la finale.

CAROLINE BRUNET - Moins que l'or, elle serait très déçue. L'argent, elle l'a déjà. Un journaliste lui demandait hier: « À Atlanta vous vous êtes fait battre par 26 centièmes de seconde. Quelle distance cela représente-t-il sur l'eau. La réponse est tombée drue : ça représente quatre ans sur l'eau.

Ici, à Sydney on voit beaucoup d'athlètes en vacances, sinon en vacances, en roue libre. Leur but était d'être aux Jeux, ils y sont, ils passent leurs grandes journées à envoyer des cartes postales et des e-mail à leurs amies pour dire qu'ils y sont.

Caroline, elle, est toujours à trois entrainements par jour. Elle ne croit pas, elle, à la course parfaite. Elle croit à l'effort parfait. Un effort qu'elle sculpte depuis quatre ans.

LES FILLES DE VÉLO - Des tas de gens qui n'entendent rien au vélo attendent beaucoup trop de Geneviève Jeanson, Lyne Bessette et Clara Hughes. Geneviève pourrait ailer chercher la médaille de bronze du contre-la-montre. Ce sera malheureusement tout.

Nos chances sont meilleures en vélo de montagne. Je vois très bien Alison Sydor remporter l'or. Et Roland Green sur le podium.

WATER-POLO - Un sport que personne ne connaît ou presque mais c'est pas grave, le public ne connaissait pas le biathlon non plus, il ne connaît pas le kayak. Le public ne connaît bien que la passion. Or les filles du water-polo sont pure passion. Le public va aimer.

Gagneront-elles la médaille d'or ? Peut-être pas. Mais je peux vous dire qu'elles la veulent en ta... comme dirait Moose Dupont.

PLONGEON - Alors là, fouille-moi ! D'abord plongeurs et plongeuses s'entraînent actuellement en Tasmanie. Grand bien leur fasse, c'est une île au sud de Melbourne en plein océan Indien, je ne sais pas pourquoi ça plonge mieux là-bas qu'ici. Anyway, quand je demande aux spécialistes si on a des chances en plongeon, tous m'ont répondu Émilie Heymans.

Et pas Anne Montminy?

Heymans avant Montminy, insistent-ils. Et sûrement une médaille à Heymans ET Montminy, ensemble, en plongeon synchronisé.

Je pensais qu'ils voulaient me niaiser.

Pas du tout. Il y a du plongeon synchronisé. Nouvelle épreuve des Jeux.

À force de se retourner dans sa tombe, le baron de Coubertin va bien finir par se retrouver la face sur le dessus et on verra bien alors s'il rit ou s'il pleure.

Le petit Despatie, dites-vous ?

Rien, le petit Despatie. Trop jeune. Il sera la sensation dans quatre ans, en Grèce.

JUDO - Je me revois à Atlanta. J'étais assis avec Philippe Cantin. On attendait le combat de Nicolas Gill, on jasait, tout d'un coup Philippe dit « Eh, mais c'est Nicolas Gill ». Je lève les yeux: « oh fuck ! ». C'était fini. Nicolas venait de perdre par ippon en moins, vingt secondes.

Rien que pour laver cet affront-là, Nicolas sera sur le podium le 21.

TENNIS - Le duo Sébastien Lareau-Daniel Nestor est espéré pour au moins une médaille de bronze en double. J'ai pas d'opinion. Pas d'atomes crochus non plus avec Lareau. Pour vous dire à quel point ils ne sont pas crochus, ça ne me dérangerait pas du tout d'aller à la nage synchro ce jour-là.

NAGE SYNCHRO JUSTEMENT - Qu'un truc soit clair, je dis des folies, mais je sais très bien que les gamines de la nage synchro sont des athlètes accomplies. Et qu'il est plus difficile d'aller se chercher une médaille dans cette discipline aujourd'hui que du temps de Fréchette ou des soeurs Waldo.

Peut-être une médaille de bronze en équipe, me dit-on.

GYMNASTIQUE - Demain, Alexandre Jeltkov devra se qualifier dans les huit premiers à la barre fixe. Une formalité. On dit ça. Il peut tomber, rater sa routine, mais bon, en principe « Sacha» est un des trois meilleurs au monde à la barre fixe.

Le 25, il reviendra pour la finale. Et là il va tenter un truc. Ça s'appelle un Gaylord 2 du nom du gymnaste américain qui l'a inventé. Un truc de fou. Ça passe ou ça casse. La médaille d'or ou rien.

Pardon ? Si j'ai personnellement donné mon nom à une figure de gymnastique? Oui, un Foglia 173 ça s'appelle. Fins finauds comme vous êtes, vous avez sans doute deviné que c'était une pirouette.