Le samedi 16 septembre 2000


Formidable
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Vous avez aimé le défilé? Moi aussi. C'était très bien. Un peu long peut-être. C'est les pays. C'est le plus long, les pays. Y'en a trop. Après le Brésil, je me disais ça va sûrement être le Canada. Ben non. Y'avait la Bulgarie après le Brésil. J'avais complètement oublié la Bulgarie. C'est pratique pour ça, les Jeux olympiques, un fois, par quatre ans tu te rappelles qu'il y a aussi des Bulgares. Après la Bulgarie, c'était pas encore le Canada. Non. Il y a eu le Burkina Fasso. Le Burundi. Le Cambodge. Le Ca... Bon! Le voilà ! Le Canada ! Pantoute ! Le Cameroun, calice. C'est long, les pays, c'est long !

Je n'étais pas au stade, non. Mais Caroline Brunet qui portait le drapeau du Canada y était. Mon confrère du Soleil Carl Tardif et moi, on s'était entendus avec Caroline pour qu'elle nous raconte. Vous ne le croirez pas, mais de ma chambre au Village des médias, on a réussi à parler à Caroline Brunet dans le stade même, pendant la cérémonie. À 22h3O exactement: Allo Caro!

On ne s'est pas dit grand-chose, notez bien. Elle était heureuse, soulagée : « Je pensais que je serais plus nerveuse que ça, c'est tellement un immense honneur de marcher à la tête des meilleurs athlètes de son pays... J'étais très fière aussi de voir que cinq ou six autres pays, outre le Canada avaient confié leur drapeau à des kayakistes, l'Allemagne, la Slovaquie, la Suède, Rita Koban pour la Hongrie, Rita qui m'a battue à Atlanta... bon, ben, faut que je vous laisse les gars, y a trop de bruit ici. »



Merci, Caroline. Merci à l'inventeur du cellulaire. Je me demande comment, ils faisaient, du temps des Grecs pour couvrir les cérémonies d'ouverture, sans cellulaire. J'imagine qu'il fallait absolument qu'ils aillent au stade. C'est incroyable ce que la technologie a progressé depuis les Grecs. Le goût et la culture, un peu moins, cependant. Vous ne serez pas d'accord, je sais, mais la cérémonie d'hier montrait assez que pour le goût et la culture, nous sommes comme bloqués depuis 40 ans, au stade pyrotechnique. Depuis les Jeux de Munich, les cérémonies d'ouverture ont toutes l'air d'opéras qui auraient été écrits et chorégraphies par le beau-frère de Liberace qui était aussi pédé que lui, mais beaucoup plus kitsch.

Mais je reviens à la technologie. Vous savez que les athlètes vont bientôt décrire leur performance en direct, un petit micro intégré dans leur raquette ou dans leur pince-nez ? Ah si.

La petite est tatouée

VOUS AVEZ vu mon tatoo?

Geneviève exhibe fièrement sa cheville gauche. Les anneaux olympiques sont tatoués juste au-dessus de sa socquette. Un jaune, un rouge, un noir, mignons comme tout.

« Mon père m'avait dit: « Ne reviens jamais à la maison avec un tatoo ou tu couches dehors ». Pis ?

« Pis j'ai couché dans mon lit ! »

C'était hier après-midi au bord de la mer, à la terrasse d'un café, devant un risotto aux calmars. Geneviève Jeanson buvait un grand verre de jus de melon... J'aime de plus en plus cette ville. Surtout dans ses pourtours. On était ici à Bronté Beach, une plage familiale dans une baie discrète. La course sur route passera devant le café où nous étions... « Rappelle-toi Geneviève, le jour de la course, je serai assis à cette table, tu m'enverras la main en passant, O.K. ? »

Elle rit. Quand elle rit, elle a à peu près 12 ans et demi. On a envie de l'adopter. Tiens, elle a un bouton sur le nez... « T'sais dans mon article d'hier, Geneviève, j'ai dit que , tu gagnerais peut-être la medaille de bronze du contre-la-montre. T'es fâchée que j'aie dit peut-être ? Fâchée que j'aie pas dit la médaille d'or ?

Elle ne m'a pas répondu. Mais elle a gratté un peu son bouton sur le nez. Peut-être qu'il piquait. Elle est venue reconnaître le parcours avec André Aubut, son entraîneur personnel. Ils sont arrives il y a trois semaines. Avant tout le monde. Ils vivent à 100 kilomètres d'ici, dans une grande ville nominée Wollongong où l'équipe canadienne a établi son camp de base. Geneviève et André font bande à part comme toujours, mais cette fois, pas de chicane, ils ont carte blanche. On leur a dit: « Faites ce que vous voulez, faites pour le mieux. »

André est ravi. La petite aussi. Ils ont loué une auto. Ils vont s'entrainer où ils veulent, à leur manière. C'était la troisième fois hier qu'ils venaient reconnaître le parcours. Vous pouvez parier que le 26, au départ de la course sur route, et le 30 au départ du contre-la-montre, pas une fille du peloton n'aura le parcours dans la tête comme Geneviève. Elle saura par coeur chaque virage et chaque faux-plat où relancer.

« C'est ce qu'on a fait aujourd'hui, les virages... Je suis exactement dans le même état d'esprit, aussi affûtée, aussi impatiente de courir qu'au championnat du monde en Italie l'an dernier... »

Dieu que cette enfant a grandi depuis un an. Personne ne la connaissait l'an dernier à la même époque, et la voilà aux Olympiques, les anneaux tatoués sur la cheville, un bouton sur le nez, catinée par une demi-douzaine de commanditaires, un site sur le Web où elle chronique quotidiennement - « www.Rona.ca » - enfin où elle chroniquait, un règlement du CIO interdisant aux athlètes ce genre de collaboration à partir d'aujourd'hui.

Après avoir remporté le tour de Snowy en Austalie au mois de février, elle est allée surprendre les Européennes à la Flèche Wallonne, en Belgique. Puis il y a eu la déconvenue du mont Royal, la parenthèse farfelue des championnats canadiens où elle s'est qualifiée... au sprint. Ajoutez à cela des mois d'entraînement en Arizona, en Caroline.

- T'es pas tannée ?

- Pas du tout. M'entraîner me sécurise.

- Tu commences à bien connaître l'Australie, comment tu trouves ?

- Chère ! C'est moi qui fais les courses pour la bouffe, et c'est moi qui paie, oh! là! là! Et on ne fait même pas de folies. Des pates, un peu de viande...

- Qu'est-ce que tu lis en ce moment ?

- Un truc passionnant sur l'Égypte. Ça se passe dans une communauté d'artisans qui fabriquent les tombes des pharaons...

Parlant de pharaon, tu sais ce qu'un célèbre pharaon a dit une fois à son fils qni était un grand champion de tir à la carabine ? Il lui a dit mon fils, l'important n'est pas de gagner, l'important c'est... c'est quoi Geneviève l'important ?

De participer.

Non, Geneviève. Ce n'est ce qu'a dit le célèbre pharaon. Il a dit l'important n'est pas de gagner, l'important est d'être un sage. Es-tu une sage, Geneviève ?

Elle a pris un air un peu découragé. Mais c'était peut-être son bouton sur le nez.

S'CUSE GORDON - Parlant de la course sur route, le café où j'ai rencontré Geneviève est au pied d'une côte d'environ deux kilomètres que les coureurs vont avoir à gravir 14 fois. C'est pas une bonne nouvelle pour Gordon Fraser. Je pensais que Flash Gordon qui peut battre les meilleurs sprinters européens dans un bon jour serait sur le podium. Oubliez ça. Il ne sera pas dans les vingt premiers. Zabel peut-être. Hincapie. Un Hollandais sur les champignons magiques, Bartoli... pas Fraser. Excuse-moi, Gordon.

ÇA TIENT PAS DEBOUT - Quand vous lisez dans mes textes de Sydney « Hier après-midi j'ai rencontré machin », ça vous mêle ? Pour parler à votre heure, il faudrait que j'écrire « Demain matin, j'ai rencontré ! », mais ça tient pas debout, c'est pas français « demain matin j'ai rencontré ». Vous avez regardé la cérémonie d'ouverture à trois heures du matin vendredi. Moi je l'ai regardée vendredi soir. C'est fou. Ça sert à quoi d'être sur place ? Je l'ai vue après vous. Ce sera pareil pour la finale du 100 mètres. Vous allez la voir avant moi. J'ai une idée. Je vais vous appeler O.K. ? Comme ça, je vais pouvoir faire mon texte d'avance...

SI J'AVAIS SU - Je suis jaloux. Ah si. Je suis jaloux de mon collègue Martin Smith du Journal de Montréal. Je suis allé chez lui hier. Il loue une chambre dans une villa au-dessus de l'océan Padffique. Il y a un grand jardin avec des palmiers, un bananier avec des bananes dedans. Il y a un chien noir et blanc. Il y a une chatte noir et jaune, une écaille-de-tortue magnifique. Il y a des lapins. Non c'est pas vrai y a pas de lapins, mais c'est drôlement mieux quand même que ma cellule à 230 $.

C'EST ASSEZ BON - Trouvez-vous abusif que le CIO interdise aux athlètes de collaborer avec les journaux par Internet ou autrement ? Moi, je suis plutôt d'accord. Des dizaines d'athlètes tiennent leur journal par email dans les plus grands quotidiens de la planète et bien sûr sur Internet. Stop. Est-ce que je saute à la perche, moi ? Comment ça, je ne suis pas capable. Pensez-vous qu'ils sont capables d'écrire, eux ?

DES NOUVELLES DE JULES - Jules le kangourou, mais si, je vous en ai parlé le premier jour. Je vous ai dit qu'en face de la cafétéria au village des médias, y'avait un parc avec des kangourous, et y'en avait un qui s'appelait Jules. Il est très gentil. Ce matin, j'arrive il y avait un Chinois qui était là qui le regardait. Jules regardait le Chinois. Eh, oh, méfie-toi Jules, c'est pas un ami, lui. J'ai demandé à Bernard Brault, le photographe de La Presse qui est ici, de le poser pour que vous le voyiez. Il tricote super bien à part ça. Vous n'avez jamais remarqué avec leurs petites pattes d'en avant, les kangourous ont l'air de tricoter. Vous allez voir comme il est beau...