Le dimanche 17 septembre 2000


Le mauvais jour
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Il y a des jours comme ça où on ne devrait pas sortir de chez soi, de ces jours pourris où rien ne va, des jours pas faits pour le sport. Ainsi ce samedi d'ouverture des Jeux pour Alexandre Jeltkov. Il ne pourra même pas dire qu'il est tombé comme Carol Montgomery au triathlon. Deux petites fautes - un « lâcher de prise » laborieux et une réception hésitante - pas vraiment une mauvaise routine, juste une routine ordinaire et Alexandre Jeltkov était sorti des Jeux, bonjour, merci, vous reviendrez dans quatre ans.

Juste avant Alexandre avait complètement raté son exercice au sol, mais ça c'était pour se réchauffer. C'est la barre fixe son affaire. Vice-champion du monde et un des meneurs de la Coupe du monde.

Chaque fois qu'on m'a demandé d'évaluer les chances des athlètes du Québec aux Jeux, chaque fois j'ai dit: « N'oubliez pas Jeltkov. Jeltkov représente une médaille plus sûre que Surin ou que Gill, ou Montminy. Jeltkov c'est le même acier que Caroline Brunet. »

La gymnastique est moins affaire de hasard que les autres sports. En gymnastique on sait qu'il est des choses qui n'arriveront pas. Comme hier par exemple, il n'était pas question que Jeltkov ne se classe pas dans les huit premiers. Ce ne devait être qu'une formalité. Une simple ronde de qualification. Il ne s'agissait que de bien exécuter une routine prudente. Pas de moutarde pour impressionner les juges. Le train-train de son entraînement quotidien au centre Immaculée-Conception. Un 9,72, Sasha se serait frotté les mains pour en faire tomber la poudre de magnésium et serait parti se promener dans Sydney avec ses parents arrivés la veille. Les juges lui ont donné 9,662. Serge Castonguay, son entraîneur, les a trouvés un peu sévères, mais il se dépêchait d'ajouter: « Même avec le 9,68 qu'il méritait, Sasha ne serait pas entré dans les huit premiers. »

S'il était tombé au moins. Cassé quelque chose. Rien. Le pire en gymnastique, sport de perfection, c'est d'être moyen. Pour être moyen on fait dentiste, plombier, journaliste, coureur cycliste même, finir 24e dans le peloton, c'est bien. On ne fait pas de la gymnastique pour finir dans le peloton mais pour être seul sur sa planète.

Il y a des jours comme ça où on ne devrait sortir de chez soi que pour aller au cinéma et faire la queue avec les autres.

Presque un faux pas

Ouf! Les filles du water-polo ont eu chaud ! Il restait trois minutes, elles perdaient 7-5 contre les Russes. il a fallu deux exploits, un de Johanne Bégin et un autre de Cora Campbell qui a amené le but égalisateur de Marie-Claude Deslieres, pour qu'elles s'en sauvent sans trop de dommage. Ouf...

« On a montré qu'on avait du caractère », se satisfaisait l'entraîneur Daniel Berthelette après le match. Je ne suis pas pour l'obstiner, j'ai vu deux matches de water-polo dans ma vie, celui-là et un autre il y a trente ans. Mais me semble qu'elles ont eu de la chance aussi, en plus du caractère. Sans parler des arrêts miraculeux de leur gardienne Josée Marsolais qui, parait-il, est la meilleure gardienne de water-polo au monde. Je le crois volontiers.

Dieu que ce fut un match ardu. Elles ont compté le premier but et puis elles ont laissé les Russes imposer leur rythme. On aurait dit qu'elles jouaient sans enthousiasme. En fait elles étaient paralysées par le trac. Aucune inspiration à l'attaque. Des ballons perdus. Des poteaux. Des tirs prévisibles dans les mains du gardien russe. Bref, ça manquait tellement de caractère que même si je n'y connais rien, je me disais c'est pas possible, c'est pas les filles allumées que j'ai rencontrées il y a quelques jours. Je me suis dit que je m'étais peut-être trompé de piscine. Je me suis renseigné : vous êtes sûr que ce sont les Canadiennes qui jouent, on dirait plutôt des Belges, c'est pas des Belges ?

On rigole n'empêche qu'elles se sont compliqué la vie pour rien en ne battant pas les Russes. Il y a six équipes dans ce tournoi olympique, quatre d'égale force, Australie, Hollande, États-Unis, Canada. Une coche en dessous il y a les Russes. Deux coches en dessous, le Kazakhstan. C'est pas compliqué, il faut battre les Russes et le Kazakhstan pour atteindre la ronde finale.

« C'est souvent comme ça, disait Johanne Bégin après le match, on commence très lentement. On était pourtant très impatientes de jouer et on s'est bien réchauffées avant, je ne sais pas... »

« Nous, on est très heureuses du résultat prétendait de son côté, Josée Marsolais. Nos deux buts dans les dernières minutes, c'est bon pour le mental, ces deux buts-là nous ont fait entrer véritablement dans le tournoi. »

Tant mieux parce que ce soir, ça va être une autre histoire. Ce soir, elles affrontent les Américaines, qu'elles détestent, et qui le leur rendent bien. Alors, ça va être la guerre. Et c'est mieux de pas dormir à la guerre.

L'HIMALAYA - Je suis aussi allé faire un tour à la boxe à Darling Harbour hier après-midi. Pas tellement pour la boxe, pour Mohammed Ali. Pour serrer la main à un Grand de nôtre temps. Il y a des hommes comme ça, Maurice Richard en fut un, qui SONT une époque. Il se trouve que celle d'Ali est la mienne. Ali a changé le sport ou est-ce la guerre (du Viêt-nam) qui changeait le monde et Ali n'a fait que remonter le courant ? On ne sait jamais précisément ces choses-là.

Il s'est avancé à pas prudents vers l'arène, dès que les gens l'ont reconnu une sourde rumeur s'est levée des estrades A-li ! A-li ! A-li ! L'émotion l'a fait trembler plus fort. Il a voulu saluer, son bras s'est comme disloqué. Il a serré des mains, il a touché la mienne que je tendais avec des dizaines d'autres.

Au souper, un confrère m'a demandé où j'étais passé. À la boxe mon vieux, à la boxe. Les boxeurs canadiens ont-ils gagné ? Je ne sais pas. Je ne suis pas allé là pour voir des boxeurs canadiens. Et pourquoi alors ? Pour voir l'Himalaya qui a la maladie de Parkinson.

Savez qu'ils me prennent pour un morron ?

LA LITURGIE - « Cathy (Freeman) marche sur l'eau. Du sublime au stupéfiant. Un feu qui brûlera pour toujours dans notre mémoire. Des images de feu dans notre coeur ». Deux jours plus tard, les Australiens délirent encore sur leur cérémonie d'ouverture taudis que la presse internationale s'obstine : c'était plus beau à Barcelone. Non c'est ici... Pourquoi on n'organise pas à travers le monde une compétition de cérémonies d'ouverture ? D'ouverture de quoi ? De rien. Pas nécessaire qu'il y ait de quoi après... Il n'y avait personne au water-polo hier. C'était clairsemé à la boxe. La mévente des billets, particulièrement en handball et en athlétisme (les matinées seront presque vides), représente 100 millions de manque à gagner pour le comité organisateur. Pourquoi on ne ferait pas la cérémonie de clôture tout de suite ?

Pour moi aussi les Olympiques sont une messe. Sauf que je trouve que la liturgie prend beaucoup trop de place. C'est le show que les gens aiment. Qu'il aillent au cirque, pas à la messe.

LA TAVERNE DU COIN - La sécurité n'est pas moins omniprésente à Sydney qu'aux autres Jeux. On passe au détecteur de métal 50 fois par jour, le plus achalant c'est de vider ses poches, non, le plus achalant ce sont les bénévoles zélés, ceux qui te font ouvrir ton ordinateur des fois que ce serait une machine infernale. Mais il y en a aussi des gentils. L'autre matin, je vais courir dans le parc en face du village et j'oublie mon accréditation dans ma chambre. En revenant je dis au type de la sécurité « accompagne-moi jusqu'à ma chambre, je vais te la montrer». Un coup rendu là, je lui ai fait un café. J'ai essayé de l'embarquer dans une conversation sur les aborigènes.

Hier, je suis allé faire un tour à Redfern, je, lui dis comme ça.

Pourquoi t'es allé là ? Il était sur la défensive. Redfern est un quartier délabré au coeur de Sydney, habité par des aborigènes.

- Je sais ce que les touristes pensent des Australiens là-dessus. Mais c'est faux. Je ne suis pas raciste, la grande majorité des Australiens ne le sont pas non plus. Les choses changent beaucoup. Il y a une volonté de vivre ensemble qu'il n'y avait pas du temps de mes parents . Il y a une curiosité de la culture, de l'histoire indigène, mais il y a aussi une grande fatigue des débats, des chicanes. Sous prétexte qu'ils étaient là avant nous, les aborigènes ont des revendications territoriales complètement ridicules. Ils ne veulent pas seulement des excusés, ils veulent toute l'Australie. Et ils ne veulent des excuses que comme - argument de négociation. Pourquoi tu ris ?

- Parce que je trouve ça drôle de faire le tour du monde pour me retrouver à la taverne au coin.

UN AUTRE ! - Je viens d'apprende la mort, de Jean-V. Dufresne, ce n'était pas un ami; c'était un modèle. J'ai longtemps découpé ses papiers, j'ai toujours gardé le portrait qu'il avait fait de Deschamps dans L'actualité. J'y pense, il serait à propos de ressortir ses chroniques olympiques des Jeux de Montréal qu'il avait couverts, je crois, pour le Devoir. Des bijoux. Salut collègue.