Le lundi 18 septembre 2000


Une journée aux Jeux
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Je me suis levé vers cinq heures. J'ai allumé la chaufferette, on gèle le matin. J'ai tapé mes textes. Ma fiancée a appelé vers huit heures. Allo fiancée. On a parlé des minous, de Trudeau qui n'est pas mort, de Stéphane Bureau qui est rentré pour rien. J'ai ri comme un fou. Je lui ai demandé comment c'était les Jeux chez nous, à la télé et à la radio. « Ils n'arrêtent pas de parler de la petite Émilie Fournier, je trouve qu'ils en beurrent épais », elle a dit.

Vers dix heures je suis parti pour la gymnastique, au Superdôme, voisin du Stade olympique. Je me suis assis dans la section réservée aux athlètes. Émilie Fournier était là avec ses béquilles, Jeltkov aussi. Émilie mâchait de la gomme et buvait du coke. Les routines ont commencé, elle s'est mise à encourager bruyamment ses amies. Allez Julie - sa grande chum Julie Beaulieu. Allez Lise!! - sa remplaçante Lise Léveillé. Elle s'est cachée la tête dans ses mains quand Julie a raté sa routine au sol. Je ne savais pas quoi lui demander. T'es triste? Tu vas revenir dans quatre ans? Je lui ai foutu la paix.

Alexander Jeltkov est allé se chercher une bière. Il m'a dit j'ai le goût de rentrer à Montréal, de virer un party monstre avec mes amis. Un confrère qui regardait la télé s'est écrié: hey « on » vient de gagner une médaille d'or en triathlon.

Sur le plancher, les Canadiennes allaient passer au cheval, leur dernier appareil. Elles n'avaient pas fait si mal. Ni si bien. Un peu désastreux au sol. Seule Yvonne Tousek se qualifierait dans les 36 premières. Les Jeux étaient finis pour les quatre autres.

Je suis retourné au centre de presse à pied par Olympic Boulevard, noir de monde. Au bureau média de l'équipe canadienne, le vainqueur du triathlon, Simon Whitfield, donnait une conférence de presse. Un jeune homme très cool qu'on verrait mieux dans un sport de glisse avec des shorts trop larges et son walk-man sur les oreilles.

Il était l'heure de partir pour le water-polo qui se joue à la piscine de Ryde, une banlieue un peu chic comme Saint-Lambert. Métro et autobus, une heure et demie. Pour revenir aussi, une heure et demie. J'ai ramassé les résultats en revenant. Mayden médaille de bronze du 400 quatre nages comme à Atlanta.

J'ai soupé. Je me suis couché. Il était minuit.

Il est cinq heures. Je viens d'allumer la chaufferette, on gèle le matin.

Allez donc savoir...

Jusqu'à trois minutes de la fin les filles on joué un match époustouflant. Waneek Horn-Miller avec trois buts avait déterré la hache de guerre, Josée Marsolais arrêtait tout. Les Américaines, frustrées, jouaient de plus en plus salaud.

Il restait trois minutes, 8 à 5 Canada. C'était fini. Enveloppé. Next. Formées à l'école hongroise, les Canadiennes qui ont la meilleure défensive du monde ne pouvaient pas perdre. Elles n'ont pas perdu. Elles ont fait match nul. Elles étaient effondrées, détruites. Plusieurs au bord des larmes.

Comment elles se sont fait remonter 8-6, puis 8-7, je ne sais plus. Dans ces moments-là on regarde le cadran. Il restait une poignée de secondes à écouler au match. À ce jeu-là une équipe a le droit de garder le ballon 35 secondes. Les filles n'avaient qu'à écouler le temps. Va savoir pourquoi Marie-Claude Deslières le pivot de l'équipe canadienne a remis le ballon dans les mains de Maureen O'Toole, 40 ans, 395 matches internationaux. De O'Toole à Robin Beauregard qui s'échappe et compte. C'est 8-8 et le Canada, avec deux point dans le tournoi se retrouve en danger d'être exclus de la ronde finale.

« Marie-Claude c'est notre vétérante, notre joueuse la plus expérimentée en défensive. Notre Guy Carbonneau. Elle avait joué un superbe match jusque-là, qu'est-ce qui lui a pris tout d'un coup de jouer comme Stéphane Richer ? » Encore atterré, l'entraîneur Daniel Berthelette essayait de nous amuser avec ses références au hockey, mais le coeur n'y était pas du tout.

Un peu plus loin Waneek était à prendre avec des pincettes. « J'étais hot, tout marchait bien, c'est tout ce que je peux vous dire. Pour le reste allez demander au coach. »

Plus sereine, Josée Marsolais tempérait les compliments que lui adressait tout un chacun : « J'ai joué un bon match, mais j'en ai joué des meilleurs. Dans le premier quart en particulier, j'ai donné deux buts que j'aurais dû bloquer »...

Leur cause n'est pas encore désespérée, mais un autre match nul contre le Kazakhstan, ce soir, serait totalement désastreux. Le Kazakhstan est la plus faible des six équipes. Il leur faudra battre aussi absolument la Hollande le lendemain.

***



Ce soir c'est Maryse Turcotte au Convention Center. Maryse de très bonne humeur. Maryse qui a appris que trois des filles qui l'ont devancée au championnat du monde d'haltérophilie à Athènes ne seront pas là. La Chinoise Chen Yanqing, la Bulgare Simova et la Taïwanaise Kuo Ping-Chun. Maryse commence à croire qu'elle pourrait gagner une médaille, elle qui disait que la meilleure place qu'elle pouvait espérer était la quatrième, la voilà le bout des orteils sur le podium.

Troisième, quatrième ou huitième ce sera de toute façon une victoire. Celle de l'honnêteté. Celle du sport d'avant qu'il soit hypercommercialisé.