Le mardi 19 septembre 2000


Le bonheur de Maryse
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Rayonnante Maryse. Pas d'or, pas d'argent, pas de bronze. Quatrième. La plus heureuse quatrième de l'histoire des Jeux. L'or, c'est nous qui l'avons eu après, dans la zone mixte où elle est venue nous parler. L'or de son sourire. Quatrième. Elle me l'avait dit en juillet: « Quatrième, ce serait bien. » C'est ce qu'elle a fait. Aucun regret pour la médaille de bronze. Avant que commence la compétition, les haltérophiles doivent annoncer quelle charge elles comptent lever à leur premier essai. Cela donne une idée du combat qui s'en vient. Maryse était soufflée: « Qu'est-ce qu'elles ont mangé? Je les connais, ces filles-là. La Mexicaine, la Polonaise, la Biélorusse... Je me disais: voyons, elles visent bien au-dessus de leurs performances habituelles... J'étais découragée. Je me suis dit: je vais ma petite affaire, comme si je levais au Québec, on verra bien. »

Elle a fait son entrée à 87,5 kg. Très calme. Ni conquérante ni impressionnée. Tout de suite chez elle sur ce plateau olympique, dans ce vaste auditorium presque vide. Familière comme à son petit gymnase de l'école Antoine-Brossard. Elle donne un swing à sa queue de cheval, replace son cuissard, la sirène qui annonce qu'il ne lui reste plus que 30 secondes ne la fait pas se hâter. Une lenteur qui fait trépigner son chum-entraîneur dans le couloir: « Envoye, Maryse ». Elle se barbouille les mains de magnésium, place ses doigts sur la barre, un par un comme si elle allait jouer du piano dessus. Neuf secondes. Elle arrache la barre de toute la force de son dos, passe dessous, la monte bien haut, bras tendus. Vacille. Fait un pas en avant. S'immobilise.

Et ce sourire! Elle ratera son second essai à 90 kg. Réussira le troisième égalant sa meilleure performance à l'arraché. Record du Commonwealth. Elle embrasse la barre de contentement. Et de soulagement. L'arraché est le plus faible de ses deux mouvements. Elle était septième après l'arraché. À l'épaulé-jeté, elle est une des trois meilleures au monde, mais pour aller chercher la médaille de bronze, il lui aurait fallu à l'épaulé-jeté 122,5 kg. L'inconnu. Cent vingts kilogrammes, c'est son plus haut. Déroutant pour le profane. On les voit arracher des charges proprement inimaginables et soudain elles se mettent à freaker pour cinq livres de plus. Deux cent soixante-quatre livres ça va. Mais 269, impossible! Maryse avait réussi 115 kg avec beaucoup de facilité. À 122,5 kg, on l'a sentie intimidée. Comme si elle avait peur de la barre. C'est à peine si elle l'a décollée à ses deux essais. Comme il y a la goutte qui fait déborder le vase, il y a, en haltérophilie, la livre de trop qui pèse 12 tonnes.

Littéralement, cette quatrième place vaut de l'or pour Maryse. Enfin de l'or! Exactement 26 400$. Deux années de bourse d'Ottawa. L'haltérophilie n'étant pas classée par Sports-Canada dans les 38 sports majeurs subventionnés, la seule façon pour les haltérophiles d'être cardés, c'est de finir quatrième aux championnats du monde ou aux Jeux olympiques. La Nigérienne qui devançait Maryse à la quatrième place ne se doute pas du service qu'elle a rendu à la Canadienne, quand elle a raté son troisième essai de suite à 117,5 kg! « Quand elle a raté, je me suis laissé aller en arrière et j'ai dit ouf! dans le vestiaire. Me voilà assurée du minimum pour au moins deux ans. Je n'aurais pas pu continuer autrement, même avec la générosité de mes deux petits commanditaires (Sac Magique et le Palmier glacé) et le parrainage du joueur de hockey Sylvain Lefebvre, saluez-le pour moi, dites-lui encore merci. »

C'était Maryse telle que je l'avais vue cet été. L'esprit olympique dans toute sa simplicité, sans millions, sans flonflon. L'esprit olympique dans un gymnase d'une école secondaire de Brossard. Sans coach bulgare. Sans céréales magiques.

Lèse-majesté

On vous a peut-être dit que l'Australie était une république, c'est faux. C'est un royaume. Et leur roi est un ado de 17 ans, lan Thorpe. Dit Thorpédo. Dit la torpille.

Un ado comme les autres. Sa chambre est mal rangée, il ne travaille pas très bien à l'école, se tiraille avec sa soeur. Il aime, dans cet ordre, la crème glacée, sa mère, le groupe Red Hot Chili Peppers, les jeux sur Internet, le sitcom Friends, niaiser avec ses copains « on peut rire comme des fous, pis on sait même pas pourquoi ». Un ado comme les autres sauf qu'il nage très très vite. Le monde de la natation n'avait rien vu de tel depuis Mark Spitz. Thorpe est roi d'Australie et de toutes les piscines du monde.

Thorpe nage le 200 et le 400. Nage libre évidemment. Le crawl. On ne devient pas roi en nageant sur le dos, ou papillon, encore moins à la brasse.

Les Australiens, sans doute parce qu'ils vivent presque tous au bord de l'eau, sont complètement fous de natation. Les gens dans la rue savent les temps, connaissent les nageurs étrangers, pour vous dire, Yannick Lupien que vous ne connaissez pas moi pas tellement non plus se fait reconnaître à la piscine par des spectateurs qui savent qu'il est le seul nageur canadien à être descendu sous les 50 secondes au 100 mètres. Ça vous donne la mesure.

En fait la seule raison pour laquelle Sydney a demandé les Jeux c'est pour montrer la merveille lan Thorpe au monde. Et samedi 16 septembre 2000, premier jour des Jeux, restera une date historique dans la mémoire des Australiens. Deux médailles d'or et deux records du monde pour Thorpe. Down under a viré sur le top. En début de soirée, comme pour s'échauffer, Thorpe est allé cueillir la médaille d'or du 400, je dis cueillir, tant il y avait de la facilité, presque de la désinvolture dans cette victoire acquise par plus de trois secondes sur l'italien Rosolino.

Mais c'est surtout sa deuxième médaille qui a plongé l'Australie dans un océan de bonheur. Celle du relais 4x1OO. Au finish, pour le quatrième segment, Ian Thorpe était opposé à Gary Hall, la plus grand gueule de toute l'histoire de la natation, le nageur le plus détesté de la planète, mais un sprinter redoutable. Hall prend aussitôt l'avantage sur Thorpe. Le gamin manquera-t-il d'essence ? Non, porté par le seul cri des 15 000 spectateurs, go Aussie go, il coiffe l'Américain d'un cheveux.

Dimanche rien. Ah! si. Dimanche première offense au roi. En matinée série de qualification pour le 200, propriété exclusive de Thorpe. Sauf que, oups, en première demi-finale, le Hollandais Pieter van den Hoogenband bat le record du monde de Thorpe, 1:45,35. Piqué au vif, le gamin donne tout ce qu'il a dans la seconde demi-finale pour reprendre son bien. Il échoue par deux centièmes de secondes. 1:45,37.

La table était mise pour la finale, comme on dit. C'était hier soir. « Race to stop nation ». À 19 heures exactement, l'Australie s'est arrêtée de respirer.

J'étais à l'haltérophilie à l'auditorium du Convention Center, à cette heure-là un retentissant « fuck » s'est soudain élevé dans le silence feutré de l'auditorium. Ian Thorpe venait de perdre. Nettement battu. Le Hollandais égalisant son record du monde établi l'avant-veille.

Tout ça pour vous dire que les Australiens font la gueule ce matin. S'ils avaient su, ils n'auraient pas organisé les Jeux. Pourquoi faire ? Pour se faire insulter par un Hollandais ?

GYMNASTIQUE - Honnête performance des Canadiennes à la gymnastique qui se sont classées neuvièmes ( sur douze équipes ). Elles étaient dixièmes aux derniers championnats du monde. Au classement individuel, on retrouve deux Canadiennes dans les 36 premières, ce qui les qualifient pour le tournoi « all-around », Yvonne Tousek quinzième et la toute jeune Kate Richardson de la Colombie-Britannique au 28e rang. Lise Leveillé est 51e, Julie Beaulieu 52e et Michelle Conway 68e. Aucune Canadienne ne s'est qualifiée pour les finales individuelles aux appareils.

Cette ronde de qualification montre que la gymnastique féminine est plus que jamais l'affaire des Roumaines et des Russes, les Chinoises un cran en dessous, et les Américaines ( sixièmes derrière les Espagnoles ) en dégringolade depuis Atlanta.

Mais le gros changement pour qui, comme moi, regarde la gymnastique une fois par quatre ans, il est dans la stature et l'âge des filles. Ce ne sont plus des gamines pâlichonnes, élastiques, vaguement anorexiques, qui rebondissent partout. Maintenant l'accent est mis sur la puissance. Des cuisses, des épaules. Elles font moins enfants battues. On a moins envie d'appeler la DPJ.

PETITE ANNONCE - En allant déjeuner j'arrête toujours à l'espèce de petite salle de presse du village, pour aller vérifier sur un terminal interne les messages de l'Association Olympique Canadienne. Ce matin il y avait un message du presque ministre des sports, M. Coderre, qui nous informait qu'il est disponible pour des entrevues.

Personnellement je n'ai absolument rien à lui demander, mais je me suis dit que peut-être il avait des gens que cela intéresserait et rendu à la cafétéria, j'ai cogné ma petite cuillère sur le bord de la table pour demander le silence :

Eh! oh! , tout le monde, M. Coderre fait dire qu'il veut bien vous donner des entrevues. J'ai répété en anglais et en italien. Y'avait des Chinois, des Polonais, et une Norvégienne à ma table, personne a levé la main.

Après je suis allé voir Jules dans l'enclos des kangourous. Hey Jules ? Aimerais-tu ça que je t'amène Coderre ? Comment il est ? Il te ressemble beaucoup, je trouve. Il est très sautillant et un peu préhistorique.