Le mercredi 20 septembre 2000


Vingt ans
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

À quoi pensais-tu?

C'était soirée de gala hier à la piscine olympique. Susie O'Neill, Ian Thorpe, Michael Klim, Popov, Van den Hoogenband. Et Yannick Lupien, 20 ans, de Sainte-Foy, P.Q.

Les Australiens aiment Susie O'Neill plus encore que Thorpe. Ils l'ont accueillie debout. Elle les a récompensés de la médaille d'or du 200 nage libre. Puis ce furent les demi-finales du 100. Popov, Klim, le Hollandais volant Hoogenband qui a établi un nouveau record du monde, brisant pour la première fois la barrière des 48 secondes: 47,84. On écrivait l'histoire. Dans les coulisses, Yannick, même s'il est grand pour son âge, commençait à se sentir petit.

La soirée devait se terminer par une mise à mort. Il existe une sorte de mouette qui tue sa proie en la laissant tomber du haut des airs. Et si elle n'est pas morte, elle recommence. Après, elle lui ouvre le crâne à coups de bec pour lui manger la cervelle. C'est exactement ce que les nageurs Australiens, Ian Thorpe, Michael Klim en tête, ont fait aux Américains hier dans le relais 4x200. Le public était ravi.

Parce qu'il faut bien remplir les autres couloirs, participaient aussi à ce relais des Anglais, des Néerlandais, des Russes, des Allemands, des Italiens et des Canadiens dont Yannick Lupien, 20 ans qui partirait le dernier. Un honneur.

À quoi pensais-tu?

Yannick pensait à ses parents dans les gradins. À ses copains à Sainte-Foy. Il aurait dû penser à sa course. Un désastre. 1.52.8. Dans cette même eau qui mouillait Thorpe et Hoogenband, une honte. Deux secondes de trop qui ont coûté la sixième place aux Canadiens. J'attendais Yannick dans la zone mixte. Il est passé sans un mot. Si, un: merde. Michel Bérubé, son entraîneur, lui a parlé longtemps. Bérubé gesticulait. Yannick était au garde-à-vous.

Qu'est-ce qu'il t'a dit?

Il m'a dit que la performance venait de l'intérieur, mais que j'étais tourné vers l'extérieur.

Vingt ans. Les parents, la famille. Les journalistes. Les copains qui veulent savoir: comment il est Thorpe? Jusqu'à madame Chrétien, tiens, l'autre jour, au village des athlètes qui lui a demandé de lui servir de guide.

Vingt ans. Il nage depuis l'âge de cinq ans, mais il vient de prendre sa première leçon de vie. Il vient d'apprendre qu'on va chercher les victoires, celles qui comptent, dans une effroyable solitude.

Non, ça va pas bien !

Les athlètes canadiens courent de désastre en désastre depuis quelques jours, en fait depuis la victoire surprise de Simon Whitfield au triathlon. Trois désastres, pour la seule journée d'hier c'est beaucoup pour un pays qui a très imprudemment beaucoup investi dans le concept de l'équipe-nation.

Trois désastres et je ne parle même pas du cas de Monsieur Eric Lamaze et de son cheval qui fait rire tout Syd-nez. Excusez-moi.

Pour revenir aux désastres - on n'a pas gagné de médailles - je commencerai par celui qui me laisse le plus indifférent, l'élimination de la sprinteuse Tanya Dubnicoff au vélodrome. Tanya, qui était un podium assuré, s'est fait sortir en deux manches consécutives par une inconnue, une Ukrainienne qui l'a défiée les deux fois de la même façon en lançant le sprint de très loin, Tanya n'a jamais été capable de la remonter. Pourquoi ça me laisse indifférent ? Mettons que ce n'est pas la fille la plus sympathique en ville.

Mettons que si ça pouvait les consoler, j'irais plutôt prendre un café avec Marianne Limpert et Joanne Malar. Quatrième et cinquième de la finale du 200 quatre nages, mais il faut parler ici de déconvenue plutôt que de désastre. Et encore, même déconvenue est impropre, Limpert ayant améliore son meilleur temps de 50 centièmes de seconde. Hélas hélas en ce pays, la gloire se compte en médailles qui font guéling-guéling, pas en centièmes de seconde.

Non, ça ne va pas bien pour le Canada mais ça ne va pas beaucoup mieux pour la petite planète Québec. Après l'immense ratage de Jeltkov à la gymnastique, une autre belle histoire est en train de tourner en petit cauchemar: au water-polo féminin, les filles en arrachent beaucoup. Si elles se qualifient, ce sera par la peau des dents, ce sera parce que les Néerlandaises auront battu les Russes ce soir. En tout cas de bien glorieux. Rien de l'épopée promise. Encore qu'on ne nous ait rien promis. On rêvait, c'est tout. On voulait tellement que ce soit une belle histoire, on manque tellement de belles histoires...

Ça va pas bien et on n'a pas encore parlé du vrai malheur qui a frappé nos cyclistes, en particulier Lyne Bessette et Clara Hughes. L'autre matin, Clara pitonnait sur Internet pour aller voir le résultat du critérium de Boston et Lyne qui partage sa chambre l'entend dire tout d'un coup: « Oh non! Oh non! Non. » Clara est en pleurs, Lyne qui se demande bien ce qui arrive, va lire la nouvelle à son tour: Nicole Reinhart, leur jeune coéquipière, 23 ans, de l'équipe Saturn s'est tuée dans le dernier tour du critérium de Boston. Atterrées, Lyne et Clara ont beaucoup pleuré depuis deux jours. Cette soudaine irruption de la mort a relégué leur rêve olympique au second plan, dans quel état les laissera leur immense chagrin ? Je mesure toute la vanité de la question en la posant, mettons que personne ne les blâmerait de n'avoir ni les jambes ni le coeur à pédaler mardi prochain.

Mais connaissant un peu Lyne, ça pourrait être aussi tout le contraire. Je suis sûr qu'elle pense en ce moment à l'extraordinaire chevauchée de Lance Armstrong il y a quelques années dans le Tour de France, son arrivée en solitaire, un doigt tendu vers le ciel, dédiant sa victoire à son coéquipier Fablo Casartelli qui s'était tué l'avant-veille sur la route du Tour.

DES CONSEILS POUR ÊTRE BELLE - La Néerlandaise Leontien Zijlaard (ex Van Moorsel), championne du monde du contre-la-montre en Italie l'an dernier, avait renoncé au contre-la-montre olympique pour se consacrer, disait-elle, à la poursuite olympique. Hier, elle a donc gagné la médaille d'or de la poursuite et la voilà maintenant qui s'annonce pour le contre-la-montre. Ce n'est pas vraiment non plus une bonne nouvelle pour « nos » filles, Geneviève Jeanson et Clara Hughes.

Va savoir comment la conversation a bifurqué, lors de la traditionnelle conférence de presse après la remise des médailles, la Française Marion Clignet qui a terminé deuxième, s'est mise à dire quelle belle athlète était Leontien, et comme c'eût été dommage de la perdre à cause de toutes ces conneries de régimes amaigrissants qui rendent les femmes malades. « C'est de la faute des médias, se pompait-elle, la Française, et de leurs magazines pleins de Barbie anorexiques ! » Et Leontien - qui, soit dit en passant, n'est pas toutoune du tout - de nous apprendre qu'effectivement, elle avait quitté le vélo en 1994, pour cause d'anorexie. « Je m'entraînais des jours et des jours sans manger pour être maigre, pour avoir l'air plus féminine. »

Je vais te donner un truc, Leontien, pour avoir l'air plus féminine. Change donc de prénom. Essaie Jacqueline ou Louise.

Un autre truc? Arrêtez donc toute la gang de prendre la testostérone comme des folles, ça vous fait des mentons carrés et ça vous donne des boutons dans le front.

ÇA VA ME REVENIR - Le quotidien The Australien de lundi faisait sa manchette avec la maladie de la vache folle. Cent mille personnes en Australie pourraient avoir été en contact avec cette maladie qui s'attaque au cerveau. J'avais un truc à vous dire là-dessus, je ne me rappelle plus quoi. Ça va sûrement me revenir...

VOISINAGE - Mon voisin au village des médias est un Allemand de Hambourg. Nos baraquements se touchent presque. Son bureau est devant la fenêtre. Le mien aussi. Tous les jours, il me demande dans un français impeccable sans accent : Sur quoi écrivez-vous aujourd'hui, monsieur Pierre ? Tous les jours, je lui réponds avec l'accent allemand: j'égris sur les gangourous, Gustav, c'est des animaux vorbidables. Il ne s'appelle pas Gustav. Tous les jours, je change de prénom. Des fois, je le vois qui pique du nez sur son ordinateur. Tu veux des poppers, Anatole ?

CONFÉRENCE DE PRESSE - Vous ai-je dit que M. Coderre avait laissé un message sur le site Internet de l'AOC pour annoncer aux journalistes qu'il était disponible pour des entrevues ? J'ai encore trouvé personne, mais je poursuis mes recherches. Vous, vous, ça ne vous intéresse pas ? Votre beau-frère ?

Je me demandais, je ne sais plus pourquoi je me le demandais, mais ça va sûrement me revenir, M. Coderre a-t-il déjà travaillé avec madame Copps ?

BONNE NUIT - Cette nuit, je suis rentré passé minuit, en passant à côté du parc des kangourous, j'ai chuchoté: Jules, tu fais dodo ? Pas de réponse. Et là j'écoute: il ronflait, ce con.