Le vendredi 22 septembre 2000


Le papa
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Le monsieur là, avec la barbe poivre et sel, quelques rangées plus bas, ne serait-ce pas le papa de Nicolas? Mais, mais il est en train d'applaudir le Japonais qui vient de renverser son fils! Hé, monsieur Gill! Je vous ai vu, je vais le dire à Nicolas!

Je ne suis pas que le papa de Nicolas, monsieur le journaliste. Je suis un amateur de judo. Ce que vient de faire le Japonais à Nicolas ça me fait de la peine pour Nicolas, mais le geste est d'une telle pureté, d'une telle beauté, vous avez entendu, le public a fait Oh! Moi aussi.

Vous vous souvenez à Atlanta, Nicolas venait de perdre, vous m'aviez dit, très calme: « Nicolas n'était pas dans un bon jour, voilà tout », vous aviez même ajouté « C'est pas une catastrophe ». Cette fois Nicolas vient tout juste de gagner la médaille d'argent, que me dites-vous?

Je vous dis la même chose, monsieur le journaliste: ce n'est pas une catastrophe!

L'homme tient du panda, comme son fils. Gros nounours qui s'ébroue comme surpris dans sa sieste. L'homme a changé pourtant, je ne sais pas quoi. Plus tard dans la conversation, il s'ouvrira: « Les lendemains d'Atlanta ont été durs. Ma femme est morte six mois après les Jeux. Une maladie soudaine, très rare. » L'homme a changé: une fêlure.

C'est fou ce que votre fils vous ressemble, M. Gill, jusque dans la façon de parler, je veux dire de parler peu...

Nicolas est beaucoup plus calme. Il m'énerve tellement il est calme. J'ai des papillons dans l'estomac depuis deux jours. Lui non. Il a une force d'abstraction extraordinaire. Pour vous dire, il y a eu Atlanta, puis sa mère est morte comme je vous le disais le 30 novembre. Le 10 décembre, il devenait champion du monde universitaire.

Vous étiez prof à Poly, vous n'auriez pas préféré un docteur en physique nucléaire à un médaillé olympique de judo?

Il y a déjà un docteur dans la famille. Le frère aîné de Nicolas a un doctorat en robotique. Il a fait du judo aussi. Nicolas lui-même est doué pour les études... Ils font ce qu'ils veulent de leur vie, on est juste là pour les aider. On a envoyé Nicolas au Japon quand il était plus jeune. C'est là qu'il a tout appris. Vous savez, ce n'est pas différent d'être parent d'un athlète que d'être parent tout court. Il s'agit d'être là, c'est tout.

Les parents des athlètes. On parle toujours des morons. Il en est d'admirables aussi. Qui sont là, c'est tout.

Nicolas tombe sur le podium

Cela s'appelle paraît-il un uchi-mata, cela devrait s'appeler plutôt un uchi-tata, le gars est projeté dans les airs et se retrouve le cul sur le tatami. C'est comme ça que Nicolas Gill a perdu la médaille d'or: en revolant dans les airs. Mais il n'est pas tombé n'importe où: sur la deuxième marche du podium, pour la médaille d'argent. Il faisait semblant d'en être vexé, fâché, faisait son gros nounours bourru, mais je peux vous dire un truc: il était triomphant.

Cette médaille d'argent lave définitivement l'affront d'Atlanta. Nicolas a vécu hier la plus belle journée de sa carrière de judoka, une journée parfaite si l'on considère qu'il n'avait aucune chance pour l'or.

Aucune. Il affrontait en finale des 100 kg la sensation de l'heure, le Japonais Kosei Inoue, une bête de judo, 22 ans, ses premiers Jeux olympiques et pourtant choisi comme porte-drapeau de l'équipe japonaise pour la cérémonie d'ouverture. Vous connaissez les Japonais, ils n'ont pas tiré son nom d'un chapeau... Inoue et Nicolas s'étaient déjà affrontés trois fois. Trois victoires d'Inoue.

« C'est drôle à dire, expliquait Nicolas juste avant la remise des médailles, Inoue ne disputait même pas un bon combat, il laissait entrer ma main gauche comme je voulais, il n'aurait pas dû. Mais finalement, il est tellement rapide qu'il peut se permettre à peu près n'importe quoi. Main gauche, main droite, il s'en fout. Il est entré si rapidement... une action si nette ! Je me suis senti partir et voilà. Il m'avait fait exactement le meme coup la dernière fois que je l'avais rencontré. »

Nicolas aussi avait été expéditif avec ses deux premiers adversaires, un Néerlendais et un Portugais, qu'il a battu par ippon. Ce fut une autre histoire avec le rugueux Géorgien Iveri Jikurali, une histoire qui a d'ailleurs failli très mal tourner. Il restait moins de trente secondes au tableau, le Géorgien qui menait par un yoko (10 points) avait pris le risque de temporiser ce qui lui a valu une première punition, puis une deuxième et Gill devait finalement l'emporter (11-10) sans avoir compté un seul point, je vous expliquerai une autre fois, sachez seulement que Nicolas était tout au bord de perdre. « Je priais pour que l'arbitre lui donne une punition... »

Pendant ce temps-là, dans le bas du tableau de Gill, l'autre grand favori, le Coréen Jang, se laissait surprendre par un obscur Algérien et c'est finalement le Français Stéphane Traineau que Gill allait affronter en demi-finale.

Traineau, 34 ans, champion du monde en 1993, quatre fois champion d'Europe, médaille de bronze à Atlanta, spécialiste du combat au sol. Un vieux rusé. Il faisait ses adieux, à Sydney.

Battre Traineau, c'était se retrouver en finale en s'assurant la médaille d'argent. Perdre c'était plonger dans l'inconnu du repêchage, aller se frotter en particulier à un Israélien très inspiré, c'est curieux à dire, mais la médaille d'argent était plus facile à aller chercher que celle de bronze. C'est comme ça. Je vous expliquerai une autre fois.

Bref, Nicolas devait absolument battre Traineau. Ce qu'il a fait. Intelligemment. Mais sans éclat. Du tiraillage de kimono très technique. Pas de projection, pas de machintata. Nicolas l'a emporté en puissance, par un yuko - une chute sur le côté - sans avoir jamais été inquiété.

Traineau battu, il ne restait plus à Nicolas qu'une marche à monter. On a vu qu'elle était trop haute.

Nicolas se laissait tirer l'oreille hier, il ne savait pas s'il allait en reprendre pour quatre ans, mais vous avez vu ses oreilles ? Pouvez tirer dessus, il sera à Athènes, et l'an prochain à Munich pour les championnats du monde.

LE VEUF - De la grande visite au Convention Center hier, le minuscule vieillard qui a transformé les Jeux olympiques en gigantesque foire: M. Samaranch lui-même. Nouvellement veuf il était de retour d'Espagne où, comme on sait, il est allé enterrer sa femme. À ceux qui lui ont demandé pourquoi il est revenu, il a répondu: « Parce que ma femme aurait voulu que je sois à Sydney. » Dis donc fiancée, on parle pour parler, je ne voudrais pas te porter la poisse ni rien, mais mettons qu'il t'arriverait malheur, souhaiterais-tu que je retourne à Sydney après ? Non, hein ?

LA SALOPE ET LA NOUNOUNE - Au même programme que Nicolas Gill hier, dans la catégorie des moins de 78 kg, la Canadienne Kimberly Ribble affrontait la Cubaine Diadenys Luna pour son premier combat. Kimberly Ribble ne faisait pas mystère qu'elle avait un ligament déchiré à un genou. Que pensez-vous qu'a fait la Cubaine ? Elle a dit, c'est quel genou, au fait ? Et vlan ! La Canadienne est sortie sur une civière. Commentaire d'un entraîneur canadien: les Cubaines sont des salopes. Question d'un profane: pourquoi faire du judo avec un genou en compote ?

NATATION - La Montréalaise Karine Legault, du club de la piscine du parc olympique, prenait part hier aux séries du 800 mètres qui donnaient directement accès à la finale. Kariné s'était fixé de battre le record canadien du 800 (8:36,24). Elle est passée assez loin, 8:43,56.

LE GRAND FRISSON - Une nouvelle mode court chez les grandes vedettes du sport: habiter au village avec le commun des athlètes. C'est très chic. Très peuple, voyez ? En sont: Cathy Freeman, Patrick Rafter, Mark Philippoussis, Lindsay Davenport... Le grand frisson. Coucher dans une roulotte et manger à la cafétéria, à la même table que les boxeurs du Kirghizstan. Pendant ce temps, l'avironneur britannique Steve Redgrave qui a quitté le village en claquant la porte parce que, disait-il, incapable de se concentrer dans ce bordel, s'est fait traiter de snob par la presse locale...

Confidence d'une fille du water-polo (c'était avant leur défaite) : « C'est amusant le village... Tiens, hiers soir, par exemple, un type se masturbait devant sa fenêtre, il savait très bien qu'on le regardait, il nous a fait un petit salut quand ça été fini. Les filles ont voulu savoir de quelle nationalité il était, on sait : un Brésilien. »

LE WEST ISLAND - Que vous montre-t-on de Sydney à la télé ? Si on vous montrait plus loin que l'Opera House et que Darling Harbour, vous seriez fasciné de voir à quel point cette ville ressemble à Montréal. Même architecture bâtarde, carrée, même convivialité dans les quartiers excentriques, même laideur sympathique. Ici on se croirait dans le vieux Longueuil, ici dans le West Island, ici c'est Outremont... La seule différence, la mer bien sûr. Le bateau dans l'entrée du bungalow, le bateau souvent plus gros que le bungalow.

LA FILLE DE CHEZ McDO - Aperçue au judo hier, Luce Baillargeon, encore un peu fâchée contre les juges qui lui ont presque volé une médaille de bronze en favorisant une Algérienne que Luce pensait bien avoir dominée. Luce, vous en avez forcément entendu parler, c'est cette fille dramatiquement au régime pour respecter le poids de sa catégorie (52 kg), elle rêvait tout haut de se bourrer de frites de McDo et je me disais, non mais quelle fichue nounoune, elle pourrait pas rêver de rognons aux cèpes et de tartes aux mirabelles ?

Eh bien! non, mon vieux. Pas nounoune du tout. Très sympa. Très drôle. Juste des mauvaises habitudes alimentaires. Fiancée, invite-la à la maison, on va y'en faire des frites, elle n'ira plus jamais chez McDo, sauf pour se chercher une commandite.