Le lundi 25 septembre 2000


Pas si mal
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

C'est un type hier dans l'autobus, il a un bedon. Il cause avec un autre type, pas beaucoup de cheveux. A-t-on gagné quelque chose au vélo de montagne hier? demande petit bedon. Rien, répond un peu chauve, on fait dur. On? C'est qui « on »? Le Canada rouge de honte de sa 28e place au classement des médailles? L'Association olympique canadienne? Sport-Canada? Les fédérations sportives qui sont subventionnées selon leurs résultats? Radio-Canada et les journalistes qui ne trouvent pas à s'exalter? Vous? On me raconte que vous souffrez dans votre dignité, que vous avez en travers de la gorge nos médailles au trampoline... Hier je suis allé à l'athlétisme, mais quand j'ai vu que ni Boswell ni Boateng n'avaient de chances de monter sur le podium, j'ai filé au plongeon où ouf! Anne Montminy a raflé une médaille de bronze.

Le même type dans l'autobus, avec un bedon, il dit à pas beaucoup de cheveux: Ouais, pis Montminy a gagné une « autre » médaille de bronze... Montminy, radieuse dans les bras de son chum. Sa médaille de bronze autour du cou. Plus tard, elle la soupèse en nous disant: « Cela m'a pris 12 ans, trois olympiques pour l'avoir, mais ça valait la peine ». Du bronze? Non du temps. L'or du temps. Le Canada n'est pas seul à pleurer misère. Les Américains ne dominent plus comme ils dominaient. Avec dix médailles d'or, les Australiens sont catastrophés. Dans ce pays où la natation est presque une religion, les défaites de Susie O'Neil dans le 200 papillon, de Ian Thorpe dans le 200 libre, la défaite dans les relais, la déroute de Klim, Thorpe éteint après le premier jour qui se fait voler la vedette par le Hollandais Van den Hoogenband, tout cela les Australiens l'ont avalé de travers.

Finalement, rien ne se passe comme prévu. On a vu à la piscine des médaillés Roumains, Italiens, un Suédois, quelques Hollandais... Dans la finale du 100 mètres aux côtés de Maurice Greene on notait la présence d'un coureur de St-Kitts! C'est une Grecque qui finit deuxième derrière Marion Jones. Ne cherchez pas d'autres raisons aux soi-disant mauvais résultats du Canada: la mondialisation. Le Canada a les mêmes résultats que d'habitude, ils ne suffisent plus à gagner des médailles, voilà tout. On gagne des médailles au trampoline, en hockey féminin, en niaiseries à ski et en patinage courte piste parce que à peu près personne ne pratique ces sports. On n'en gagne pas en athlétisme, en natation ni en gymnastique parce qu'il y a des milliers de coureurs, de nageurs, de gymnastes d'élite à travers le monde. Mais c'est pas vrai qu'on est pourri. Juste hier. Boswell, sixième au saut en hauteur. Montminy troisième et Émilie Heymans cinquième à la tour de 10 mètres. Geoff Kabush neuvième au vélo de montagne. C'est tout à fait nous. Un petit pays (par sa population) qui aide correctement ses athlètes à se développer et qui en retour obtient des résultats corrects.

Méfiez-vous. Si vous continuez de réclamer des médailles, si vous montrez qu'elles symbolisent pour vous la véritable valeur nationale, vous allez en avoir des médailles. C'est pas difficile. Suffit de resserrer les standards de sélection pour ne laisser passer que la crème de la crème. D'embarquer l'entreprise privée. Bref de faire du sport un business soumis aux mêmes lois du marché que les autres business. C'est un type hier dans l'autobus, il a un bedon. Il cause avec un autre type, pas beaucoup de cheveux. Qu'est c'est qui reste? demande petit bedon. Rien répond un peu chauve, Caroline Brunet le dernier jour.