Le mardi 26 septembre 2000


Cathy
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Elle s'appelle Catherine Astrid Salome Freeman. Petite, elle vivait dans les missions aborigènes, l'équivalent de nos réserves amérindiennes. Elle descend de la génération des enfants volés. Elle a 27 ans, il s'en est fallu de quelques années qu'elle ne naisse pas Australienne (avant 1967 les aborigènes n'avaient pas la citoyenneté australienne). Sa mère avait huit ans quand elle a été arrachée à sa grand-mère. Son père était un joueur de football alcoolique. Cathy avait une sœur atteinte de paralysie cérébrale. Elle raconte que c'est à s'occuper de sa sœur paralysée que lui est venu le goût de courir.

Les Australiens la vénèrent. Avec une joyeuse inconscience, qui semble être un des traits de caractère de ce pays, ils aiment surtout qu'elle se soit sortie de son enfer, sans s'attarder plus qu'il ne faut sur un détail: ils étaient pour beaucoup responsables de son enfer. Ils aiment qu'elle ne soit pas une diva. Ils aiment sa timidité. Mariée à un grand boss de chez Nike - Alexander Bodecker-, Cathy vit presque toute l'année à Londres où elle apprécie de ne pas être connue. Choisie pour allumer la flamme olympique dans le stade, contre la tradition qui veut que cet honneur revienne à une gloire passée, déjà la voix la plus respectée de l'Australie noire, Cathy Freeman est devenue depuis la théâtrale cérémonie d'ouverture, le symbole de la réconciliation avec les Blancs.

Ils sont venus 110 000 hier soir pour la voir courir au Stadium Australia. Cathy Freeman est actuellement la plus rapide coureuse de 400 au monde, disons-le un peu par défaut. Invaincue cette année sur 400 mètres, sa victoire ne faisait guère de doute hier soir. Quand elle est entrée sur la piste vers huit heures dans sa combinaison d'astronaute, le stade s'est levé, ils avaient tous ou presque un petit drapeau australien à la main. Je n'ai jamais entendu retentir une telle clameur dans aucun stade. Elle a dû retentir jusqu'au fond des lacs salés du désert de Gibson. La course d'un pays vers sa maturité. Un peu moins de 50 secondes. Nul ne peut dire encore si la course de Cathy a été celle de la réconciliation ou de la récupération. Tout ce que l'on a su, une fois de plus, c'est que le sport est une des plus belles choses que l'homme ait inventée pour sortir de la jungle.

Le dernier souffle de Gebre

SYDNEY - Une soirée d'athlétisme grandiose ef pourtant il manquait quelque chose. Oui, l'éblouissant et patriotique 400 mètres de Cathy Freeman. Oui, les corps exultants des sauteuses à la perche, on se demande un peu pourquoi c'est seulement la première fois aux Jeux. Oui, la chevauchée fantastique de Michael Johnson dans le 400 masculin, mais on les aimerait moins fantastiques, ses chevauchées, et plus contestées. C'est le quelque chose qui manquait hier. Du sang. Du drame. Des pleurs. Ils étaient comme en démonstration. Vous savez comme une soirée de gala en patinage artistique ou en gymnastique, après les compétitions, quand les patineurs revêtent leurs habits de paillettes pour amuser la galerie. J'exagère. Mais il y avait de cette facilité-là, de cette désinvolture-là dans l'air. Comme un défilé de champions convoqués par un nabab du pétrole dans son désert.

La Roumaine Gabriela Szabo devait gagner le 5000m, elle l'a gagné, comme à la parade. La Mozambicaine Maria Mutola était largement favorite pour remporter le 800m: elle l'a remporté. Ah ! tiens, dans le 110 mètres haies, le Cubain a baisé Colin Jackson et Allen Johnson, mais cela aussi nous aura laissés sur notre faim. La soirée languissait avec ses remises de médailles interminables, les becs, les fleurs, les poignées de mains, la photo officielle...

Restait le 10000 mètres. Restait Haïlé Gebreselassié... Comme Cathy Freeman, lui aussi a commencé à courir pour échapper à sa condition. Après Sydney, l'Éthiopien passera sans doute au marathon. Son dernier 10 000 mètres, ses adieux à la piste. Minuscule puceron avec une foulée de géant, une foulée sublime, aérienne. Un des très grands coureurs de fond de l'histoire de l'athlétisme. Un champion d'exception qui gagne ses courses presque toujours de la même façon: il lâche tout le monde dans le dernier tour, et commence à saluer la foule bien avant de franchir la ligne.

Hier soir, ce n'est pas lui qui a fait le ménage dans le dernier tour. C'est le Kenyan Paul Tergat. Oh! oh ! Une mutinerie ? À la sortie de la dernière ligne droite, Tergat était toujours en tête. 30 mètres, toujours Tergat. 20 mètres, Tergat. 10 mètres Tergat. 5 mètres Gebre, Tergat dans la même foulée. Un dix kilomètres qui se termine au sprint. Irait-on au photo finish ? Grimaçant, Gebreselassié l'emportait d'un souffle. Son dernier. On ne pensait pas qu'il en avait un. Il nous l'a donné comme un cadeau, pour sa dernière course.

LE POINT SUR LA DOPE - Ah! les vilains Bulgares. Ah! les vilains Roumains. Des drogués. Oui madame. Des pauvres surtout. Sont encore sur leur vieux stock, leurs vieilles hormones de croissance communistes. Mal encadrés par des fédérations qui n'ont pas accès aux labos dernier cri.

La fédération d'athlétisme américaine aurait couvert sous des blessures diplomatiques de dernière minute onze cas de doping. Deux noms circulent, Inger Miller qui devait être la grande rivale de Jones: elle s'est retirée, malade. Mais surtout, C.J. Hunter, champion du monde du lancer du poids, et mari de Marion Jones. Il est blessé au genou, paraît-il. Ça fait très mal une blessure au genou, mais beaucoup moins mal que de se faire pogner sur la nandrolone. Voyez ça d'ici: le mari de Marion Jones, (en route vers cinq médailles d'or), positif ! Quel amalgame feraient les gens, croyez-vous ?

Et la Paola Pezzo ? Médaille d'or en vélo de montagne à Atlanta. Vous vous rappelez sûrement ses seins qui s'échappaient de son maillot entrouvert... Trouvée positive à l'EPO un an après. De retour de sa suspension (un an), elle n'a jamais retrouvé son niveau. On la croit finie. Elle se pointe à Sydney. Et gagne la médaille d'or. Et puisqu'on parle de coureurs cyclistes qui trocinent des casseroles, soulignons que Richard Virenque honore les Jeux de sa présence et il sera au départ de la course sur route demain, une course qu'il n'a aucune chance de gagner. Il le sait évidemment, mais il tenait absolument à être ici. Pourquoi ? Pour se purifier mon vieux.

Le point sur la dope: les Jeux lavent plus blanc.

LA RÉSURRECTION - Dara Torres n'avait pas nagé depuis sept ans quand l'été dernier, dans un resto de New York, une amie lui demande si elle serait capable de renager au niveau olympique. Je ne sais pas, hésite la jeune femme. C'est alors que son copain (qui ne l'est plus) intervient: « Jamais de la vie ! T'as 33 ans, t'as pas nagé une fois depuis sept ans ! » De quoi j'me mêle !

Médaillée d'or en relais à Barcelone et à Séoul, Torres devient mannequin après Barcelone, (apparait notamment dans le fameux calendrier de Sports Illustrated), devient aussi reporter à ESPN, mais refuse de couvrir les épreuves de natation sous prétexte qu'elle ne supporte plus l'odeur du chlore.

Bref, elle reprend le chemin des piscines l'été dernier à la suite de son pari de fou. « À mes premiers entraînements, j'avais honte de sortir du vestiaire, j'avais un corps de mannequin ridicule, pas d'épaules, pas de cuisses, j'allais faire rire de moi »... Bref, elle est à Sydney. Samedi elle a gagné la médaille de bronze du 50 mètres libres.

Ça me fait penser, fiancée, tu te rappelles j'avais un lit d'eau quand on s'est connu, pis tu sautais dessus à pieds joints. Ça te tenterait pas de faire un retour au trampoline ? Pour Athènes ? Envoye donc...

DÉCEVANT ? - Les deux sauteurs en hauteur canadiens Boswell et Boateng, qui ont régulièrement passé 2m30 toute la saison, ont tous les deux raté leurs deux premiers essais à 2m20. Boateng ratera ses trois essais à 2m29, tandis que Boswell s'arrêteras à 2m32. Décevant ? Si vous voulez. Mais pas vraiment. Les concours sont plus imprévisibles que les courses. Il est plus normal de répéter un temps qu'un lancer ou un saut. D'ailleurs le grand favori de cette finale de la hauteur, le Russe Voronin, a terminé dixième. Un autre Russe a gagné qu'on ne, connaissait pas. Et Sotomayor est allé voler une médaille d'argent qui ne le contente certainement pas, même qu'elle lui pue au nez, si j'ose dire.

TROP LOUSSES - Le monsieur qui est responsable du parc des kangourous où est Jules m'a raconté une drôle d'histoire ce matin. Vos enfants devraient l'aimer. Ce matin je dis comme ça au monsieur: « Excusez-moi, mais me semble que Jules n'est pas très éveillé. Il a pas de façon, tous les kangourous sont comme ça ou il y en a des plus allumés ?
- C'est peut-être un dernier-né, me dit le gardien.

- Pis ça change quoi ?

- Ça change que, à force d'avoir des bébés, m'explique le gardien, la poche des vieilles mamans kangourous se distend et leurs derniers-nés sont complètement lousses dedans. Quand la maman saute le bébé tombe de la poche. Boum! Becqué bobo. Elle le remet dans la poche. Elle resaute. Boum ! À force, le bébé kangourou devient un peu boum-boum.

- Vous me racontez des folies ?
- Pas du tout. Tenez, dans les zoos, les bébés kangourous qui naissent en captivité de vieilles mamans à la poche trop distendue eh ! bien on leur met un petit casque de vélo... »

Ben tiens, tant qu'à avoir le casque peut-être que vous leur achetez aussi un p'tit bicycle quand ils ont deux ans et demi ?