Le mercredi 27 septembre 2000


Vous n'êtes pas de Sydney?
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Vous aimez cette ville? me demande la dame qui conduisait le minibus. On attend un bus une demi-heure et puis il en arrive un complètement vide, comme celui-là. J'ai renoncé à comprendre. J'arrivais du vélo, dans le centre de Sydney. Je rentrais dans ma banlieue. « Vous aimez cette ville? » me demande la dame. Je voyais bien qu'elle, elle ne l'aimait pas.

Vous n'êtes pas de Sydney?

Non, je viens du bush... Un village à mille kilomètres de la mer. Son mari est fermier. Des moutons. Combien de moutons? Quelques milliers. Des vaches aussi. Des chevaux. Et deux enfants. Elle rit de les avoir inclus dans le troupeau. Elle me dit que chez elle, il n'y a pas une seule colline, c'est plat à l'infini. En ce moment, tout est vert, mais cela ne durera pas longtemps. Tout deviendra jaune et sec. Elle conduit l'autobus scolaire là-bas.

Pour le temps des Jeux - non, non, je ne suis pas bénévole, c'est un job, je suis payée - elle habite chez sa sœur dans un quartier très cosmopolite de Sydney. Mais il y a des Turcs! Une peste. Dans son village, le seul étranger, c'est l'Indonésien qui tient le restaurant.

On a parlé de la vie. L'école, les hôpitaux, la retraite, les impôts, je vous résume: c'est comme ici. Vous êtes heureuse, là-bas, dans votre village?

La question la surprend. Elle me la retourne. Vous? Des fois, je lui réponds. Elle aime ma réponse. Elle dit: so, moi aussi, des fois. Racontez-moi une fois, je lui demande. Elle y pense un peu: le dimanche soir, quand on va au restaurant avec mon mari et les enfants.

- Chez l'Indonésien?
- Oui.
- Vous mangez quoi?
- De la pizza.
- Vous avez déjà mangé de la confiture de mirabelles?
- What's mirabelles?
- Je sais pas le mot anglais.
On venait de passer sur le pont qui relie Darling Harbour à la banlieue, un peu comme quand on va de Montréal à Longueuil. Les grands paquebots illuminés dans Rozelle Bay avaient l'air de gâteaux de mariage.

Je peux vous demander quelque chose d'un peu particulier, madame? Me chanteriez-vous une petite chanson? Elle rit. Si vous m'en chantez une aussi, elle dit. O.K., mais vous d'abord. Elle toussote un peu et se met à fredonner un truc western. À vous maintenant, elle dit, allez une chanson du Canada...

La belle dé Cadix a des yeux dé vélours, tchi kaï tchik aï aï aï...

Et si on se clame le pompom ?

De la frustration. De la fatigue. Une insinuation carrément malveillante. Et voilà une belle course gâchée, et voilà la chicane repognée dans la cabane du vélo.

Réaffirmons d'abord que et Lyne Bessette et Geneviève Jeanson ont disputé mardi une superbe course. Lyne peut-être encore plus que Jeanson, qu'on devinait nerveuse. Lyne toujours bien placée, patiente, une capitaine de route solide. Geneviève plus fébrile, moins expérimentée. Faut dire qu'elle ne court pas souvent... Mais bien aussi, la petite. Dans le groupe de tête avec Lyne jusqu'à la fin.

Parenthèse, je répète depuis un an, depuis que je connais le tracé du parcours, je répète qu'aucun de « nos » filles ne finira dans les dix premières. L'arrivée massive était inévitable sur ce parcours trop facile et comme on n'a pas de sprinteuses... Bessette termine 22e, Jeanson, 11e. Réaffirmons que leur rang ne signifie rien. Dans une arrivée massive comme hier, le classement devrait se lire comme suit : première Leontien Ziilaard, deuxième Hanka Kupfernagel, troisième Diana Ziliute et 21 autres coureuses dans le MÊME TEMPS que la gagnante.

Venons-en maintenant à l'objet de la chicane. À six kilomètres de l'arrivée, Lyne attaque. Elle prend 30 mètres. Même pas. Ça marche pas son truc. Ça peut pas marcher. Les meilleures rouleuses sont derrière elle dans le peloton. Leontien Zijlaard, qui vient de gagner la médaille d'or de la poursuite, n'est pas très impressionnée par la tentative de Bessette. Ni Ziliute. Ni Anna Wilson. Ni Zabirova. Personne ne va sortir de ce petoton-là avant l'arrivée, c'est certain. Les Néerlandaises, les Lituaniennes qui préparent le sprint de Ziliute, veillent au grain. Les Lituaniennes justement, reviennent d'un bond sur Bessette. Et dans leur roue, Jeanson. Comme elle devait le faire.

C'eût été un épisode de course banal, une manoeuvre tout de suite oubliée si devant les journalistes un peu plus tard, Lyne Bessette n'était allée dire: « Geneviève aurait dû contre-attaquer, j'ai fait ça pour qu'elle aille chercher une médaille pour le Canada. » Ben voyons donc, Chose. Leçon de cyclisme 101, pour qu'il y ait contre-attaque, il faut d'abord qu'il y ait attaque. C'est pas le cas. L'action de Lyne a duré quelques secondes. Un pétard mouillé. Les Lituaniennes sont tombées dessus tout de suite, « Et de toute façon, a dit Geneviève, quand on lui a rapporté les propos de Lyne, de toute façon, je n'avais pas les jambes pour contre-attaquer... »

Voilà qui réglait la question. Sauf que les collègues anglophones ont entendu le mot « médaille » et le mot « Canada ». « J'ai fait ça pour que le Canada aille chercher une médaille ». Leur sang n'a fait qu'un tour. Une p'tite frog qui reproche à une autre p'tite frog d'avoir couru égoïste au lieu de courir pour le Canada, miam-miam. Quand Geneviève est arrivée, ils te l'ont passée sur le grill, fallait voir...

Mais là où ça se gâte vraiment c'est à 16 000 km de là, à Knowlton, P.Q. Les parents de Lyne ont invité plein de gens à voir la course sur écran géant. Il y a aussi des journalistes. Et il y a Marc Dufour, le copain de Lyne, un jeune homme habituellement charmant, mais qui s'en va dire à un joumaliste, fouille-moi pourquoi: « C't'écoeurant ce que Geneviève a fait, elle a ramené le peloton sur Lyne. »

On n'a pas vu la même course jeune homme. À part un de tes amis un peu chiant de RDI - qui d'ailleurs, comme par hasard, suit tes stages en Virginie où il a roulé avec Lyne - personne n'a vu Geneviève ramener le peloton sur Lyne. Et Geneviève confirme, à moins que tu la prennes pour une menteuse : « J'ai pris la roue de la Lituanienne qui fermait le trou »...

Lyne parle d'une course d'équipe. Avec Clara Hughes lâchée, elles étaient deux. Deux, une équipe ? De toute façon, personne n'a réussi à sortir du peloton de toute la course. Pas une seule échappée. C'est sûrement pas à six kilomètres de l'arrivée que ça va marcher. C'est parce que Lyne fait un trou de trente mètres, queb oh! là! là!, le peloton médusé ne pourra pas répondre à la contre-attaque de Jeanson. Allons donc. La vraie raison de la chicane n'est pas là. C'est une chicane de clan. Le clan Bessette et le clan Jeanson. Il y en a une qui fait de l'ombre à l'autre. Devinez laquelle..

Dis-moi pas que, comme l'Italie jadis, partagée entre Coppi et Bartali, le Québec est divisé entre bessettistes et jeansonnistes, faudrait peut-être voir à se calmer un peu le pompon avant de devenir, toute la gang, complètement cons, même que j'en vois qui ont pris une bonne longueur d'avance.

Bon, cela dit, il reste le contre-la-montre de samedi. Je prédisais une médaille de bronze à Geneviève, je viens de regarder la liste des inscrites, et j'en vois déjà quatre - Ziliute, Zabirova, Wilson, Zijlaard - qui finiront avant Geneviève, alors je reprends ma prédiction. Cinquième, ce serait très bien pour Geneviève. J'insiste, très bien.

AU PROGRAMME - Demain soir (Jeudi) finale du saut en longueur hommes sans le Montréalais Ian Lowe écarté en ronde éliminatoire avec un très modeste bond de 7,51, ce qui le classait au 38e rang. Deux Cubains dominent le saut en longueur, Ivan Pedroso, et Luis Meliz... Ce soir au Stadium Australia, premier jour du décathlon, Marion Jones, au travail dans les séries du 200, aussi finale du 800 hommes avec le Danois Kipketer en vedette qui domine la distance depuis au moins cinq ans. À Atlanta, il avait été empêché de courir par la Fédération du Kenya, son ancienne patrie... À surveiller dans une des demi-finales du 1500, le Canadien Kevin Sullivan, un des meilleurs coureurs de 1500 au monde, neuvième performance mondiale de l'année (3:31,71)... Comme il est douteux que nos relais fassent la finale, Kevin est le dernier Canadien à pouvoir s'illustrer en athlétisme. C'est vrai qu'on fait un peu dur en athlétisme, mais on ne peut pas être bon partout. Nous, c'est le trampoline et le ski acrobatique.

J'oubliais, ce matin Michelle Fournier a tenté, en vain, de se qualifier pour la finale du lancer du marteau, une épreuve pour la première fois au programme des Jeux... On dit de Michelle Fournier, dans le guide de la Fédé d'athlétisme, « qu'elle est entraînée par Jean-Paul Baert, mais que c'est son frère qui l'inspire, parce qu'il est bon et dans le sport et dans les études ». C'est vrai que Jean-Paul, les études...

LA GUERRE - Dans le débat pour ou conre le port obligatoire du casque de vélo, dans la gang des « pour », il y a toujours un nono qui finit par dire: « En Australie... »

Ben oui, le casque est obligatoire, mais ça dérange pas, y'a pas de cyclistes en Australie! On n'en voit pratiquement pas dans les rues, quelques-uns dans les parcs, comme au Fairfield Farm où se tenaient les épreuves de vélo de montagne, et là oui, c'est une bonne idée de mettre un casque à cause d'une sorte de pie qui attaque en piqué, mais là ce n'est plus du vélo, c'est Pearl Harbour...