Le jeudi 28 septembre 2000


Privés de dessert
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

À regarder cette finale avec nos yeux de chercheurs d'or - de médailles d'or - c'est à peine si on avait remarqué que le temps pourri des derniers jours était fini. Un ciel tout bleu. Pas de vent. Juste un peu frais, parfait paraît-il pour jouer au tennis. Sur le court central du Tennis Center, on venait de passer la médaille d'or au cou de Venus Williams, mais le public ne décollait pas, il attendait le dessert, il attendait ses Woodies qui allaient affronter, dans la finale olympique du double messieurs, Sébastien Lareau et Daniel Nestor. Ceux que l'ont appellent les Woodies, les Australiens Todd Woodbridge et Mark Woodforde, en étaient à leur dernier match, ils faisaient leurs adieux hier après-midi à leur public. Après avoir régné pendant des années sur le double mondial, ils quittaient au sommet de leur art. On allait leur remettre une médaille pour leurs bons et loyaux services, et pas un spectateur du court central ne doutait qu'elle serait d'or.

Pour Sébastien Lareau et Daniel Nestor aussi c'était le dernier match. Ils s'étaient réunis spécifiquement, il y a quelques mois pour ce tournoi olympique. L'un, Nestor, probablement le meilleur serveur au monde en double. L'autre, Lareau, un des meilleurs receveurs. L'un apporte à la partie son calme. L'autre sa sourde énergie. Ils venaient de connaître une semaine fulgurante, expéditifs en double, ils avaient fait aussi des ravages en simple, Nestor faisant tomber Patrick Rafter et Lareau se payant Chang. Mais c'est le double qu'ils étaient venus gagner à Sydney et c'est ce qu'ils allaient faire. Il leur faudra un set pour s'ajuster. Ils ont perdu le premier 7-5. Dans une ambiance extraordinaire, en Australie le tennis n'est pas une messe basse comme chez nous, c'est une corrida, l'arbitre est toujours à rappeler le public à l'ordre. Au-ssie, au-ssie, au-ssie, scandait la moitié du stade. Leye-leye-leye, répondait l'autre moitié. Parfois s'élevait un « Allez Canada », auquel un loustic répondait invariablement par: Allez New Zealand, déclenchant un éclat de rire général ( Les Néo-Zélandais sont les newfies de l'Océanie ).

Quel chemin parcouru depuis Atlanta où le tennis avait fait un retour miteux sur la scène olympique. Quelle différence d'attitude aussi des joueurs. « On sentait une tension très particulière dans les vestiaires, témoignait Louis Cayer, entraîneur adjoint de l'équipe canadienne. J'ai vu des grands noms pleurer, c'est rare sur le circuit! » « Ce que je me disais après ce premier set perdu de justesse? analysait Lareau après le match. Je me disais mon service est horrible, Daniel n'a pas très bien retourné, les Woodies sont à leur top comme d'habitude et pourtant on a juste perdu 7-5. On peut les avoir. » Les Canadiens ont haussé leur niveau de jeu d'un cran pour les deux sets suivants qu'ils ont enlevés 6-3 et 6-4. Ils avaient les Woodies dans les cordes. Le public commençait à se douter qu'il serait privé de dessert. Le match s'est terminé par une double faute du petit noir des Woodies, bien triste façon de dire au revoir à son public.

- Sébastien, tu as déjà gagné le double de l'US Open et tu viens de gagner la médaille d'or aux Jeux olympiques. Est-ce comparable?

- L'US Open, c'était de l'argent et du prestige. Cette médaille d'or, je ne sais pas encore exactement, mais je sens bien que c'est différent. Plus grand. Médiatiquement. Émotionnellement. Cela touche un autre univers que le monde du tennis. C'est pas juste mes petites affaires. C'est pas seulement ma victoire, c'est celle d'une équipe, d'un pays. J'imagine que l'impact sera très différent.

- À quel genre d'accueil t'attends-tu à Montréal ?

- Je ne rentre pas à Montréal avant la fin octobre. Je quitte Sydney vendredi pour aller jouer un tournoi à Bratislava en Slovaquie. Et puis je rentre, et puis je repars, ma vie de saltimbanque du tennis continue...

- C'est vraiment fini le double ?

- Fini, fini, non. J'y retoucherai sûrement dans les tournois du Grand Chelem, mais toute mon attention, toutes mes énergies sont maintenant tournées vers le simple.

La plus grosse victoire dans l'histoire du tennis canadien? se demandaient des confrères en sortant du Tennis Center. En tout cas une des plus amères défaites des Australiens à ces Jeux. Dans le parking, j'ai croisé les Woodies qui donnaient une entrevue. Une petite foule les entourait. De temps en temps, quelqu'un s'approchait du petit, celui qui avait mis fin au match par une double faute, et lui serrait la main, comme on le fait aux enterrements.

Vingt-deux ans et toutes ses dents

Vingt-deux ans, c'est pas vieux pour se retrouver au départ d'une course,olympique de canoë. Ça n'a pas l'air comme ça, mais c'est tellement technique le canoë (comme le kayak) que ça prend mille ans pour bien performer... « Dans ces sports-là, faut être vieux comme Caroline Brunet pour gagner des médailles. »

Vingt-deux ans et gentiment baveux, c'est Maxime Boilard.

« Si je compte les médailles olympiques gagnées à des Jeux précédents par les huit autres canoéistes que j'affrontais hier, j'arrive à cinq médailles d'or, deux d'argent et une de bronze... Alors tu comprends que je suis bien content de ma cinquième place, d'autant plus que j'ai un début de sinusite. Je n'ai pas eu ma meilleure nuit de sommeil. » Vingt-deux ans, grippé, mais pas complexé du tout.

Les trois premiers des deux courses, passaient directement en finale du C1. Cinquième, Maxime Boilard devra se classer dans les trois premiers de la course de repêchage demain pour aller lui aussi en finale. Pas facile, mais pas impossible. Le jeune homme « en a dedans », comme on dit.

« On est d'autant plus satisfait, précise Fred Jobin, l'entraîneur de Maxime, qu'on n'avait aucun point de repère. On n'a participé à aucune régate internationale depuis 1998. Son temps est impressionnant. On voit qu'il est vraiment tout près des plus grands... »

Il a bien fallu vingt minutes à Maxime pour récupérer, après sa course. « Je voyais des étoiles. Je suis vraiment allé à la limite... Dans le bloc de départ, je n'étais pas aussi nerveux que je le craignais, j'ai eu envie de faire une niaiserie pour faire rire mes copains de Québec qui me regardaient sûrement à la télé. Une autre fois ! J'ai pas eu un départ extraordinaire, et le maudit Cubain à ma droite allait un peu trop vite pour que je puisse prendre ça cool ! Avec 200 mètres à faire, j'ai tout donné, j'ai trouvé ça très long... Je suis content. Je me doutais bien que j'étais dans les meilleurs mais là, je le sais. »

Vingt-deux ans et toutes ses dents.

Comme le monde du canoë-kayak est tout petit, en demi-finale, Maxime devra battre entre autres Christian Frederiksen, l'actuel entraîneur de... Caroline Brunet. Frederiksen, qui a la double nationalité, danoise et norvégienne, défend, à Sydney, les couleurs de la Norvège.

Qui Caroline encouragera-t-elle dans cette course? Son coach ou celui dont elle m'a déjà dit: « Lui, surveillez-le, il va aller loin. C'est notre seule relève. » C'est grâce à Caroline, qui a personnellement intercédé auprès de la Fédération canadienne, si l'entraîneur de Maxime, Fred Jobin, a finalement été acçrédité. Incestueux, le canoë-kayak ? Attendez, c'est pas fini. Jobin est aussi entraîneur d'une kayakiste anglaise (Anna Hemmings), qui court contre Caroline Brunet! « Mais elle a aucune chance », se défend Jobin. Ouf !

CAROLINE EN FINALE - Parlant de Caroline Brunet, elle a facilement remporté sa course de sélection et est passée directement en finale. Même chose en K2 avec Karen Fumeaux. « En K1, j'étais dans la vague la moins forte, c'est pour ça que mon temps n'est pas grandiose. Christian Frederiksen va dire que j'ai pris ça mollo, mais j'avais un peu de vent et bref, l'idée c'était de passer directement en finale, c'est ce que j'ai fait. »

Dans la vague de Caroline, Anna Hemmings, justement, ne s'est pas qualifiée. Dans l'autre vague, l'italienne Idem Guerrini et la Hongroise Rita Koban ont annoncé leurs couleurs avec des temps canon. Rendez-vous dimanche matin.

ALLEZ TELEKOM! - Je me demandais bien ce que les coureurs cyclistes professionnels feraient sur le même médiocre parcours qui n'avait pas permis aux filles, la veille, d'éviter une arrivée massive. Eh bien ! ils ont fait la même chose que les filles pendant les 200 premiers kilomètres: ils ont roulé en peloton, l'élimination se faisant par l'arrière, à l'avant toutes les échappées étaient vouées à l'échec ou presque. L'attaque décisive s'est faite à 25 kilomètres de l'arrivée, le peloton venait de reprendre une échappée, démarrage surprise de l'Allemand Jan Ullrich (deuxième du Tour de France cette année), accompagné de son compatriote Andreas Kloeden et du Kazakh Alexandre Vinokourov, comme par hasard trois coureurs de l'équipe Telekom... Armstrong a bien essayé d'organiser la chasse, mais trop tard. Le peloton ne devait plus revoir les Telekom. Dès lors, il était certain que la victoire reviendrait à Ullrich. Question de hiérachie, c'est lui le patron chez Telekom, et chez les Allemands, on fait pas chier le patron. Pour éviter un sprint arrangé, Ullrich est arrivé détaché. On a rarement vu l'Allemand aussi heureux, dans sa culture est-allemande, les Jeux olympiques ont toujours eu plus de prestige que le Tour de France.

À une minute et demie des trois médaillés, un groupe de chasse comprenant Jalabert, Armstrong et Bartoli devançait de quelques secondes le gros du peloton, réglé au sprint par Zabel. Et qui dans la roue de Zabel ? Le Canadien Gordon Fraser, 16e. On me dit que Fraser fera la prochaine saison en Europe. Il en a de toute évidence les moyens. Le Fraser que j'ai connu sur le Tour de France il y a quelques années n'aurait jamais passé 14 fois, comme hier, une côte de 2 km avec le peloton des pros, et gardé assez de jus pour défier Zabel.

Eric Wohlberg est le seul autre Canadien à avoir terminé la course. Aucune nouvelle des trois autres.

Je vous laisse pour courir au plongeon synchronisé, vous devinez avec quel plaisir.

Émilie, la plus contente

Médaille d'argent pour Émilie Heymans et Anne Montminy hier à la piscine olympique en plongeon de haut vol synchronisé. On peut presque dire qu'elles étaient premières derrière les Chinoises sur une autre planète. Les Chinoises sont probablement les seules à prendre cette discipline très au sérieux. Ailleurs, ont la pratique quand on a le temps, pour s'amuser...

C'était Émilie Heymans la plus contente, bien sûr. Elle n'avait pas eu de médaille, elle, dans la vraie épreuve. Alors celle d'argent en synchro, c'est mieux que rien. Et puis c'est divertissant. Les filles avaient l'air détendues, riaient, parlaient...

« Peut-être que c'est parce qu'on partage le stress en deux, nous a dit Émilie. On s'amuse beaucoup plus en synchro, c'est vrai. Et puis à chaque plongeon, il y a comme un suspense, on sait seulement si on arrive ensemble dans l'eau, mais on ne sait pas comment l'autre a plongé... » Pour leur quatrième saut, elles ont choisi une figure qu'Anne Montminy n'aime pas beaucoup, parait-il, et ne pratique pas souvent. « J'avais hâte de savoir. Pis Anne? Elle a levé ses deux pouces. Yé. »

Une médaille facile, Émille ?

« Hé hé, ne dites pas ça. C'est pas facile. »

Je me suis mal expliqué. Les plongeons sont difficiles. Mais pour cela, les filles ont déjà été jugées. Anne Montminy a même gagné une médaille de bronze dimanche soir. Plonger est un sport très exigeant, on s'entend là-dessus, est-ce une si grande difficulté d'ajouter le synchronisme ? Combien de temps avez-vous pratiqué les filles avant de venir à Sydney ?

Un mois.

Et depuis les trois dernières semaines, depuis que vous êtes en Australie ?

Une fois jusqu'à notre compétition en solo. Trois fois depuis dimanche.

C'est ce que je voulais dire. Trouvez-moi un sport olympique où on peut gagner une médaille en pratiquant un mois ?

C'était Émilie la plus contente. Elle l'a eue, sa médaille, et savez-vous, c'est justice. La pauvre fille était si défaite l'autre soir après son saut manqué qui lui a coûté un podium que, finalement, c'est une bonne idée cette épreuve de plongeon synchronisé. Une idée à retenir pour toutes les disciplines. Lancer du marteau synchro, saut à la perche synchro, tout synchro. D'ailleurs je viens de taper cet article en synchro avec Martin Smith, mon éminent collègue du Journal de Montréal. Ne nous notez pas trop sévèrement, on n'a pas beaucoup pratiqué, nous non plus. Merci.