Le dimanche 1er octobre 2000


Vent de farce
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Pour n'importe qui c'était un dimanche matin radieux à la campagne. Pour les kayakistes et les canoïstes au centre des régates de Penrith, c'était affreux. Un vent à renverser les embarcations, un vent que les rameurs auraient à affronter de face, écumait méchamment l'eau émeraude du bassin.

C'est ce matin que Caroline Brunet, huit titres de championne du monde, est venue chercher au bassin de Penrith le seul titre qui lui manque: celui de championne olympique. On l'a aperçue de loin en arrivant, dans son vieux kayak bleu. Elle attend ce moment depuis quatre ans. Eh bien, il lui faudra attendre encore un peu; on venait d'annoncer que le début des régates, prévu pour 9 h dimanche matin, était reporté d'une heure à cause du vent.

Plus que le danger de verser, on craignait de fausser les résultats. Pour peu que le vent ne balaie pas également tout le bassin, il avantage ou désavantage des rameurs. Les régates venteuses voient souvent les favoris battus par les rameurs moins rapides des couloirs extérieurs, mieux protégés par les tribunes. Autre problème posé par les grands vents: le départ. Impossible d'immobiliser les embarcations dans les blocs ou de les empêcher de se mettre en travers. Le départ fut une nouvelle fois reporté cette fois à 15 h; le vent avait redoublé de force, les toiles de la tente des médias claquaient comme des coups de fouet. On nous a rappelés quelques instants plus tard: on ferait un essai à midi, ouragan ou pas, on n'avait pas le choix: de nombreux athlètes et officiels devaient rentrer le soir même dans leur pays...

À midi, donc, les kayakistes du 500 mètres mettent enfin leurs embarcations à l'eau. À ce que l'on voit, ils maîtrisent assez bien la vague. Mais, oups, petit problème, un des bateaux suiveurs chavire. Un homme à la mer! Le temps de le repêcher, et on recommence. Les neuf kayaks tentent de prendre position dans les blocs. Cette fois les rafales les en empêchent. Dans la pagaille, des fils du système de chronométrage électronique ont été coupés. On efface tout et on recommencera on ne sait quand.

Aux dernières nouvelles, Caroline Brunet était dans la tente-cafétéria avec les autres rameurs. « Très calme. Détendue. Elle essaie de garder sa concentration...», nous rapportait Fred Jobin, un des entraîneurs de l'équipe. On vient de nous annoncer que cela irait peut-être à ce soir. Peut-être aussi à demain. Bref, plus la journée avance, plus ce vent de face est devenu un vent de farce.

Comme une épée dans l'eau

Hier soir, à la piscine olympique, il y avait des sièges vides, un bébé qui pleurait et une hirondelle qui faisait des loopings pour narguer les plongeurs et leurs sauts périlleux arrières millimétrés. Il y avait douze plongeurs. Les quatre premiers sont tombés comme des briques. Alexandre Despatie a plongé comme une épée dans l'eau et s'est déjà retrouvé devant. Les suivants se sont plutôt ratés. Puis est arrivé un Russe, Dimitri Saoutine, l'idole de Despatie, ancien champion du monde: impeccable aussi. Restaient les deux Chinois, l'hirondelle n'en est pas revenue, les Chinois entraient dans l'eau avec sa légèreté quand elle se baigne. N'empêche qu'après un plongeon, Despatie était quatrième. Seulement 15 ans. Un enfant. À part un des deux Chinois qui a 17 ans, tous les autres étaient des hommes, mais c'est pas sûr que ce soit un gros avantage.

Deuxième plongeon, ceux avant Despatie ont encore été si affreux que le bébé est reparti à brailler. Les suivants aussi ont été un peu nuls, le Russe et les Chinois ont obtenu des 10, Despatie s'est solidement installé à la quatrième place.

Mais je ne vais pas vous raconter les plongeons un par un, juste vous dire qu'au troisième, le Russe, l'idole de Despatie, s'est un peu raté et Despatie est passé troisième.

- À quoi as-tu pensé à ce moment-là ?

- Je vous jure, à rien. Je plongeais, ça finit là. C'est le Russe qui est devenu nerveux.

D'habitude il me fait un clin d'oeil, là il est passé pour aller plonger sans me regarder.

Le Russe a repris la troisième place au plongeon suivant. Cette fois c'est Despatie qui est tombé dans l'eau comme un sac de noix qu'on aurait poussé du haut des escaliers. Juste après, un des Chinois a obtenu cinq 10. On aurait dû leur donner leurs médailles tout de suite, on aurait gagné du temps. C'est long un peu le plongeon, l'émotion se tarit et on est là comme des comptables à attendre que la note apparaisse au tableau. D'ailleurs on n'a plus entendu le bébé, il s'était endormi.

Le deux derniers plongeons n'ont rien changé. Pour que Despatie avance d'une place il eût fallu que les Chinois décident d'arrêter là en disant: on s'en va, vous être trop nuls. Ça leur a sûrement tenté, mais ils voulaient leurs médailles, parait que quand ils rentrent au pays avec une médaille, ils peuvent aller aux putes gratuit toute leur vie.

Despatie a donc fini quatrième de cette finale et tout le monde s'est mis à dire combien c'était prodigieux à son âge. Mais justement, s'il y a quelque chose qui tombe sur les nerfs de Despatie en ce moment, c'est bien d'être prodigieux. Il a juste envie d'avoir 15 ans normal, comme ses amis.

Il est arrivé dans la zone mixte où l'attendaient 12 457 journalistes, les mains dans les poches de ses culottes trop larges qu'il remontait toutes les cinq secondes. Il nous a redit au moins vingt fois: « J'ai bien plongé, ça finit là. »

« Qu'est-ce que je vais faire ? Prendre une semaine de vacances. Retourner à l'école et reprendre l'entraînement. »

Il n'arrêtait pas de s'ennuyer. Je trouve qu'il a vraiment fait son gros possible pour ne pas avoir l'air prodigieux. Si j'étais un juge j'y mettrais un 10.

ARMSTRONG RATE SON RENDEZ-VOUS - Les scénarios de NBC défuntisent les uns après les autres. Les Américaines se sont fait bousculer dans le 4 x 100 hier, et par les Barbadéennes et par les Jamaïcaines, et Marion Jones a perdu sa seconde médaille d'or. Mais Superwoman avait enterré son rêve de cinq médailles dans le carré de sable du saut en longueur, la veille.

Hier aussi, Trompe-la-mort Armstrone s'est ramassé avec la médaille de bronze du contre-la-montre. Je vous demande un peu. Comme s'il n'avait pas eu le cancer, c'est assez grave pour une médaille d'or, le cancer ? Avec cette niaiseuse médaille de bronze autour du cou, il avait l'air d'avoir ressuscité d'une petite grippe. Mauvaise semaine pour Armstrong. Rate la bonne échappée dans la course sur route, se fait battre dans le contre-la-montre par son domestique de luxe de chez US Postal, Viacheslav Ekimov, un Russe ex-poursuiteur, spécialiste du contre-la-montre.

Sauf Zulle, en chute libre depuis le Tour de France, les favoris se sont livré une lutte au couteau hier. Ullrich, à 8 petites secondes de Ekimov, a raté de peu sa seconde médaille d'or, puis Armstrong, puis Olano, Jalabert qui reprend des couleurs. Le seul Canadien de l'épreuve, Eric Wohlberg, termine 20e à trois minutes d'Ekimov.

NOTRE GREC RÊVE D'ATHÈNES - Une rumeur courait : les Grecs avaient offert un pont d'or à « notre » grec de Laval, Nicolas Macrozonaris, pour qu'il aille s'entraîner en Grèce. Nicolas Macrozonaris est ce jeune sprinter qui a surpris tout le monde et lui-même aux derniers championnats canadiens, ce qui lui a valu un billet pour Sydney. Sorti en première ronde du 100 mètres, blessé dans le relais, Nicolas n'en rentre pas moins émerveillé à Montréal. Il n'est pas prêt d'oublier ce stade baigné de lumière et la rumeur immense de la foule. Il rentre plus déterminé que jamais à refaire les Jeux, mais cette fois pas comme figurant. Ce Grec qui a gagné le 200, il rêve de le battre dans quatre ans, à Athènes...

Courra-t-il alors pour la Grèce ou le Canada ? Qu'on lui fiche la paix avec cette histoire. Oui il a été invité à faire un essai avec un club d'Athènes. Il y est allé avec son père. Il a fait une course. Pas très bonne. Ils l'ont renvoyé aussitôt à Montréal ! Qu'on lui fiche la paix avec la Grèce.

LE PLUS MAUVAIS RÉSULTAT - On va chercher (et trouver) bien des mauvaises raisons aux médiocres résultats des athlètes canadiens à Sydney. J'ai déjà défendu plus tôt qu'ils n'étaient pas si mauvais. S'il est quelque chose d'inquiétant, ce ne sont pas les mauvais résultats, c'est l'absence de résultat. Pourquoi si peu de sélectionnés canadiens en athlétisme ? Où sont les profs qui donnent aux enfants l'envie de courir ? Le plus mauvais résultat du Canada aux Jeux de Sydney est à mon avis dans le relais 4x400. À quelle place ont terminé nos relayeurs du 4x400 ? À aucune place. Le Canada n'avait pas de relais 4x400 à ces Jeux. On n'a pas été foutu de trouver dans tout le Canada quatre coureurs de 400 potables.

Le Sri Lanka si. Le Sénégal et le Botswana si.

QUESTIONS - En l'absence du mythique Serguei Bubka et de Jean Galfione qui n'ont pas passé la ronde de qualification, en l'absence du meilleur perchiste du moment, l'Américain Jeff Hartwig qui s'est planté aux essais de Sacramento, deux autres Américains, Nick Hysong et Lawrence Johnson ont dominé le concours olympique. Au saut à la perche... Au fait, cela fait combien de temps que le Canada a envoyé un perchiste au Jeux ? Quelle impuissance frappe les perchistes canadiens ? Ou serait-ce faute d'encadrement ? Combien de bureaucrates à la fédération canadienne d'athlétisme ? Combien de sauteurs à la perche ?

J'AI UN DOUTE TOUT À COUP - Les deux chroniqueurs du National Post qui couvraient les Jeux de Sydney ont été rappelé par leur journal aussitôt annoncée la mort de Trudeau.

Pis moi?

CAILLOUX - Dans l'Antiquité, lorsqu'un athlète trichait aux Jeux olympiques, par exemple en ayant recours à des concoctions d'herbes stimulantes, il était condamné à l'opprobre général et on enlevait symboliquement une pierre au mur de garde de sa cité. Imaginez aujourd'hui! Si on enlevait une pierre à New York, Los Angeles, Rome, Moscou, Pékin chaque fois qu'un athlète se shoote un peu de nandralone, il ne resterait plus rien de ces villes depuis longtemps. Je crois même qu'il manquerait quelques cailloux à Saint-Armand.