Le lundi 2 octobre 2000


La volonté politique
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Caroline Brunet effondrée dans les bras de sa mère et de sa sœur en larmes. Caroline résignée affrontant les médias dans un dernier scrum, nous racontant son douloureux dimanche, accusant Antonio Samaranch d'avoir manqué de respect envers les athlètes. « Les athlètes étaient d'accord pour reporter cette régate en fin de soirée quand le vent serait tombé, ou mieux encore, à lundi matin. M. Samaranch a refusé. C'était montrer bien peu de considération pour notre travail. Nous avons passé des milliers d'heures à soigner notre technique et au jour dit, on nous envoie ramer dans un bassin si houleux qu'il a fallu oublier notre technique, pour lutter contre la vague... Mais les conditions étaient les mêmes pour tout le monde, bien sûr, ajouta-t-elle. » Est-ce bien certain? Dans un sport aussi technique, n'est-ce pas la technique qui fait la différence dans des conditions normales?

Battue par une Italienne de 36 ans qui faisait ses adieux à la compétition, la question suivante a mis Caroline à la torture: Dans quatre ans, à Athènes, vous n'aurez que 35 ans, Caroline... Oui mais dans quel état? 35 ans et cassée de partout? 35 ans et toujours à courir le monde, et toujours pas d'enfant... Et devait-elle en décider là, tout de suite, 112 micros sous le nez, dans ce champ battu par les vents, à la fin de cette journée horrible? Elle était flanquée d'un jeune homme silencieux, qui la tenait par les épaules. Maxime Boilard, son petit protégé, celui qu'elle regarde grandir depuis quelques années en nous disant, vous allez voir, vous allez voir... Maxime qui vient du même club du Lac-Beauport, du même esprit, de la même famille sportive que Caroline. Maxime a réussi des jeux extraordinaires. Montant en puissance à chaque étape franchie pour aller chercher une quatrième place en finale après un dernier cent mètres qui l'a fait entrer comme une balle dans le cercle des grands du canoë. « C'est qui ce Canadien? » sont venus se renseigner des confrères américains et italiens. On était un peu gêné de leur répondre qu'on ne sait pas trop.

Je les regardais tous les deux, côte à côte, Caroline qui cachait sa détresse, Maxime qui refoulait son envie de triompher. Dans ce petit tableau dissemblant il y a toute la vanité des bilans que l'on fait traditionnellement après les Jeux. Comment voulez-vous additionner la peine de Caroline, la joie de Maxime et en tirer des conclusions sur la santé du sport au Québec ou au Canada? Comment voulez-vous additionner la médaille d'argent de Nicolas Gill, la médaille d'argent de Caroline Brunet, la médaille d'argent des filles du plongeon synchronisé? Cela ne donnera jamais trois médailles d'argent puisque la première est d'or, la seconde est de cendres, la troisième est peanuts.

Les meilleurs résultats québécois des Jeux auront été deux quatrièmes places: celle d'Alexandre Despatie et celle de Maxime Boilard. Elles valent la médaille d'or de Lareau. Despatie, Boilard, Lareau, il y a ici un début d'équivalence, l'addition du talent du guts et du momentum. Je déteste ce mot, momentum, mais comment dit-on « to peak » en français? Anyway vous allez voir qu'on va tirer des grandes conclusions sur l'état du sport dans la nation à partir de résultats qui dépendent souvent, tout benoîtement de ça: peaker ou pas au bon moment. Plus à voir avec l'ineptie de nombre de nos entraîneurs « par oreille » qu'avec la politique ou l'économie.

Dans un bilan, la 21e place de Lyne Bessette apparaît dans la colonne des déficits. C'est pourtant un gain. Allez expliquer à des profanes que la 21e place de Lyne Bessette est une excellente performance, alors que la 15e de Jeanson dans le contre la montre est une catastrophe... Le problème, comprendra qui voudra, le problème c'est que pour trop gens de l'entourage de Lyne, le bon résultat de Lyne à Sydney c'est la 15e place de Geneviève. La jalousie et la niaiserie minent plus de carrières chez nous que l'absence de ressources. Le meilleur résultat canadien de ces Jeux est évidemment la médaille d'or de Daniel Igali en lutte libre, chez les 69 kg. D'origine nigériane, Igali est arrivé tard au Canada, il incarne, sinon l'excellence des structures sportives canadiennes, son ouverture au monde, et c'est bien aussi, non?