Le samedi 7 octobre 2000


Gigantisme, dites-vous ?
Pierre Foglia, La Presse, Sydney

Les Jeux seraient obèses. Trop de sports au programme, trop d'athlètes, trop de journalistes, trop de tout. Permettez un peu de recul ? 1972 : attentat de Munich. 1976: boycott des Jeux de Montréal par les Africains. 1980 : boycott des Jeux de Moscou par les États-Unis. 1984, boycott des Jeux de Los Angeles par les Soviétiques. Le mouvement olympique était en train de sombrer dans la politique.

Qui a sauvé les jeux, croyez-vous ? La télé. Les milliards de dollars des chaînes américaines. Ayant acheté les Jeux il était à prévoir que la télé américaine en ferait un show américain, et qu'est-ce qu'un show américain ? Avant tout un show qui se paie tout seul. Donc de très fortes cotes d'écoute.

Comment fait-on grimper les cotes d'écoute ? En donnant au public ce qu'il aime. Le public aime-t-il le sport ? Pas vraiment. Pas ces sports-là qu'il qualifie souvent, avec une condescendance involontaire, de « sports amateurs ». Il n'aime pas le canoë-kayak. Il n'aime pas le triple saut. Il n'aime pas le marathon. Il n'aime pas l'athlétisme. Il n'aime pas l'escrime. Il n'aime pas la lutte. Il n'aime pas l'aviron. Il n'aime pas le handball. Pourquoi aimerait-il cela ? On ne lui en montre jamais. Cela dit, ce n'est pas plus grave que ça qu'on ne lui en montre jamais. Le sport n'est pas une matière obligatoire pour devenir un honnête homme.

La télé n'a pourtant pas le choix. Pour tirer profit de ses investissements olympiques, la télé doit absolument séduire un très vaste public. Comment ? En lui donnant ce qu'il aime. Des cérémonies, le public adore les cérémonies. En lui racontant des histoires, le public adore les histoires. En donnant une certaine élévation à sa matière. Le public aime croire que le triple-saut permet aux hommes de bonne volonté de fraterniser.

Le public aime aussi le beau, la grâce, les belles personnalités. Le public aime quand l'esthétisme devient performance. Ah ! le plongeon. Ah ! la gymnastique, surtout l'enrubannée, là, avec les cerceaux. Ah ! la nage synchro. Le public aime quand il y a de la musique. Chariots of Fire, tiens. Le public adore Chariots of Fire. Le public aime quand ça fait tadam. Alors la télé fait tadam. Ce n'est pas le gigantisme, ni le dopage qui menacent les Jeux. Ce sont les cotes d'écoute.

Si j'étais boss du CIO ? Je tasserais la télé. Je redeviendrais maître de l'agenda des Jeux. J'aurais moins d'argent ? Tant pis. Les Jeux ouvriraient sans cérémonie, directement sur le marathon. Les athlètes et autres visiteurs n'habiteraient pas des enclos protégés par des barbelés, mais des maisons dans les différents quartiers de la ville. La remise des médailles se ferait sans podium, de manière à ce que les athlètes restent à la hauteur des gens. Dans les entrevues, on demanderait aux athlètes de nous parler de leur quête d'absolu. Et quand surviendraient quatre petits cons comme ceux du relais 4x100 samedi soir - Greene, Drummond, Lewis, Williams - qui ont abreuvé le public de grimaces et de gestes de dérision, ils seraient aussitôt virés à coups de pied dans le cul.

Mais bon, n'ayez pas peur, je ne serai jamais boss du CIO. Ce qui vous assure d'une autre cérémonie d'ouverture haute en couleurs dans quatre ans. Vous allez pouvoir tenir jusque là ? Sinon en novembre, il y a le festival des corps de clairons et tambours de Ste-Agapit.

LA PERFORMANCE DES JEUX - Ces Jeux devaient être tout féminins, ils l'ont été même si Marion Jones n'a pas tenu son pari de remporter cinq médailles d'or. Ils l'ont été par Cathy Freeman, la coureuse de 400 aborigène qui a été au centre des deux moments les plus forts des Jeux: quand elle a allumé la vasque olympique dans une de ces grandiloquentes mise-en-scène qui font déjanter les foules, et quand elle a gagne son épreuve au Stadium Australia. Les étrangers ont mal saisi le double message de Cathy Freeman. Ils n'ont vu qu'une championne de la cause aborigène. Ce qu'elle est bien sûr. Mais dans ces deux moments d'une extraordinaire émotion, Cathy Freeman a surtout choisi d'être Australienne, ne serait-ce qu'on acceptant de devenir la reine de tous les Australiens. « I did it for my people but also for everybody in this beautiful country of ours »... Dans un geste d'un rare lucidité, elle a montré le passage obligé vers la réconciliation. Puisse son message être entendu par d'autres peuples autochtones. Les Mohawks, mettons.

LA MORALE DES JEUX - Rencontré dans le train, le lendemain des Jeux, un groupe de joueurs de hockey sur gazon, pakistanais. « Au Canada, les athlètes sont riches », me lance l'un d'eux. Mais non, je lui réponds, j'en connais plein qui vivent avec moins de 20 000 $ par année. Sont partis à rire. « Ici à Sydney, notre fédération nous donne 200 roupies par jour pour notre argent de poche ». Environ 4 $. Vous savez combien de médailles a gagnées le Pakistan (150 millions d'habitants) ? Aucune. L'Inde, un milliard d'habitants, en a gagné une de bronze. Qu'est-ce que vous croyez, la même idéologie qui mène le monde, mène les Jeux.

LA JOKE DES JEUX - Le Qatar qui s'achète des haltérophiles bulgares... l'Allemagne qui s'achète des joueurs de ping-pong chinois. Les Cubains devenus espagnols, canadiens, américains. Les Maghrébins français. Les Russes australiens. Le début des Jeux a été marqué par les affaires de « naturalisation ». Si le CIO cède là-dessus, ce sera le retour au marché des esclaves. Le Qatar viendra chercher nos trampolinistes et adieu nos déjà rares médailles...

LA JOKE DES JEUX, BIS - Sur le revers des médailles des Jeux on a gravé le Colisée romain et plusieurs se sont demandé quel rapport il pouvait bien y avoir entre le Colisée et les Jeux. Réponse, c'est une erreur du comité organisateur. On voulait reproduire l'habituel Parthénon athénien, mais on s'est trompé de ruine ! Oups !

NOUVEAUTÉS - Deux nouveaux sports, taekwando et triathlon, ont fait leurs débuts à Sydney. S'il était scandaleux que le triathlon ne fût pas déjà un sport olympique, pour le taekwando on aurait pu attendre encore un peu, mettons quelques siècles, ce sport d'un total ennui ressemble beaucoup au trampoline mais sans trampoline.

26 épreuve féminines ont aussi été ajoutées à ces Jeux, notamment l'haltérophilie, le water-polo, le saut à la perche et le lancer du marteau. Le saut à la perche féminin a énormément convaincu. Ces sculpturales jeunes femmes qui s'envoient en l'air au bout d'un grand bâton dressé, croyez moi, il y a là une symbolique qui fera beaucoup pour l'avancement du saut à la perche à travers le monde.

LA POTION MAGIQUE - Celle qui a permis à la Hollandaise Inge de Bruijn de gagner trois médailles d'or. Celle qui a permis à Van Den Hoogenband, tiens un autre Hollandais, d'en gagner deux. Celle qui a permis à la cycliste Léontine Zijlaard, tiens encore une Hollandaise, d'en gagner trois aussi, plus une d'argent. Ben d'abord, vive la Hollande, vive les tulipes et vive l'engrais qui les fait si bien pousser.

LA VICTOIRE - Celle de Gebreselassié par quelques millimètres au 10 000 mètres. Usé le vieux renard. Il avait dit qu'il passerait au marathon après Sydney. Pas sûr...

LA DÉFAITE - Celle de Hicham El-Guerrouj dans le 1500 mètres. Ça et la 15e place de Geneviève Jeanson dans le contre-la-montre, deux petits coups de poignard dans le coeur.

L'ÉCOEURANTERIE - La médaille d'or ôtée à la gymnaste Andreea Raducan, trouvée coupable d'avoir pris deux tablettes de Nurofen, un truc contre la grippe qui contient de l'éphédrine... Au ridicule de n'avoir attrapé aucun gros poisson, le CIO ajoute l'odieux d'une injustice. Ces gens-là puent.

UNE DERNIÈRE MÉDAILLE - La dernière médaille aux gens de Sydney pour leur gentillesse, pour leur simplicité, pour leur passion du sport, pour leur ville pas si belle que ça, mais tellement sympathique. On ne s'est pas ennuyé une seconde d'Atlanta.

FÉLICITATIONS - Félicitations au printemps australien, pour ses oiseaux, ses fleurs, ses vents chargés des parfums de mer. Merci pour son décalage horaire, j'aurai eu deux printemps cette année, et pas d'été. Quelle vie trépidande, mon vieux.

Je vous embrasse. Je vous reviens à m'ment donné avant Noël. Jules ? Je l'ai ramené à Saint-Armand. Je vous assure. Les minous sont pas contents...