Le mardi 10 avril 2001


Le courrier de la Femme et de son ombre
Pierre Foglia, La Presse

Deux récentes chroniques -l'une sur les pensions alimentaires et l'autre sur la violence conjugale- m'ont valu ces dernières semaines un abondant courrier de la Femme. Ce qui me flatte. La Femme a une très grande importance, mon maître Alexandre Vialatte avait coutume de rappeler que «la femme remonte à la plus haute Antiquité et que sans elle, l'homme vivrait comme un veuf». J'ajoute que c'est la Femme qui m'écrit le plus souvent, sans la Femme je serais parfois bien embêté pour faire ce courrier et peut-être même que je serais obligé d'inventer des lettres, ce qui est strictement interdit par la Fédération professionnelle des journalistes qui nous surveille de près et même parfois nous espionne...

L'autre jour, je reçois un courriel d'un monsieur qui me cherchait vaguement chicane, je ne lui réponds pas. Il se remanifeste deux jours plus tard en me disant excusez-moi je suis journaliste, je fais une enquête pour le 30 (notre journal professionnel) sur les courriels que reçoivent les collègues, le premier que je vous avais envoyé, c'était seulement pour vérifier si vous répondiez aux vôtres. Au fait, combien en recevez-vous par jour? Je lui dis combien. Il ne me traite pas de menteur, mais tout juste. Vous êtes sûr? Oui je suis sûr. Il insiste: sûr, sûr, sûr? Je l'ai gentiment envoyé chier. Reste que son étonnement m'a fait comprendre que je recevais effectivement énormément de courriels et c'est la Femme, mon vieux, c'est la Femme, très majoritairement, qui m'écrit.

Non non, la Femme ne m'agonit pas d'injures. La Femme se montre souvent mesurée, mais, surtout, la Femme témoigne de son quotidien avec un sens intime de la notation que n'ont généralement pas les hommes (les hommes ont des opinions). Anyway, pour revenir aux pensions alimentaires, je pourrais publier un grand livre de petites histoires d'horreur, mais en voici deux qui illustrent parfaitement le sujet.

J'ai une fille de mon premier mariage. Divorcée depuis onze ans, j'ai reçu l'équivalent de neuf mois de pension. Mon ex n'a pas de salaire déclaré, il vit de dessous de table, n'approvisionne pas ses comptes bancaires et s'est départi de tous ses biens au profit de sa famille. Il avait juré que je n'aurais jamais un cent... Le pire c'est que le montant de la pension qu'il devrait me payer est fixé à 39$ (trente-neuf) par semaine!... Je me suis remariée. Mon nouveau conjoint aussi avait une petite fille d'un autre mariage. Il paie 900$ (neuf cents) de pension par semaine (1) -pour une petite fille de cinq ans-, il est rendu à 32000$ de frais d'avocat, nous sommes littéralement ruinés, d'autant plus que nous avons deux autres enfants... Claudia T.

Je suis séparée, quatre enfants, je reçois une pension alimentaire pour moi et une pour les enfants. J'ai un nouvel amoureux. Il est en instance de divorce, la dernière fois qu'il est allé en cour j'ai reçu aussi un subpeona, son ex veut prouver que l'on vit ensemble, additionner nos revenus et exiger une plus grosse pension... Or mes seuls revenus c'est la pension que je reçois pour moi et pour les enfants. Peut-être devrais-je demander à mon ex d'envoyer directement son chèque à l'ex de mon nouveau chum? Qu'en pensez-vous? Brigitte D.

J'en pense, madame, que les femmes qui mènent les luttes des femmes, sans avoir la partie gagnée, ne sont plus dans l'urgence où elles étaient il y a quinze ans et qu'elles pourraient commencer à se soucier des blessé(e)s par inadvertance, ces victimes plus ou moins innocentes que font toutes les guerres. C'était bien de se battre pour la perception automatique des pensions alimentaires. C'était bien d'amener la police à intervenir systématiquement dans les cas de violence conjugale. Ce serait bien, maintenant, de prendre cinq minutes pour dénoncer celles qui se servent des grandes luttes du mouvement féministe pour gagner leurs petites guéguerres conjugales personnelles. Et d'abord arrêter de minimiser leur nombre, et la gravité de leurs abus.

Dans votre articleBanalisons,vous faites référence à Poly. J'y étais quand c'est arrivé. J'étais dans un corridor au 3e étage, j'essayais de m'enfuir. Pourtant, je n'ai jamais accepté la récupération que l'on a fait de cet événement. Parlant de Marc Lépine, la discussion ne devrait pas porter sur la violence faite aux femmes mais sur la maladie mentale. Excusez mon français je vis à Vancouver où je suis ingénieure depuis que j'ai gradué de Poly en 91... Nathalie L.

La Violence -la majuscule est délibérée-, est un sujet immense qu'à force de répétition le discours féministe a ramené à un pugilat conjugal.

Étudiant en médecine, j'ai participé à plusieurs conférences de prévention contre la violence où l'on parlait du CONTINUUM DE LA VIOLENCE DES MÂLES (des mâles, pas des hommes), continuum donc qui commence par le contrôle de la zapette qui inscrit déjà la femme dans un rapport de force et de domination!!!! Jean-François L.

C'est exactement ce que je voulais dire, la zapette a zappé des violences autrement violentes. On nous parle de violence comme on parle d'écologie aux enfants. On leur commande de ramasser leurs petites merdes parce que c'est pas propre, ou oublie de leur dire qu'ils vont crever des pesticides qu'on répand partout.

Une claque sur la gueule, c'est une claque sur la gueule, ça fait autrement plus mal de perdre son travail. Une claque sur la gueule, c'est une claque sur la gueule, mais la violence du pouvoir c'est des milliers de morts. Le pouvoir des militaires, des politiques, des experts, des scientifiques, le pouvoir des forts.

La violence des médias, pointe Christine Morin. Les médias qui parlent toujours de la violence dans le carcan du «socialy-and-what-so-ever-correct»... La violence est très «tendance», très peste du jour (comme on dit soupe du jour). Rien de plus sale, de plus dramatique, de plus honteux. Dépassée la drogue. Banale, la prostitution. Ennuyant le sida... Exemple parfait d'hypocrisie populaire, encore que monsieur Tout-le-Monde sache très bien que ce n'est pas vrai, monsieur Tout-le-Monde sait qu'il lui arrive de pogner les nerfs après sa blonde, après son boss, après son chien qui vient de bouffer son chandail... Madame Tout-le-Monde aussi d'ailleurs. Les femmes restent, à ce jour, les principales victimes de la violence, mais elles la portent aussi, et l'engendrent sournoisement... Nous avons tous le potentiel d'être voleur, menteur, violent, mauvais et sale, Jung appelait cette part de nous-mêmes «the shadow». L'ombre de l'homme.

(1) C'est bien écrit «par semaine», je viens juste de réaliser que c'est énorme. Voulait-elle dire par mois? Je vous en reparle.