Le lundi 31 mars 2003


Pas de Falbalas
Pierre Foglia, La Presse

San Antonio Texas

Ray Charles a dit, voilà 30 ans: "J'aime aller au Holiday Inn parce que tout est placé de la même façon dans les chambres. Ceci est vraiment pratique, surtout pour un aveugle". Après deux semaines sur la route, j'ai l'impression que c'est toute l'Amérique profonde qui est identique à une chambre d'un Holiday Inn. La ville dans laquelle vous arrivez est identique à celle que vous avez quittée le matin, les sorties d'autoroutes vous emmènent aux même vieux centres commerciaux qui ont tous les mêmes magasins et les mêmes produits aux même endroits. Les bananes, rangée 3; tampon rangée 8; ils sont tous au même endroit dans toute l'Amérique. Je ne vais pas au Holiday Inn, trop cher, je dors dans une chaîne de motel appelé LaQuinta, souvent situé tout près d'un restaurant IHop où les déjeuners sont délicieux et où les serveuses sont familières comme je les aime...Comme ça va ce matin, Sunshine? Sunshine juste comme je devenais de plus en plus anti-américain. Vous souvenez-vous comme nous détestions l'uniformité de l'Union Soviétique? L'uniformité de l'Amérique profonde n'est pas moindre, comme si toutes les idéologies, même contraires, nous liaient aux même conformités d'espaces et de pensées.

La guerre, à tout le moins son climat, augmente ce conformisme, à preuve le patriotisme qui, à la base, condamne à être ''tous pareils''. Je ne sais dans quel journal, je lis trop, une lectrice protestait contre la section mode de ce journal, elle disait: "Pourquoi avons-nous besoin de ces falbalas de grands couturiers en ces temps de guerre? Pourquoi ne pas voir des femmes de tous les jours, vous savez le type de femme qui porte des vêtements de Wall-Mart et qui a un fils en Irak? Pas de falbalas pour l'Amérique de tous les jours. La culture entre aussi dans la catégorie des falbalas. L'édition du dimanche du San Antonio Express compte 150 pages, de ce nombre, seulement 3 pages vont à la culture. Je n'ai vu aucune librairie dans les 15 derniers jours.

Comme ça va ce matin, SUNSHINE?
Très bien, je retourne à la maison.

OH MON COWBOY

En revenant de San Antonio, je suis passé par une petite ville du nom de Banderas, la capitale auto-proclammée des cowboys. J'ai été témoin d'une grosse dispute. Un regroupement de marchands a demandé à la police de s'habiller en comboys, de se promener en ville à cheval et de prendre des photos avec des touristes. "Je n'ai même pas de cheval" a dit le Shérif. Chut a dit le président du comité, si les touristes vous entendaient. Banderas est reconnu pour ses nombreux Saloons, où les touristes prennent une cuite mémorable. En vérité, Banderas est la capitale des ivrognes.

Et le comboy? Disparu, ou en voie de disparition. Il conduit une japonaise, joue au golf, mets de la salade dans son sandwich, et quand il chante ''Big balls in Cowtown'', son fils a honte et demande l'asile politique au Consulat français de Dallas.

En réalité, le comboy s'est depuis longtemps recyclé dans la milice ''Border patrol'' et va à la chasse aux Mexicains, le soir, le long du Rio Bravo. Il devient alors le gardien des quartiers résidentiels blancs où il décide des ses propres lois.

INFORMATION

Avec tous les reporters de la télévision présents sur le terrain, l'expression ''théâtre des opérations'' prends un tout autre sens. Même si je suis pour, je n'aime pas voir la guerre de près. Je suis pour la présence de caméras à la condition qu'elles ne servent pas à la diffusion d'une propagande comme cela semble être le cas actuellement. Si le but est d'informer, alors laisser les Américains constituer un regroupement de réseaux télévisés de différents pays, Allemand, Français, Canadien, etc ... et pas seulement ''les petits amis'' de réseaux serviles. Laisser des gens d'un peu partout parler de cette guerre, que CNN, Fox et CBS se la ferment un peu.

J'ai demandé à un homme derrière moi au IHop ce qu'il en pensait. Je ne lui ai pas dit que je suis journaliste. De toute façon, il m'a abordé en premier. Il m'a vu lire le journal et m'a demandé si les nouvelles étaient bonnes.
Que penses-vous de toutes ces nouvelles à la télévision, que je lui ai demandé ?
-Ils déshonorent nos soldats.
-Pourquoi ?
-Ils n'ont pas leur place là-bas, ce sont des parasites.
-Et l'information?
-Vous voulez dire, les cotes d'écoutes?

LES FEMMES DU NEBRASKA

Centre commercial ''South park''. Boutique ''Veronica's perfume''.
Bonjour Madame, je fais un reportage sur le boycottage des produits français:
-Vendez-vous moins de parfum français ces jours-ci?
-Je n'en vends aucun, je les ai jetés.
-Êtes-vous sérieuse?
-Non, ce n'est pas vrai.
En vendez-vous beaucoup moins? J'ai entendu parler que certaines organisations du Texas, du Nebraska et de l'Utah ont demandé à leurs membres de ne pas acheter de parfum français.
Elle me demande d'approcher afin de chuchoter:
Je vais vous dire un secret, les femmes américaines qui achètent du parfum français ne sont membres d'aucune organisation. Un autre secret, les femmes du Nebraska ne portent pas de parfum du tout.

Pendant ces deux semaines, j'ai demandé souvent: Acceptez-vous les Français ici?
Comme au supermarché: Avez-vous des fromages français ici?
La seule remarque que j'ai eue pendant ce séjour est lorsque j'attendais pour un professeur de journalisme à l'Université du Texas. (Il n'est jamais venu). La libraire m'a dit une phrase stupide du style: Que nous voulez-vous, vous les Français, nous qui vous ont sauvé la vie ? Je ne voulais pas commencer à lui expliquer qu'il y avait des français à l'extérieur de la France, j'étais trop paresseux, je lui ai donc demandé de m'apporter un dictionnaire. Elle m'en a apporté un.. je lui ai dit de lire ça: PEARL HARBOR...

FIN DU VOYAGE

Finalement, le temps passant, la guerre semble de plus en plus distante. 4 morts ce matin. La routine est déjà là. Une autre nouvelle arrive. A San-Antonio, où j'ai commencé ce voyage, et où je l'ai terminé, il y a une élection municipale, la Fiesta, le basket-ball. C'est dimanche et le dimanche est la journée du magasinage. Je voulais m'acheter un T-Shirt d'Austin pour mon jogging, j'ai fait 278 fois le tour du stationnement, gros comme 7 terrains de football, avant de trouver une place. Je ne sais pas ce qui pourrait arrêter les Américains de magasiner.

Une guerre peut-être.

A la maison, j'entends.