Le samedi 18 octobre 2003


Chronique papale
Pierre Foglia, La Presse

Un bon pape ? demandait mon journal hier dans sa page forum.

Permettez que je repose la question comme je l'eusse posée avant de suivre ce séminaire à l'Université de Napierville sur l'optimisation des énergies positives: un mauvais pape ?

Pour moi qui ne crois ni à Dieu, ni à diable, ni à la résurrection ni au salut par la prière, il n'est pas de mauvais papes. Ils sont seulement un peu ridicules avec ce chapeau pointu sur le haut de la tête, qui leur donne un petit air penché et même un petit air gueurlot de mononcle qui revient du festival de Saint-Tite. Chaque fois que Jean-Paul se pointe au balcon de la place Saint-Pierre et que je le vois chercher ses mots comme mon ami Bob quand il était chaud, j'ai toujours l'impression qu'il va me demander, de sa voix un peu pâteuse: t'es-tu mon ami ?Un mauvais pape ? Disons, d'abord, une foutue job. Sa première fonction est d'incarner l'amour sublimé du Christ pour les hommes, et cela l'oblige à voyager énormément, à aller partout dire aux hommes que Dieu les aime. Au début, ca va bien, il est enthousiaste. Mais plus il rencontre de tordus, de politiciens et d'évêques, plus il se demande pourquoi le Christ les aime tant. Et à la fin, le pape, à moins d'être complètement nul, le pape sait bein que les hommes auraient plus besoin d'un coup de pied au cul que d'amour. Plus besoin d'un esprit critique que d'un esprit sain. Plus besoin de liberté que de soumission. Plus besoin de raison que de magie. Plus besoin d'une grande diversité de maîtres à penser que d'un pape unique. Mais que voulez-vous qu'il fasse ? Hara-kiri ? Il n'est pas Japonais, il est Polonais.

Un mauvais pape ? Quand j'entends qu'on lui reproche d'être contre la contraception, contre l'homosexualité, contre le mariage des prêtres, j'ai envie de vous demander: qu'attendez-vous donc d'un vieux Polonais de 83 ans élevé dans la religion ? Qu'il aille à des soirées raves ?

Un mauvais pape ? Quand j'entends qu'on le tient responsable de la propagation du sida en Afrique, je me dis qu'il y a tout de même bien une limite à bouffer du curé. Il n'a jamais dit de baiser sans condom, il a dit de baiser en couple, et seulement pour faire des enfants. C'est tout à fait normal de dire ça, pour un pape. Mais bon, la vie continue, comme on dit. Supposons que que vous vous enfargiez dans la voisine, qui vient d'aller louer Greta chez les pompiers au club vidéo voisin, c'est sur qu'il faudra mettre un condom. Cela n'a rien à voir avec le pape.

Un mauvais pape ? M'en fous, ce n'est pas ma religion. Mais c'est ma culture, par exemple. Et si vous me forciez à choisir, je choisirais 20 fois ce mauvais pape anti-pédés et antiavortement avant n'importe quel bouddha, n'importe quel mollah suprême, n'importe quel prophète juif, n'importe quel preacher, n'importe quel dalaï-lama de merde sponsorisé par Richard Gere et l'union des artistes...Nietzsche n'a rendu service à personne en proclamant la mort de Dieu au XIX siècle. Prométhée, qui l'a remplacé -- Dieu, pas Nietzsche -- en dérobant le feu aux dieux, Prométhée fait aujourd'hui mille flammèches païennes et ésotériques, de la théorie de la blessure sacrée de la psy Jean Houston (celle qui s'est occupée de la renaissance des Clinton) au bouddhisme nyingma tibétain, en passant par la bouillie mystico-new-age de Paolo Coelho, ce gourou de province, best-seller de toutes les meilleures librairies de Drummondville comme de celles de Carcassonne.

Je préfère mon mauvais pape. C'est ma culture. Et comme ma culture garantit à la fois la liberté religieuse et la laicité de la société civile -- laïcité de l'école publique, notamment -- que le pape soit bon ou mauvais, cela ne regarde que les catholiques. Moi, je n'ai à m'inquiéter que l'étanchéité de cette cloison entre l'Eglise et l'Etat.

Et justement, je m'inquiète ! Quand j'entends ces histoires de voile à l'école et de kirpan, quand j'entends que la plus grande puissance de la planète est menée par des fondamentalistes chrétiens, mais aussi quand j'entends des artistes d'ici (Wadji Mouawad) clamer que le rapport à la beauté est fondamentalement un rapport à la foi … et mon cul, Wadji ? Le sanctifieras-tu si je te le montre ?

Un mauvais pape ? On dit que celui-ci n'a guère prêché le bien, plus empressé à ramener les fidèles dans son Église désertée qu'à appeler au devoir de solidarité les malheureux de la planète. C'est là une idée bien ancienne d'un christianisme à jamais disparu. Le bien ne se prêche plus, le bien ne vient plus par la parole, fût-elle celle de Dieu. On ne s'en porte pas plus mal, on n'est pas moins généreux ni moins juste sans Dieu qu'avec. Les gens de bien d'aujourd'hui ne sont pas religieux, ou le sont et le garde pour eux. Le bien participe d'une citoyenneté, d'une responsabilité, d'une politique, voire d'une économie parallèle - pensez au commerce équitable. Le bien participe de moins en moins d'une morale. Et la pratique elle-même du bien passe par des réseaux d'entraide depuis longtemps sortis des sous-sols d'églises. Sur toute la planète, des millions de gens éduquent, soignent, aident leurs semblables et ce sont eux, pas le pape, qui donnent une cohérence à la société.

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MA SŒUR - Je vous parle parfois de mes deux sœurs en Californie; il faudra que je dise maintenant ma sœur en Californie. L'autre est morte après s'être fait remplacer une hanche. Il paraît que la chose est courante : l'opéré semble en voie d'un prompt rétablissement quand pouf ! un caillot au poumon en plein sommeil et … glissez mortels ! C'est arrivé exactement de la même façon tout récemment à M. Antoine Bedwani, le fondateur du club des Espoirs de Laval, d'ou sont sortis tant de bons coureurs cyclistes. Pourquoi je vous parle de ça ? Schwarzenegger. Je voulais demander à ma sœur si elle avait voté pour lui, mais elle est morte et celle qui reste on se parle pas fait que je ne sais pas, mon vieux.

Des fois, la démocratie c'est juste ça : une classe de nuls qui élisent un nul comme eux, juste pour écoeurer le petit smart tellement plus brillant qu'eux. Ce qu'ils ont fait aussi quand ils ont choisi Bush plutôt que Gore. Mais bon, c'est pas grave. Rappelez-vous que l'homme n'est que poussière. Et sa sœur aussi.