Le samedi 6 décembre 2003


Destituer Patapouf ?
Pierre Foglia, La Presse

Patapouf, est paraît-il, le surnom affectueux que donne Mme Charest à son premier ministre de mari. Faut-il destituer Patapouf ? L'idée se veut drôle et séditieuse à la fois. Elle fait déjà grand bruit sur internet. Lancée par des médias parallèle (dont le Couac), soutenue par une dizaine de profs d'un collège de Sherbrooke, l'opération ne vise pas vraiment à destituer M. Charest, seulement à faire comme si . Comme si on était en Colombie-Britannique ou en Californie, où la loi électorale permet de destituer un élu dont le peuple est mécontent. Selon le modèle californien, donc, la coalition pour la destitution virtuelle de Patapouf se propose de faire signer 12% des votants de la dernière élection provinciale, donc de recueillir 463 950 signatures d'ici le 12 avril prochain.

C'est un jeu de cons, si vous voulez mon avis. J'aimerais dire de petits cons qui ne réalisent pas à quelle sulfureuse idéologie s'abreuve leur plaisanterie, mais je crains qu'ils ne soient pas si petits que ça.

Une plaisanterie ? Vraiment ? Quand je lis dans le communiqué de Destituons Patapouf que le processus de destitution n'existe MALHEUREUSEMENT pas dans la loi électorale du Québec, j'entends là un regret tout ce qu'il y a de plus sérieux.

Cout'donc, êtes-vous membre de l'Alliance canadienne ? Petits cousins de Stephen Harper, peut-être ? Vous n'avez pas l'air de savoir que le principe de Recall -- qui nous a valu l'élection du glorieux Arnold - est d'abord revendiqué par la droite populiste. Populisme que vous exprimez d'ailleurs sans la moindre honte au paragraphe suivant, quand vous ajoutez : Nous pensons que la démocratie n'est pas seulement le droit de faire un X à tous les 4 ans. Elle doit s'exercer aussi entre les élections. Pour des petits comiques, vous êtes pas mal sinistres, les amis.

La démocratie, c'est plein de choses différentes pour plein de gens différents, mais à peu près tous les démocrates s'entendent pour dire que la démocratie n'est surtout pas l'incessante affirmation de la volonté du peuple. Ça, c'est la démocratie directe qui s'incarne pleinement dans le Recall . On est en pleine métaphysique du populisme. On est en pleine confusion de souveraineté. Pas celle du Québec. Celle du peuple. Le peuple souverain décide des modalités de son vivre-ensemble au cours de consultations ponctuelles que l'on appelle élections. Le peuple roi refuse le principe de la représentation - on parle beaucoup ces jours-ci de la démocratie représentative - le peuple roi, pain in the ass , toujours dans le cul de ses élus, croit en faire ses serviteurs en les fouettant. Il en fait seulement ses courtisans, des flatteurs, des populistes, des Berlusconi. Des Poutine. Des Arnold Machin qui le baisent à la fin de toute façon.

Destituer Patapouf ? Même pas pour rire. Nous l'avons élu. Bien sûr qu'il ne respecte pas ses promesses. Ce serait bien le premier qui le ferait. Combien de fois faudra-t-il vous le répéter ? Ils ne respectent jamais leurs promesses. Ce n'es pas une trahison, c'est une impossibilité. Cela n'arrive jamais que des politiciens accomplissent le programme qu'ils ont défendu en campagne électorale. Dans aucune démocratie du monde. Ce n'est pas parce que ce sont tous des putes ou tous des menteurs. Je vous ai déjà exposé cent fois cette contradiction plantée au cœur même de la démocratie et qui parfois l'empêche de marcher… oui, comme les albatros de Baudelaire : à peine se sont-ils posés sur le pont qu'ils deviennent gauches et veules tandis que vogue le navire sur des gouffres amers. Plus pragmatiquement : pour se faire élire, ils doivent promettre de DONNER. Pour gouverner, ils doivent PRENDRE.

Cela dit, si l'on veut bien s'élever deux secondes au-dessus des opérations benoîtement comptables de ce gouvernement, deux dollars de plus ici, un milliard de moins là, l'honnêteté nous oblige à admettre que, sur le fond, M. Charest tient toutes ses promesses. Il nous a promis la modernité et il nous a dit ce qu'il entendait par ''modernité'' : une sorte d'inévitabilité historique impliquant la fin du syndicalisme, la fin de la solidarité et de la justice sociales, la prise en charge de la province par l'entreprise privée. Et là-dessus, qui osera dire qu'il ne s'en tient pas à sa saloperie de programme ?

Sur d'autres vastes sujets, je pense à la culture, il ne nous a rien promis du tout. Et là-dessus aussi, je trouve qu'il tien parole.

Destituer Patapouf ? Jamais de la vie. Vous l'avez voulu.

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Le banc

(N.B.: j'ai reçu ce courriel dans la soirée de jeudi; il est signé Fernand Lafleur, frère de Léon.)

A Saint-Antoine-de-Tilly, le cimetière est situé sur le cap, derrière l'église. La vue sur le fleuve y est splendide, surtout à marée haute. Au bord du cap, un banc a été installé. On peut s'y asseoir pour jouir de la vue en toute quiétude, en pensant à ceux qui sont derrière nous. On peut aussi y pleurer sans être vu. C'est ce que mon frère Léon y a fait le jour précédant sa mort. Puis il s'est rendu à St-Nicolas où il a posté la lettre qu'ont reçues vendredi Le Devoir et quelques proches. Et il a repris sa route en direction de Saint-Hyacinthe.
Léon était un de vos lecteurs assidus. Il vous aurais parfois écorché vif mais souvent il appréciait la justesse de vos propos. Je pense qu'il aurait apprécié ceux que vous teniez dans votre chronique du 27 novembre.
Votre coup de fil (chronique du 4 décembre) aurait sans soute été apprécié., peut-être plus que celui du ministre… Mais ''sans aucun doute se serait-il suicidé quand même '', pour les raisons qui, déjà, avec un peu de recul, me semblent les unes et les autres toutes aussi ''banales''. Le chagrin y est sans doute pour quelque chose. Si un jour votre balade en vélo passe par Saint-Antoine, allez reprendre votre souffle sur le petit banc du cimetière. L'air y est pur et le repos assuré.
--Fernand Lafleur


C'est drôle ---enfin, drôle… Je connais ce cimetière, ce cap, ce banc. Je m'y suis arrêté il y a quelques années avec des amis cyclistes. On croit avoir oublié un lieu, la vie le fait resurgir. Tant qu'à ça : on croit ne pas connaître quelqu'un, la mort le fait vivre.
-- P.F.