Le samedi 13 décembre 2003


Le modèle français
Pierre Foglia, La Presse

C'est une très bonne nouvelle qui nous vient de France. Vous savez, ce pays de nuls, d'arriérés, de syndicalistes, de gauchistes, de, de, excusez, je m'étrangle
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(le pointillé, c'est pour vous permettre d'exprimer votre propre francophobie. Allez-y, ça fait du bien, c'est pas honteux ni raciste, c'est pas du tout comme être anti-américain. Être anti-français, cela est permis (surtout ici), cela va de soi, ces petites grenouilles nostalgiques et républicaines sont tellement ridicules, tellement inaptes à la modernité, vous auriez tort de vous priver).

Reste que, parfois, ne vous en déplaise, il arrive encore aux Français de montrer la voie au reste du monde. Exactement comme au XVIIIe siècle, quand Montesquieu et Voltaire, et Diderot et Buffon (mais aussi Newton en Angleterre et Kant en Allemagne) faisaient triompher un rationalisme assez éblouissant pour que l'on nommât leur siècle celui des Lumières . Ils croyaient que la raison, plus que les dieux, pouvait mener les humanité à la sagesse.

On dirait bien que c'est le même esprit lumineux qui a inspiré la loi sur la laïcité que les Français vont se donner.

La France s'apprête à interdire le port du voile islamique à l'école publique, tout comme le kippa des juifs, tout comme les grandes croix des charismatiques. Les 20 membres de la commission chargée de réfléchir sur la question très explosive du prosélytisme religieux à l'école - juste pour mémoire, il y a plus de 3 millions de musulmans en France --, les 20 membres sont unanimes à recommander une nouvelle loi sur la laïcité qui bannira les signes religieux ostentatoires. Ça, c'est la bonne nouvelle. La très bonne nouvelle, c'est que tant la communauté juive (par la voix de quelques grands rabbins) que les organisations musulmanes et le recteur de la mosquée de Paris ont déjà affirmé qu'ils ne s'opposeraient pas à cette loi. Même les organisations juives ou musulmanes les plus pratiquantes ne sont pas montés aux barricades et ont félicité cette commission des sages du suggérer que les fêtes du Yom Kippour et d'Aït El Kebitr soient désormais chômées.

N'en déplaisent aux hystériques du multiculturalisme et aux curés de l'école fourre-tout, il est des retours en arrière qui sont comme un grand pas en avant. Péguy était plus moderne au début de l'autre siècle que les parents qui envoient aujourd'hui leurs enfants à l'école avec un kirpan ou un voile. Péguy disait en 1902 que les enfants devraient renter à l'école en laissant à la porte leurs parents et leurs dieux, on allait leur présenter à l'intérieur des gens autrement plus intéressant : des poètes, des philosophes et des savants.

Le jour où nous parvenait cette très bonne nouvelle de France nous parvenait d'Ontario (Canada) une autre nouvelle à caractère religieux, qui allait, celle-là, à contresens de la première, illustrant jusqu'à l'absurde les dérives du multi-n'importe-quoi qui fait la fierté de notre beau et grand Canada. Croiriez-vous que des musulmans canadiens travaillent actuellement à mettre en place en Ontario un tribunal judiciaire fondé sur la charia ? Prétendument pour arbitrer les conflits matrimoniaux entre musulmans ! Le plus fou de tout ça, c'est que la loi ontarienne permet ce genre de médiation !

Deux nouvelles qui nous révèlent deux attitudes complètement opposées dans deux sociétés pourtant toutes deux garantes du droit.

La différence, c'est que l'une fixe les frontières d'un espace public - école, justice - où, en aucun cas, la règle commune ne pourrait s'accommoder de la charia. Où ni la justice ni l'éducation ne pourraient être confiées en sous-traitance à quelque communauté religieuse que ce soit.

L'autre société, c'est la nôtre. Un État de droit, mais, si j'ose me contredire, de droit sans l'État ! Le droit de faire n'importe quoi ou presque dans l'État au nom de la diversité. Le genre de société où l'on s'autorise par exemple à se poser l'abominable question de l'excision. Je ne vous parle pas de l'excision de force. Je vous parle de gamines qui demandent elles-mêmes l'ablation de leur clitoris parce que c'est ce qu'il faut faire pour être considérées comme des femmes dans leur culture. Ben quoi, c'est leur droit à la différence! Nous sommes si bien hypnotisés par ces sacro-saintes différences qu'un juge d'ici a pu montrer de la clémence à un violeur musulman parce qu'il croyait que, dans la culture musulmane, les beaux-pères avaient le droit de sodomiser la fille de leur nouvelle épouse. Vous vous souvenez de celle-là ? Plus, récemment, un avocat de Québec a avancé qu'il était dans la culture des Haïtiens de prostituer leurs petites copines. On en a bien ri, mais supposez que, au procès, cet avocat tombe sur le juge dont je parlais à l'instant, si ouvert aux différences culturelles et religieuses ?

Ces diversités, qui rendent gaga huit Canadiens sur dix, sont une richesse lorsqu'elles finissent par se fusionner dans un espace commun (et ultimement dans une culture commune). Quand cet espace est mal délimité, quand il n'est pas résolument laïque, c'est toujours le bordel, la confusion, une source d'aberration comme le voile, le kirpan et le tribunal islamique qui prétendent se bricoler, on the side de la loi ontarienne mais tout à fait légalement, quelques imams qui se servent de la Charte des droits et libertés pour imposer un loi coranique…qui restreint les droits et libertés, notamment des femmes.