Le mardi 3 février 2004


Respect et Fessée
Pierre Foglia, La Presse

Respectez-le dans sa personne

Il y a d'abord ce mot, désuet : fessée. Moi qui suis assez vieux pour avoir connu le supplice de la roue, je n'ai jamais reçu ni donné de fessée. J'ai reçu des gifles. Et j'en ai donné. Mais des fessées culottes à terre ? Cela ne se pratique plus depuis un siècle, sauf à but récréatif entre adultes consentants. Pourquoi continue-t-on d'appeler fessée une tape sur les fesses en passant ? Pourquoi parler de fessée, alors qu'avant six ans, le plus courant, c'est la petite tape sur les mains ?

T'aimes pas les carottes ? Mange le reste.
Naon ! Elle pousse les carottes sur la nappe. Vous les remettez dans l'assiette. Elle les repousse. Paf sur les mains.
Tu veux brailler ? Va brailler dans ta chambre.

C'est de cela que vous débattez depuis trois jour ? Me semble que c'est clair, le jugement de la Cour suprême vous donne le droit de leur donner des tapes, mais pas de les frapper avec un marteau même si des fois, c'est bien tentant.

Ben oui, ben oui, c'est mieux de ne pas les taper du tout. Ben oui c'est mieux de garder son calme. Me font rire, les psys. En fait non, ils ne m'amusent pas du tout. Les médiatiques surtout, qui se sont donné pour tâche de nous expliquer la vie. Insupportables de condescendance. Et ce ton professoral, comme s'ils s'autorisaient d'une science exacte. Comme si leurs rangs n'étaient pas infestés de charlatans, de sectaires, d'imposteurs, comme s'ils n'étaient pas tous devenus, peu ou prou, des flics de l'âme et de l'inconscient.

Les juges de la Cour suprême ont entériné le large consensus social qui dit oui, non pas à la fessée, mais à la tape sur la main, à la tape sur les fesses, à une force raisonnable sinon raisonnée. Sur le fond, les juges n'ont pas évalué la pertinence de donner des tapes aux enfants, ils ont simplement reconnu aux parents le droit de ne pas être rigoureusement pédagogiques, le droit de joindre le geste à la parole pour signifier à la tite crisse qui pousssse se carottes sur la table qu'elle est allée trop loin. Et c'est bien ce qui rend furieux les psys : que les juges aient pris le parti du profane contre celui du praticien.

Ce qui me fâche des psys, surtout ceux qui se mêlent d'éducation, c'est leur discours érigé en dogme. Je feuilletais récemment chez une amie un manuel éducatif, au chapitre intitulé Comment punir, ce genre de conseil : ne punissez pas l'enfant en lui donnant à exécuter des travaux domestiques, vous lui donneriez l'impression que faire le ménage est une sanction, ne le privez pas de dessert, et ne l'envoyez pas au lit, je ne me souviens plus pourquoi il ne faut pas l'envoyer au lit, mais admettons. Une question, alors. Plusieurs en fait : qu'arrive-t-il si je l'envoie au lit quand même ? Si je le prive de dessert quand même ? Et l'horreur des horreurs, qu'arrive-t-il si ma fille de 14 ans veut aller coucher chez son amie, je dis non, demain il y a école, elle pique une crise, me traite de vieux con, et je la gifle ? Qu'arrive-t-il ?

Il n'arrive rien du tout. C'est là que les psys déconnent. Entre ce qu'il faut faire et son contraire, le résultat n'est pas bien différent... Je viens d'une autre époque je l'ai dit. La façon d'élever des enfants dans l'Italie rurale d'avant-guerre est loin, très loin de la pédagogie actuelle. C'était des temps difficiles, âpres et violents. Excepté l'inceste -- qui me semble plus fréquent aujourd'hui, mais je peux me tromper --, nos parents ont fait tout ce qu'il ne fallait pas faire. Résultat ? Pas si différent, le résultat. Mon époque n'a pas produit plus de fuckés, plus de malheureux, plus d'angoissants que la vôtre. Pas moins non plus.

Il y a aujourd'hui de par le monde, je pense à la Chine, à l'Inde, au Moyen-Orient, à l'Afrique, des milliards d'enfants qui sont élevés très très différemment des vôtres. Je ne vois pas qu'ils soient plus fuckés que les vôtres Leurs parents n'ont pourtant pas de psys pour leur dire quoi faire. Je n'induis pas que les psys ne servent à rien, je veux seulement les appeler à un peu plus de réserve, leurs trois années en psychologie à l'université de Trois-Rivières ne les autorisent pas à traiter de débiles mes parents et des milliards de parents dans le monde qui élèvent leurs enfants bien loin de leurs diktats.

Pour les trois quarts de la planète, un enfant n'est pas une personne à part entière, mais c'est par ailleurs un petit être incroyablement indestructible, sauf par la famine ou par les bombes. Avec un peu d'eau, un peu de pain, un peu d'amour et un peu de chance, ce petit être traversera triomphalement la vie, du moins son enfance.

Chez nous, un enfant est un individu à part entière dès le quatrième mois de grossesse. Mais un tout petit individu tout fragile, très compliqué à élever. Ça prend des cours. Et toute erreur est fatale. L'avez-vous, un jour de grande colère, contraint à faire le ménage de la salle de bains où il a foutu un bordel monstre ? Il ira de psychothérapie en psychanalyse, et un après-midi il appellera le bon docteur Mailloux :
Une fois mon père m'a forcé à laver le siège des toilettes, depuis ce temps-là je fais pipi au lit.
Votre père est un criminel, le consolera le bon docteur.

Je ne veux pas vous effrayer, mais même si vous avez tout bien fait comme il faut, il n'est pas dit que votre enfant ne fera pas partie des 15 % d'enfants canadiens qui souffrent plus ou moins de maladie mentale (réf : Dr Stanley Kutcher, Child and Adolescent Pharmacology)... Ce qui est quand même étonnant, non ? Jamais une tape, jamais une contrariété, de l'amour en veux-tu en v'là, sont gros d'amour, sont même un peu obèses, et paf les voilà en dépression à 17 ans. Et 45 % des élèves des collèges américains (Time, 19 janvier 2004, page 44) disent avoir déjà été en dépression. Quarante-cinq pour cent ! Un sur deux. Des enfants pourtant élevés selon les avancées de la psychologie moderne. Comment est-ce possible ?

Mais bon, ne paniquez pas non pas. Il y a plein de médicaments pour soigner ça. Au Canada, on a le droit de prescrire du Prozac et du lithium aux enfants, et du Zyprexa, un truc pour rééquilibrer le niveau de sérotonine, aussi de Depakote, efficace contre l'hyper agitation, et bien sûr, le bon vieux Ritalin.

Votre gamin fait chier depuis le matin ? Vous n'en pouvez plus ? Vous allez exploser ? Ah non, je vous en prie ! Pas de tape. Respectez-le dans sa personne.

Essayez un petit Ritalin dans un verre de jus du jus d'orange.

Note : Voyez Des Antidépresseur à risque