Le samedi 20 mars 2004


L'Irak et nous
Pierre Foglia, La Presse

Deux choses sur l'Irak. La première : c'était une bêtise d'y aller. À peu près tout le monde l'admet aujourd'hui, sauf M. Bush et ses amis.

La seconde : ce serait une bêtise peut-être plus dramatique encore de se retirer maintenant. Je ne le dis pas pour les Américains, qui n'ont pas du tout l'intention de se retirer, je le dis pour les autres qui voudraient les voir rentrer chez eux et se mêler de leurs affaires.

L'Irak, malheureusement, est maintenant de leurs affaires. Et des nôtres. C'est bête à dire, les Américains sont les seuls à pouvoir sortir l'Irak du merdier... dans lequel ils l'ont plongé. Ce n'est pas seulement de leur remettre leur arrogance sur le nez, de leur dire tu l'as voulu, tu l'as eu. Gardons à l'esprit qu'au-delà de nos détestations, de nos chicanes onusiennes, 25 millions d"Irakiens vivent sur une poudrière qui sautera assurément si on n'y est pas. et sautera peut-être aussi si on est. Mais on peut encore l'empêcher. Qui ça ?

Sûrement pas les Casques bleus. Qu'on se souvienne de leur inefficacité en Bosnie, et en Irak même, chez les Kurdes que Saddam venait de massacrer. Le Casque bleu n'est pas un soldat, tout au plus une sentinelle. Le Casque bleu est utile pour garder la paix où elle règne déjà un petit peu, la Casque bleu est une force de maintien de la paix. Faire la guerre, cela suppose une autre sorte d`engagement. Il faut des soldats pour faire la guerre. Et c'est la guerre en ce moment en Irak. C'est même plusieurs guerres. La plus importante, la plus vicieuse : la guerre des sunnites contre les chiites, qui n'est pas une guerre religieuse comme on pourrait le croire, mais une guerre de pouvoir entres les anciens maîtres (les sunnites) et les nouveaux (chiites), pressentis et protégés par les Américains.

Puis une guerre religieuse, le djihad, menée, elle, par les salafistes, la branche irakienne d'Al Qaeta. Et encore la guerre tous azimuts que mène ce qui reste de l'armée de Saddam. Et enfin, moins connue, la plus honteuse peut-être, la guerre que tous ceux que je viens de citer sont prêts à faire aux Kurdes qu'ils haïssent plus ou moins.

Au moins trois guerres en ce moment en Irak. Il ne sert plus à rien, même si c'est mille fois vrai, de répéter que les Américains, enfin l'administration Bush en sont mille fois responsables. Ils ont menti, ils ont triché, ils ont improvisé, ils ont agi avec précipitation. contre l'avis des Nations unies, il n'y a pas une erreur qu'ils n'ont pas commise. Il appartiendra aux électeurs américains de demander des comptes à leur président.

N'empêche que là, tout de suite, les Américains sont les seuls à avoir l'autorité et la puissance nécessaires pour tirer ce pays du bourbier dans lequel, je le répète, ils se sont acharnés à le plonger. Pas depuis un an. Depuis 13 ans. Depuis le déclenchement de l'opération Tempête du désert par Bush père, le 17 janvier 1991.

Comment ne pas jubiler quand, au début de la semaine, le nouveau chef du gouvernement espagnol a envoyé chier Bush dans son premier discours ? Comment ne pas applaudir son remarquable manque de diplomatie quand il a dit souhaiter la victoire de John Kerry ? Mais comment, aussi, ne pas regretter sa hâte à vouloir rapatrier le contingent de 1300 soldats espagnols déployés en Irak ? Il l'avait promis : si je suis élu, je rapatrie nos soldats. Mais il y a eu ce massacre qui devrait changer la donne. L'attentat, c'était pour punir l'Espagne. Retirer les soldats, n'est-ce pas , un peu, aller dans le sens des assassins ?

Et au-delà, pour revenir à l'Irak, si je ne crois pas à l'efficacité d'une force onusienne, l'engagement, même symbolique, de la communauté internationale aux côtés des forces américaines me semble indispensable. Il ne faut pas retirer les Espagnols. Il faut envoyer des Français, des Allemands, des Russes, des Canadiens. L'Irak ne s'apaisera pas seul. Maintenant que le mal est fait, la communauté internationale doit aux Irakiens de le réparer.

Je parle comme Bush ? Peut-être. Mais il y a une petite différence, quand même. Lui, c'est vraiment un sale con. Moi, je suis le plus gentil des chroniqueurs de l'hémisphère Nord.