Le samedi 27 mars 2004


Putes 101 (Affaire Gillet)
Pierre Foglia, La Presse

Avoir été juré, j'aurais acquitté M. Gillet des trois accusations qui pesaient sur lui. Tout en étant convaincu, en mon for intérieur, qu'il était coupable des trois. Mais la justice n'est heureusement pas de for intérieur. Elle est affaire de preuve. Et je n'aurais pas estimé, comme juré, qu'on m'avait fait une preuve hors de tout doute raisonnable. C'est bien comme ça qu'on dit, hors de tout doute raisonnable ?

Mais surtout, comme juré, j'aurais eu l'impression de perdre mon temps à des bêtises. J'aurais trouvé que la justice est parfois bien loin « de son butin », bien périphérique, bien accessoire.

Compte tenu de la nullité de la preuve dans le cas de la plus jeune des deux filles, tout ce branle-bas, si j'ose dire, toute cette agitation médiatique, toute cette mobilisation judiciaire pour décider si M. Gillet savait que la prostituée dont il avait retenu les services avait 17 ans et demi au lieu de 18 ! Holà, quelqu'un pour arrêter la machine !

Comme citoyen, je ne veux pas savoir si M. Gillet va aux putes. Je veux savoir s'il fait partie d'un réseau de prostitution juvénile. Plus précisément, est-ce que ce réseau existait expressément pour répondre aux besoins de M. Gillet et de ses amis ? Est-ce que les proxénètes et les filles avaient leurs clients des liens tels qu'on peut parler de réseau ? Est-ce que, par exemple, les clients influaient sur le recrutement ?

Ou bien est-on dans un cas de figure plus classique ? Des putes de toute éternité. Et des Gillet de toute éternité aussi. Il est une heure du matin, ils sont quatre ou cinq amis de la même chambre de commerce, même genre de fêtards, plus ou moins célibataires, ont bien mangé, ont pris un coup solide, et il y en un qui dit : on fait-tu v'nir des putes ?

J'ai l'air d'avoir fait ça toute ma vie. Pourtant non. La dernière fois que je suis allé aux putes, c'était moi le mineur. Comment dire, les putes, c'est beaucoup affaire d'environnement, et ce n'est pas le mien. Il y a une race, une engeance d'hommes qui vont aux putes. Tu ne vas pas aux putes par accident, comme tu peux prendre une brosse pas accident. J'ai bummé comme tout le monde, j'ai fait la vie, comme on dit, mais jamais, dans mon environnement, jamais quelqu'un a dit au last call du Prince Arthur : on fait-tu v'nir des putes ? (On avait déjà nos blondes, anyway.) Mais supposons un instant que l'un d'entre nous l'eût proposé, et que les autres eussent trouvé que c'était une bonne idée : tant qu'à faire venir des putes, c'est sûr qu'on aurait pas fait venir des petites grosses de 43 ans.

Des 20. Des 18. Et mettons qu'il y en aurait eu une de 17 et demi, je suppose qu'on ne l'aurait pas chicanée. On ne l'aurait pas retournée. Enfin pas chez elle.

On me demande souvent si j'écris pour provoquer (je sens qu'on va beaucoup me le demander aujourd'hui), alors qu'en fait je réagis à une provocation. Ce que les commentaires de la rue, les boîtes aux lettres des journaux , les réactions des groupes de défense de n'importe quoi, style Fédération des femmes, laissent percevoir de notre conception de la justice et de la morale publique est, ces jours-çi, à hurler, et je hurle : d'où sortez-vous ? Ou plutôt : êtes-vous donc si peu sortis ? La golden machin, c'est pas du Sade, sacrament, c'est dans Nabokov, c'est la Nana de Zola, toutes les mamantes ont lu Zola... mais ce n'est pas dans Le Petit Prince, ah ça non, y a personne qui fait pipi sur personne dans Le Petit Prince. Ni dans Harry Potter, je suppose. Rencontré par hasard, Martineau, dans Francs Tireurs, me rapportait qu'il avait lu quelque part cette semaine que l'on dénonçait la sodomie et autres perversions. La sodomie, une perversion ? Ah bon. Qui vous l'a dit ? Le pape ?

Quand je lis que la Fédération des femmes s'émeut de « la rudesse des propos de certains contre-interrogatoires », suggère-t-elle que les victimes d'agressions sexuelles peuvent raconter n'importe quelle connerie sans être bousculées quand on subodore que c'est ce qu'elles sont en train de faire ? Comme cela arrive parfois (je n'ai pas dit tout le temps), et que des réputations, en particulier des réputations de profs, sont détruites par de pures fabulations ?

Que la Fédération des femmes monte aux barricades pour dénoncer l'exploitation de ces jeunes prostituées par leurs proxénètes, j'en suis, mais de quelle agressions sexuelles parle-t-on au juste ici ? N'avez-vous pas entendu cette cassette où la jeune fille en question supplie son pimp au téléphone de lui envoyer des clients ? Une agressée qui réclames des agressions ? En fait, qui réclame de l'argent. Parce que c'est ce qu'elle veut, de l'argent. Ultimement, n'est-ce pas ce qui pousse ces jeunes filles de bonne famille vers la rue ? Le fric ?

Des victimes ? Sûrement. Mais de quoi au juste ? Quand je vois toutes ces gamines de 12 ans s'habiller en putes pour aller à l'école, je ne m'étonne pas tant que cela que quelques-unes le deviennent à 16. Plus grave, quand je vois leurs parents céder à tous leurs caprices de consommation, je ne m'étonne pas trop non plus qu'elles deviennent des petites cannibales toujours de plus en plus affamées de fric. Et que l'idée d'en gagner beaucoup et très vite puisse donner de bien mauvaises idées à quelques-unes.

Des victimes ? Du point de vue citoyen non plus, ce n'est pas si clair. Tu ne peux pas en même temps être un citoyen de plein droit, tel que reconnu par l'ONU dans la charte de l'enfant, et clamer ton droit à l'irresponsabilité quand tu fais la pute, parce que t'es supposément un enfant. D'ailleurs, l'ONU précise que cantonner un enfant au statut de mineur est une discrimination de même nature que celle qui frappe les Noirs, les Juifs ou les femmes que l'on cantonne au statut de Noirs, Juifs ou de femmes. L'enfant est mineur. Mais il n'est pas QUE mineur. Surtout pas à six mois de sa majorité.

On est loin de M. Gillet ? Ben oui. Je vous le répète, on a perdu du temps à des bêtises, alors que cette histoire pose des questions autrement plus graves que l'âge légal pour faire une pipe.

En fait, je suis d'accord avec les gens de Québec : les plus gros poissons vont s'échapper. Les parents.

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Add. 27/03/04 : Gillet dit en attendant sa sentence : « Non, je n'irai plus voir de prostituées »