Le samedi 10 avril 2004


Et cela ne vous fait pas hurler ?
Pierre Foglia, La Presse

Ce n'est pas moi, c'est Chuck Guité, ont dit MM. Gagliano, Pelletier et LeFrançois devant le comité des comptes publics. On donnera bientôt en pâture à l'opinion publique ce Guité galeux par qui le scandale des commandites est arrivé. Et l'affaire sera enterrée.

Je hurle.

On est en train d'évacuer le politique de cette histoire, pour ne laisser que le comptable. Les gens qui paradent en ce moment devant le comité des comptes publics, notamment M. Gagliano et M. Pelletier, tiennent tous à peu près le même discours : c'est possible qu'il y ait eu du cafouillage dans la gestion du programme, mais moi j'en assumais la responsabilité politique. '' Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour sauver le Canada '', dit en autres M. Pelletier.

Je hurle.

Personne n'a remis en question la légitimité politique de ce programme des commandites, même pas la vérificatrice générale, Mme Sheila Fraser.

Laissons M. Pelletier raconter comment est né le programme des commandites : ''C'était dans les lendemains difficiles du référendum de 1995. Lors d'un discours à Toronto devant des partisans, le premier ministre avait ressenti la colère de l'audience , qui lui reprochait d'avoir presque perdu le pays. Je vous donne ma parole, avait alors lancé M. Chrétien, que je ne laisserai pas tomber le Canada. C'est là que nous avons compris, révèle M. Pelletier, qu'il allait se faire des choses.''

Quelles choses ?

Nommons-en deux parmi les plus connues, les plus représentatives du programme des commandites : la série télévisée sur Maurice Richard. Et des commandites (essentiellement des drapeaux du Canada) au Grand Prix de Montréal.

Vous ne hurlez pas ?

Rallier le Québec au lendemain du référendum était, il me semble, un défi intéressant. Comment sortir la moitié de la population de la province de son sentiment d'échec ? Comment dépasser cet énorme désaccord pour donner corps à un projet commun qui pourrait, pourquoi pas, déboucher sur le Canada ? A-t-on seulement essayé de convaincre, de débattre, de démontrer ? Au contraire, on a choisi l'affrontement … et on a fait une série télévisée sur Maurice Richard. Et on a foutu des feuilles d'érables partout au Grand Prix du Canada.

Vous ne hurlez toujours pas ?

Regardez la photo de M. Pelletier à la une de La Presse de mercredi. Que vous dit cette face de vieil alligator ? Ces petits yeux à l'affût derrière le buisson des sourcils, cette lippe dédaigneuse, ces bajoues qui viennent à ceux qui dînent souvent jusqu'au milieu de l'après-midi, cet aspect général ne vous annonce-t-il pas un roi en carrosse ? Tout, dans ce visage, exprime l'autorité. Plus précisément cette autorité mêlée d'arrogance que donne souvent la science politique. Voilà un homme QUI SAIT ce que le citoyen ordinaire ne sait pas. Que sait-il, ce roi en carrosse ? Il sait comment sauver le Canada. Comment ?

En faisant une série sur Maurice Richard. En foutant des drapeaux partout au Grand Prix du Canada.

Vous ne hurlez pas encore ?

On est en train de vous faire croire que le scandale des commandites est un scandale comptable. M. Pelletier est allé dire devant cet inutile comité des comptes publics qu'il n'était pas responsable de l'aspect administratif des dossiers - ce qui est probablement exact - pour ajouter, du même souffle, qu'étant du bureau du premier ministre, il était responsable, lui, de l'aspect politique du programme, dont la légitimité ne saurait être remise en cause puisqu'il s'agissait de sauver le Canada. Comment ?

Cela fait trois fois que je vous le dis. Si cela ne vous fait pas un pli, bon, tant pis. Mais je vous avertis : aux prochaines élections, le premier qui vient me parler de devoir civique, je sors mon fusil.

Une affaire de police

Je crois que l'incendie de la bibliothèque de l'école juive Talmud-Torah Unis est grave. J'aurais pu dire alarmant. J'aurai pu dire préoccupant. Je pense grave. Grave en soi. Brûler des livres, c'est grave. Mais grave surtout parce qu'il s'agit, de toute évidence, d'une transposition criminelle du conflit israélo-palestinien. On doit parler d'un attentat. On doit douter que les gens qui en sont les auteurs récidivent.

Cela dit …

Je ne crois pas que l'incendie de la bibliothèque de l'école juive Talmud-Torah soit ignoble, ou odieux comme d'autres l'ont qualifié. L'actualité ne manque pas d'attentats ignobles ou odieux. Une bombe dans un autobus de Tel-Aviv, c'est odieux, c'est ignoble. Un incendie dans la bibliothèque d'une école, c'est grave. Je ne dispute pas seulement, ici, du mauvais choix des adjectifs. Mais du recours presque systématique à l'hyperbole quand il est question d'antisémitisme. Loin de fustiger l'antisémitisme, l'hyperbole, et plus encore l'erreur de diagnostic, l'alimentent.

Je ne crois pas qu'on assiste à une montée antisémite dans la société québécoise d'aujourd'hui. Je ne crois pas qu'il y ait plus d'antisémites au Québec aujourd'hui qu'il y en avait il y a 10 ans. Pas moins non plus. Ce qu'il y a de plus, aujourd'hui, ce sont des excités antisionistes d'origine arabo-musulmane prêts à ''transposer'' le conflit israélo-palestinien ici. C'est une affaire de police bien plus que de morale publique.

Je ne crois pas que le premier ministre du Canada, celui du Québec, le maire de Montréal avaient à monter au créneau avec une telle diligence pour un incendie dans une bibliothèque. Qu'on m'entende bien : je crois que l'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres. Qu'il mérite une attention particulière. Que les pouvoirs publics sont fonder à le dénoncer publiquement s'il venait à constituer une force morale ou politique significative. Je ne crois pas que ce soit le cas au Québec ni au Canada aujourd'hui.

Si nos leaders politiques montrent au créneau pour l'incendie d'une bibliothèque, alors il faudra leur reprocher de n'y être pas montés pour le Rwanda hier et pour le Soudan aujourd'hui. D'autant plus que je les ai trouvés aussi peu convaincants que possible, ou plutôt, et c'est pire, s'efforçant de s'indigner. M. Tremblay disant dans son discours que ce qu'il y a d'épouvantable dans l'incendie d'une école c'est que l'école est le lieu sacré où l'on forme les enfants, ces enfants qui sont l'avenir de l'homme…Ben oui, ben oui. Et les lapineaux l'avenir du lapin. Parlant de lapin, je vous souhaite de joyeuses Pâques.