Le jeudi 15 avril 2004


Les vieux
Pierre Foglia, La Presse

Nous étions une quinzaine à attendre l'ouverture des portes du CLSC pour une prise de sang. Nous étions entassés dans une sorte de vestibule, des hommes surtout, venus des villages alentour, la plupart plus âgés que moi qui suis pourtant presque un vieillard. Il y en avait un qui parlait de son diabète, disait qu'il avait mangé toute sa vie des patates et du steak et voila maintenant qu'on lui interdisait les patates à cause de ce fichu diabète, aussi bien mourir, disait-il. La conversation a bifurqué sur les médecins, ces bons à rien. Le diabétique parlait sans arrêt. Les autres, qui avaient l'air de le connaître, le relançaient comme on le fait avec les personnages. Il pleuvait. J'étais à jeun depuis la veille. Même pas un café.

Tout à coup, je me suis vu dans le salon d'un de ces foyers de vieux, j'y serais pensionnaire pensionnaire avec le diabétique, il serait là dans le fauteuil voisin à parler, parler, parler et... et je ne sais pas si vous avez vu ce film mexicain assez terrible, Amores perros (NDLR)... Dedans, il y a un mendiant qui recueille des chiens, il en a déjà sept ou huit, il en recueille un nouveau, un gros chien noir blessé à mort. Il le soigne et le sauve. Un jour, en revenant à l'entrepôt où il vit avec ses bêtes, le gros chien noir vient l'accueillir, en le flattant s'aperçoit qu'il est plein de sang et découvre que le gros chien noir a égorgé les autres.

Je me vois bien dans le rôle du chien. La dame qui tient le foyer reviendrait du dépanneur où elle est allée chercher du lait. Je l'attendrais sur le perron. En me prenant par le bras elle me dirait : « Mais vous tremblez, monsieur Foglia », et c'est là qu'elle verrait les corps.

Plus je vieillis, moins je comprends que l'on dise que la solitude est le pire de l'âge. Moi, je l'appellerai, la revendiquerai comme mon dernier luxe. Je vais vous dire un truc, jeunes gens, le plus dur n'est pas de vieillir, le plus dur est d'avoir à le faire avec d'autres vieux.

NDLR : Il aime les chiens

Du grand journalisme

Avez-vous entendu parler de Reprogenia ? C'est une multinationale qui fabrique de la viande de bœuf synthétique. Une usine à steaks. Y'a pas de boeuf. Il y a une cellule souche qu'on va développer, cultiver comme une salade, sauf qu'au lieu d'être une salade, c'est un steak de boeuf. Des salles immenses, comme des serres, et des millions et des millions de steaks.

Un des moments les plus fascinants de cette production de steaks synthétiques est l'étape de la musculation. Comprenez que la viande, la vraie, c'est du muscle, la viande est ce qu'elle est parce qu'elle est en mouvement sur le squelette de l'animal. Ce qui n'est évidemment pas le cas avec le steak synthétique. Il faut donc faire faire de l'exercice à ce steak de laboratoire pour qu'il devienne de la viande. C'est ainsi que lorsqu'ils atteignent leur maturité, les steaks passent dans une salle de musculation, où ils sont mis en mouvement, étirements, etc., sur une petite musique comme on peut en entendre au Nautilus. Incroyable non ?

Le dossier Reprogenia, enquête sur le malboeuf est un des reportages les plus extraordinaires qu j'ai jamais entendus à la radio. Ce document sur la viande synthétique présenté par Macadam tribus (Radio-Canada) au début avril, réalisé par Charles Trahan, n'a qu'un défaut : il n'a été entendu que par l'auditoire relativement confidentiel de Macadam Tribus. Je trouve dommage, pour ne pas dire scandaleux, que ce bijou de reportage ne soit pas repris à une heure de grande écoute. Je suggère à la place de Maisonneuve, un midi où le sujet serait encore la santé, ou Kanesatake.