Le mardi 18 mai 2004


L'été (retour de vacances)
Pierre Foglia, La Presse

Il y a une semaine et demie, ici, il a neigé. Et pourtant, aujourd'hui, c'est l'été. La même nature qui s'est traîné les pieds dans la slotche tout le mois d'avril et le début de mai, la voilà qui se dépêche, qui déboule. Après avoir éclaté tous ses bougeons en même temps, elle nous a fait entrer, par deux ou trois pluies chaudes, directement dans l'été. Tout ce vert n'est déjà plus le vert tendre de la semaine dernière. Il ne reste du printemps que le blanc des pommiers en fleurs comme un voile de mariée tiré sur mes collines. Je dis mes collines, ce sont les vôtres aussi si vous voulez, mais n'attendez pas trop, un autre dimanche et elles ne seront plus que jaunes de pissenlits. Parlant de pissenlits, tantôt je jouais au basket sur un tapis de pissenlits quand ma fiancée m'a appelé : téléphone ! C'était un ami du voisinage, tout excité. Devine ! J'ai trouvé des morilles, des grosses ! Regarde, tu devrais en avoir aussi. J'ai regardé. Les miennes poussent sur le terrain de basketball justement, j'en ai trouvé deux toutes écrapouties.

Bref, il fait un temps à partir en vacances. Et moi, comme un nono, j'en reviens à l'instant. Voulez-vous que je vous raconte mes vacances ? Cela me gêne. Une fois, un de mes jeunes collègues chroniqueurs, qui revenait de vacances aussi, peinait à renouer le fil de sa première chronique, alors, pour l'aider, je lui suggère tout bonnement de raconter ses vacances...

Jamais, s'est-il braqué aussitôt. Toi, tu peux faire ça...

Je n'ai jamais su s'il me traitait d'innocent ou d'exhibitionniste, mais j'en ai été troublé. La preuve, j'hésite. J'hésite, mais comme je n'ai rien fait de particulier pendant mes vacances, je me dis que je ne m'exhiberais pas tant que cela à tout vous raconter vu qu'il n'y a rien à raconter, vous me suivez ? En fait, le plus intéressant, c'est comment j'ai pris mes vacances. Cinq minutes avant de les prendre, je ne savais pas que je les prendrais. C'était un vendredi, il y a donc à peu près un mois. J'étais en train d'écrire ma chronique pour le samedi. Ça n'allait pas si mal. Pas si bien non plus. Je vous fais une confidence, je déteste la chronique du samedi. J'aime le mardi. J'aime le jeudi. Le samedi, c'est pas moi. Je ne suis pas fait pour écrire le samedi, ni le dimanche. Je suis quelqu'un de semaine. Anyway. Ça n'allait pas si mal, disais-je. Je chroniquais sur Mme Micheline Charest, cette femme de 51 ans morte sur la table d'opération durant une chirurgie esthétique où elle se faisait réduire les seins. Je me souviens d'avoir demandé à ma fiancée, c'est bien comme ça qu'on dit ? Se faire réduire les seins ? Ou serait-ce plutôt se les faire remonter ?

Je connais mieux l'expression consacrée en anglais, me répond ma fiancée, « put them back up in place »...

Je devrais alors écrire, littéralement, « se faire remettre le sein à la bonne place » ?

T'écris là-dessus sérieusement ou tu déconnes ?

Euh, je ne sais pas si je déconne, mais je suis sérieusement en train de me demander quelle est au juste la bonne place du sein chez la femme de 50 ans, et...

Et ?

Et je m'en contre-crisse, ma petite fille, tu peux pas savoir.

Cinq minutes après, j'appelais mon boss. Je ne me souviens plus ce que je lui ai dit. Probablement : je ne file pas. C'était vrai. Mars et avril sont des mois terribles. J'ai toujours le cancer en mars et avril, là j'en avais un nouveau, le cancer de la bouche dont on n'avait pas arrêté de parler à la télé toute la semaine et même en première page de mon foutu journal. La samedi matin, je suis allé voir mon médecin, le Dr Jones, qui est aussi mon voisin. Il reçoit au-dessus de son salon, dans une maison de ferme à l'écart de village. C'est un médecin à l'ancienne, sans ordinateur, il écrit tout à la main sur des feuilles lousses qu'il vous résume avant de vous examiner : voyons un peu, l'an dernier, vous aviez le cancer de la gorge, l'année d'avant c'était celui du côlon, et cette année, donc, ce serait la bouche ?

J'aime beaucoup mon médecin. Anglophone, certes, mais de gauche, il élève des moutons et court plein de marathons. Mais surtout, surtout, il guérit du cancer de la bouche dans le temps de le dire. Faites aaaaaah... Vous n'avez pas le cancer de la bouche, M. Foglia, mais je vais quand même vous envoyer passer un scan. Et c'est ainsi que j'ai pu commencer mes vacances complètement guéri.

Comme je vous le disais, je n'ai rien fait. Je suis allé une fois à la pêche dans les ruisseaux. Je suis aller chercher du fumier pour planter mes poireaux. J'ai lu, bien sûr. Une fois aussi, je me suis engueulé avec ma fiancée, je ne me rappelle plus pourquoi. Dans ces moments-là, on se boude un peu, puis j'essaie de la faire rire. Je lui lis les petites annonces de « Femme cherche un homme » dans La Presse, je lui lis les petits titres en caractères gras au-dessus de chaque annonce... Douce comme le miel, capiteuse comme un parfum / Toi et moi au bord de l'eau / Trésor à la recherche de son pirate... Hon, écoute bien celle-là mon amour : Jolie au caractère agréable. Ça doit-tu être le fun : Jolie au caractère a-gré-a-ble. Va savoir pourquoi elle a fini par éclater de rire à : secrétaire médicale.

Ah oui ! j'ai pédalé aussi. Je suis allé monter des grosses montagnes dans le sud du Vermont, le mont Snow, si vous connaissez, holà ça fait mal. Le même élan m'a porté plus bas à Williamstown, une très jolie ville coloniale du nord du Mass, juste passé la frontière du Vermont, à l'entrée des Berkshires. Étonnante ville d'art accolée à North Adams, qui est son prolongement et son contraire, les États-Unis dans une seule image ; à un bout de la rue, le musée Clark où sont accrochées des toiles de Piero della Francesca, Renoir, Monet, Degas, à l'autre bout, les filatures de briques désaffectées. De Williamstown, je suis allé monter le mont Greylock où va s'entraîner Tyler Hamilton, c'est un coureur de France, je vous expliquerai une autre fois. Les deux derniers kilomètres, j'ai dû m'arrêter cinq fois, pas que la pente soit trop dure, mais la route était glacée et j'avais peur de tomber. Savez-vous, pour un vieux, je ne roule pas si mal, mais surtout, j'aime encore ça comme un fou. Debout sur les pédales, à 8 km/h dans des pentes à 12 %... un jour il faudra qu'un psy m'explique comment un peut avoir aussi peur de la mort et avoir, en même temps, autant de plaisir à se faire mourir.

Je vous disais donc que mes vacances sont finies, que l'été est commencé et que les 12 vaches de monsieur Saint-Pierre dans le champ juste en bas de ma fenêtre sont enceintes. Onze, en fait. L'autre a accouché il y a trois jours d'une petite nounoune rousse à face blanche qui court dans le champ comme une folle. Youppi la vie.