Le jeudi 27 mai 2004


L'hygiène
Pierre Foglia, La Presse

Attaqué de toutes parts pour avoir suggéré que la violence qui sévit à Kanesatake était inhérente aux communautés autochtones, le ministre Jacques Chagnon a dû s'excuser.

C'est quand même extraordinaire, ces gens-là, les politiciens, nous balancent tous les jours des énormes mensonges dans la face : on les excuse. Ils osent une toute petite vérité, on les prie de s'excuser.

D'abord, je ne vois pas ce qu'il y a d'outrancier à suggérer que le taux de criminalité est certainement plus élevé dans une communauté très jeune comme l'est celle de Kanesatake. J'ai trouvé l'image de M. Chagnon bien choisie, il est plus facile d'administrer un centre d'accueil qu'une polyvalente. Il aurait pu ajouter que le taux de criminalité, l'alcoolisme, la consommation de drogue sont plus élevés dans les milieux défavorisés.

Soulignant par ailleurs l'incivilité de certains résidants de Kanesatake, le ministre a dit ce que tout le monde sait, sauf peut-être quelques touristes français. Et incivilité est un bien gentil euphémisme pour qualifier les rackets d'une milice carrément mafieuse.

Mais je ne veux pas débattre des problèmes de Mohawks. C'est ce « attaqué de toutes parts » qui me flabergaste, comme disent les Chinois. Cette bigoterie qui vient de toutes parts. Ce désir de purification du langage, qui participe en fait du projet beaucoup plus vaste d'hygiéniser la société. Grave débat qui touche à l'intégrisme. L'intégrisme n'est pas autre chose que la volonté de nettoyer les âmes, les corps et les institutions.

Mais je reviens au désir de purifier le langage, sorte de raccourci à ce grand nettoyage. Vous comprenez bien sûr que cette purification des âmes, des corps et des institutions n'est pas pour tout de suite. Alors il y a une gang de curés, de culcul la praline, d'inoculés de positif qui ont eu une idée magique, et c'est vraiment le mot : magique. Et ils se sont dit : purifions le langage, purifions le signe et, par contamination, le signifié se purifiera lui-même. Nous nettoierons ainsi le monde. Magique ! Cette bande d'abrutis ont cru et croient toujours qu'en donnant aux maux d'autres mots, ils les feraient disparaître.

Au lieu de sourd, mal entendant ; au lieu d'aveugle, non voyant ; au lieu de vieux, je ne sais pas quoi ; au lieu d'infirmes, handicapés, pardon personnes handicapées, des fois qu'on confondrait avec un animal, je ne sais pas moi, un raton laveur paraplégique. Je disais donc une idée complètement débile qui relève de la magie : renommer les choses en espérant qu'elles deviennent autres du seul fait de leur nouvelle appellation.

Après les choses et les personnes, ces abrutis sont passés à la redéfinition des concepts, des états (de fait), de la réalité dans son entièreté. C'est ainsi que, petit à petit, ils ont convaincu l'ensemble de la société qu'il suffisait de renommer la réalité, surtout dans les discours officiels, pour la changer. Voila pourquoi le ministre Chagnon s'est fait attaquer de toutes parts. Parce qu'il est allé contre la magie de l'époque. Au lieu de nommer la violence de la communauté mohawk, il aurait dû parler de culture distincte, par exemple.

Vous connaissez l'histoire du petit garçon qui se lève de la table familiale où dînent ce jour-là quelques invité ?
Où vas-tu ? lui demande sa maman.
Je vais ch... répond le bambin.
Alors la maman rouge de gêne : on dit je vais me rafraîchir.
Très bien, je vais me rafraîchir, dit l'enfant pas contrariant. Sauf que cinq minutes plus tard, il surgira dans la salle à manger, les culottes à terre : m'man y'a pu de papier.

Ce que je veux faire dire à cette vieille histoire, c'est que vous pouvez bien nommer la réalité comme vous voulez, à un m'ment donné, il faudra quand même la torcher.

Le rêve

Dans la même mouvance positiviste, il y a un mot que je ne suis plus capable d'entendre et ça tombe mal, parce qu'en cet été éminemment olympique on va l'entendre des millions de fois : le rêve. J'ai réalisé mon rêêêêêve.

Regarde petite fille, on peut régler ça tout suite : c'est pas ton rêve qui t'a amenée à Athènes. C'est en tout premier lieu le bon Dieu, si tu crois en Dieu. Si tu n'y crois pas, c'est la nature qui t'a pourvue d'un cœur, d'un corps, d'une machine humaine très supérieure à la machine de l'homme ou de la femme moyenne. Un athlète est avant toute chose cette machine hors du commun.

Ensuite, il y a le talent qui ne vient pas en rêvant non plus.

Ensuite, il y a le travail, des milliers d'heures d'entraînement, tu le sais bien.

Ensuite, et cela tu le sais moins, ensuite il y a la place que tient le sport dans la société où tu vis, l'encadrement, l'aide que tu reçois pour te permettre d'atteindre l'élite, les médias.

Le rêve, c'est complètement autre chose. C'est ton ombre. Il ne te précède pas, il ne te mène nulle part, il ne te guide pas. Il t'accompagne. Il marche avec toi. Il est toi. Arrête d'en parle. Arrête surtout de l'instrumentaliser. Ce n'est pas un outil. Ce n'est pas le foutu moteur de cette pompe à pomper cette merde que vous appelez « les pensées positives ».

Cours. Saute. Nage. Pédale. Rame. Mais arrête de tripoter en public l'accent circonflexe de ton rêêêêêve. C'est indécent.

Prions

Cette dame qui travaille au Square Victoria entre l'autre jour à la basilique Notre-Dame pour prier pour une amie malade. elle est abruptement interpellée à l'entrée : c'est quatre dollars, madame !
Pardon ?
Vous venez pour prier ou pour visiter ? Si c'est pour prier, c'est gratuit. Mais pour visiter, c'est quatre dollars.
Voila qui n'incline pas au recueillement, m'écrit la dame, la basilique est-elle si pauvre qu'elle doive faire payer ses touristes ? Et même si elle le doit, pourrait-elle le faire plus discrètement ?
J'ai fini par joindre M. Robert Gagné, curé de la basilique et la réponse à la question de la dame est oui. La basilique a besoin d'argent. Ce n'est pas qu'elle soit si pauvre, c'est qu'il en coûte de plus en plus cher pour l'entretenir.
Reste, monsieur le curé, que n'importe quel touriste peut dire qu'il vient prier et entrer gratuitement ?
Bien sûr. Sauf que rendu à l'intérieur, si ce tricheur sort un appareil photo, des tireurs d'élite embusqués dans le jubé ont ordre de l'abattre sur-le-champ.
C'est une plaisanterie ?
Oui.