Le jeudi 3 juin 2004


Pinceau. Doute
Pierre Foglia, La Presse

Quand je suis arrivé en Amérique du Nord à 21 ans, je ne connaissais strictement rien au vélo. La passion du vélo m'est venue par Guy Morin, ex-coureur, denturologiste qui a toujours son bureau rue Chateaubriand. Mais j'ai déjà raconté cela.

Guy avait pour compagne une sainte femme, Josée, qu'il appelait « Pinceau », va savoir pourquoi. Je vous parlais d'amitié dans ma chronique de samedi, Josée a été ma première vraie amie dans ce pays. Tout me séparait pourtant de cette Irlandaise farouchement canadian qui faisait le plus mauvais café de l'hémisphère nord. Elle a pourtant réussi à m'en faire ingurgiter plusieurs hectolitres. Je venais de me séparer, je prenais la chose douloureusement, j'arrivais chez elle dans un état comateux...

Je te fais un café ?

C'était le matin et elle me laissait dans la cuisine pour aller à ses courses ; c'était l'après-midi et les enfants, Nancy et Guy junior, arrivaient de l'école, je jetais parfois un oeil sur leurs devoirs ; ou c'était tard le soir et elle s'inquiétait : t'as rien dans tes poches ? Je m'étais fait arrêter deux ou trois fois dans la ruelle Chateaubriand en sortant de chez elle par les flics qui surveillaient l'arrière des commerces de la rue Saint-Hubert. T'as rien dans tes poches ? Je lui lançais mon dime de hash qu'elle remisait, jusqu'à ma prochaine visite, dans son sac à main de petite madame. Raisonnable et tranquille, elle était l'égérie d'une bande d'excessifs qu'elle calmait par des attentions domestiques.

Je te fais un café ?

Non non, laisse faire Josée.

Mon anglais était plus approximatif, si c'est possible, qu'aujourd'hui, je lui faisais traduire les paroles des chansons de Mélanie. Mine de rien, je lui amenais aussi mes nouvelles blondes, c'était comme un examen que je leur faisais passer, sans le leur dire évidemment.

Fiancée, t'ai-je déjà présentée à Josée Morin ?

Non, pas moi.

Ah ah ! C'est pour ça.

Trop tard de toute façon. Josée est morte mardi matin à la Cité de la santé à Laval des suites d'une longue maladie, comme on dit. Cette longue maladie, qui porte deux noms. On peut l'appeler cancer. Mais on peut aussi l'appeler la vie.

Salut, belle madame.

J'ai un doute
L'autre jour, la revue Time dressait le tableau des 100 personnes les plus influentes, en ce moment, DANS LE MONDE, choisies dans différents domaines. On ne s'étonne pas de trouver M. Bush toit en haut de la pyramide, choix incontestable, hélas. Chez les bâtisseurs on sursaute de trouver une Belinda Stronach, riche sans aucun doute, mais influente ? La farce, c'est quand on touche à la culture. Selon la revue Time, Nicole Kidman, hollywoodienne sinon américaine, serait l'artiste la plus influente dans le monde, et Sean Penn pas très loin derrière elle. Vous êtes sûrs ? C'est qu'il est grand et varié, le monde. Vous êtes sûr que Sean Penn influe tant que cela sur la culture africaine en ce moment ? Et sur la culture chinoise ? Vous êtes sûr que la Moldavie, l'Azerbaïdjan, le Danemark sont très impressionnés par Katie Couric qui fait des entrevues à Today, le morning show de NBC ? Laquelle Couric, me glisse ma consoeur Louise Cousineau, laquelle a déjà passé en ondes le test du cancer du côlon pour bien montrer au monde que ça ne faisait pas mal ? Vous êtes bien certains que les Indiens des Indes qui sont un milliard sont tant que cela influencés par Jerry Bruckheimer qui est le producteur de CSI ? C'est drôle, j'ai un doute.

Je ne suis jamais aussi près de l'antiaméricanisme primaire que lorsque les Américains mettent Hollywood au centre de l'Univers.

Je suis pourtant Américain moi aussi, comme n'importe quel Chinois, comme n'importe quel Européen, comme n'importe qui aujourd'hui sur cette planète. Je n'ai pas le choix, je suis Américain. Mais certainement pas par Sean Penn, Katie Couric et autre Bruckheimer. Je suis Américain par Mailer, par Roth et Bukowski, et par Zappa aussi.