Le samedi 13 juin 2004


Lettre à un jeune électeur
Pierre Foglia, La Presse

Combien de fois ai-je entendu cette ânerie depuis le début de la campagne : si tu ne t'occupes pas de politique, la politique s'occupera de toi. Hier matin, c'était Monique Simard, ex-vice-présidente de la CSN, à C'est bien meilleur le matin. Dieu que vous aimez les formules, les dictons, les proverbes, tout ce qui va au plus court, tout ce qui mousse, tout ce qui ne dit rien en ayant l'air de tout dire. Si tu ne t'occupe pas de la politique, la politique s'occupera de toi. Mets ça dans ta pipe, jeune homme, et va voter.

Comme elle m'énerve, cette trépignante campagne auprès des jeunes ! Cette campagne que vous voudriez civique et qui n'arrive pas à être autre chose qu'hygiénique.

Vous leur dites d'aller voter comme vous leur disiez, il y a quelques années, d'aller se brosser les dents. N'oublie pas de voter avant d'aller te coucher, là !

Tant qu'à leur résumer la démocratie dans une phrase toute faite, ayez donc l'honnêteté de la retourner à l'envers : si ne tu t'occupes pas de la politique, bon, mais si tu t'en occupes ? Hein ? Qu'arrive-t-il si tu t'en occupes ?

Supposons. Tu votes pour le Bloc. À cause de ton vote ou grâce à ton vote, comme tu veux, se retrouvent à Ottawa un certain nombre de députés qui incarnent la volonté particulière d'une population particulière. Volonté particulière qui va contre le sentiment de l'ensemble des Canadiens. Tu me suis, jeune homme ? Donc, un problème. Qu'est-ce qu'on fait ? On convainc ? On explique ?

Pas du tout. On va voir une agence de pub, et on lui donne le contrat de vendre le sentiment général des Canadiens à cette population particulière qui en veut plus ou moins. T'avais voté pour une idée ? C'est devenu un yogourt nature. Et on va essayer de te vendre, à la place de ce yogourt nature, un yogourt aux fraises. Avec les mêmes méthodes qu'on utilise pour vendre du yogourt aux fraises : des panneaux dans les rues, des couleurs, des pitounes, des vroums-vroums de chars, des promotions, des distributions gratuites dans les festivals. Bref, en suscitant ton désir plutôt que ta réflexion. En te traitant en consommateur plutôt qu'en citoyen. Et ça, jeune homme, c'est de la démocratie.

Raison de plus, me dis-tu, de revoter pour le Bloc.

Mon pauvre ami.

Le Bloc ne fait pas campagne sur ce déni de démocratie. Il fait campagne sur un fait divers. L'agence de pub dont je te parlais tantôt a magouillé et trafiqué ses livres comptables. Elle s'en est mis plein les poches et le Bloc fait campagne là-dessus. En fait, il ne fait pas campagne, il fait enquête.

Pourquoi le Bloc ne fait-il pas campagne sur l'immoralité civique qu'il y a à vendre du yogourt aux fraises au lieu de débattre d'une idée ? Parce que ce n'est pas vendeur. Le Bloc aussi est dans cette dynamique « de fils de pub ». Le Bloc aussi te dit : si tu ne t'occupes pas de la politique... mais il est le premier à ne pas s'en occuper. Au lieu de faire de la politique il fait le ménage, il se dit propre.

Dois-tu aller voter quand même ?

Fais ce que tu veux, jeune homme. Mais ne te laisse pas rappeler à l'ordre comme lorsque tétais petit : n'oublie pas pas de te brosser les dents, là. Voter n'est pas affaire d'hygiène. Encore moins de morale civique, quoi que tenteront de te faire croire les petits scouts de la démocratie.

Réponds-leur que, justement, tu te poses des questions sur la démocratie. Que tu as parfois l'impression que la démocratie n'est qu'une affaire de nombre. N'est que la capacité à mobiliser le plus grand nombre d'imbéciles possible pour imposer, à tout moment, la dictature de la majorité. Dis-leur aussi que tu pensais qu'après avoir voté le mieux possible, il fallait laisser ceux qu'on a élus travailler en paix au bien commun, qui n'est pas toujours perceptible, par... le commun. Bref, parlant des fusions, dis-leur que c'est une drôle de démocratie celle qui élit un gouvernement sur la seule promesse qu'il défera ce qui vient d'être fait. Ils vont t'accuser de tout mêler. Réponds-leur que cela n'en a pas moins refroidi tes ardeurs civiques. Rappelle-leur enfin que ne pas voter est aussi un droit. Un choix qui a le poids du silence et que le silence est parfois plus assourdissant que le tapage des grandes gueules.

Je ne suis pas en train de te dire de ne pas aller voter.

Tu vois, moi, si j'étais dans Saint-Laurent, par exemple, la circonscription de M. Stéphane Dion, j'irais voter. Contre. Mais j'irais voter. Comprends-moi bien. Je suis en train de te dire que M. Dion mérite qu'on aille voter. Il porte une idée, un idéal citoyen ». Avec lui, je veux bien jouer à la démocratie. C'est ce que je te dis.

Exemple a contratio, je ne perdrais jamais mon temps à aller voter contre Mme Liza Frulla, qui n'est porteuse de rien du tout sauf de son maquillage. Elle sourit. Elle pépie. Très à l'aise avec les médias, elle vous lâchera mine de rien qu'elle a 600 heures de télé derrière elle... d'ailleurs, elle n'est pas loin de penser qu'elle a inventé la télé, et ce n'est pas tout à fait faux, elle a inventé la télé du matin qu'on écoute en passant l'aspirateur. On me rapporte que dans sa circonscription, des malveillants ont barbouillé quelques-unes de ses affiches d'un graffiti qui dit : un vote, une pipe. C'est grandement exagéré. Le plus loin qu'elle ira, c'est de vous pogner le bras ou le coude, faut qu'elle touche absolument, mais rien de pervers. Elle est pour le mariage des gais, c'est sûr, et pour le libre choix en matière d'avortement. Une bonne personne. Si j'étais dans sa circonscription, je ne me donnerais jamais la peine d'aller voter contre elle. Pourquoi voudrais-je l'empêcher de faire du bénévolat ?

Je n'irais pas voter dans Outremont non plus. Entendre Jean Lapierre défendre des valeurs libérales, c'est assez pour ne plus jamais aller voter de sa vie. On l'a entendu pendant des années à la radio et à la télé incarner sans se lasser le gros bon sens qui jappe toujours avec les boeufs, et le voilà qui se dresse contre l'égoïsme social ? Le voilà qui pleure à l'idée que les gais bientôt seront opprimés par les méchants conservateurs ?

Vois-tu, jeune homme, si tu ne t'occupes pas de la politique, la politique s'occupera de toi, mais si tu t'en occupes, cela ne changera rien, en tout cas cela n'empêchera les politiciens de te prendre pour un con de toute façon.