Le dimanche 11 juillet 2004


Souvenir d'Itobicoke
Pierre Foglia, La Presse

Vers Athènes
TORONTO

En me portant volontaire pour couvrir les essais olympiques de natation, je me livrais à une sorte d'exorcisme. Les sports d'eau me laissent indifférents. Je crains l'humidité. Et l'odeur du chlore des piscines me rappelle celle des toilettes des aéroports. Par réflexe pavlovien, je n'arrête pas d'aller pisser, c'est un peu embêtant, surtout que les toilettes sont au bout du couloir à gauche. Le temps d'y aller et de revenir, la finale du 50 mètres -- moins de 25 secondes -- moins de 25 secondes -- est terminée.

Qui a gagné ?

Qui que ce soit, de toute façon, je ne connais pas. Ce n'est pas mon sport. Mais c'est du sport. Et un athlète, que ce soit un nageur ou un sauteur de haies ou un avironneur, c'est essentiellement deux choses : une machine humaine exceptionnelle, bien supérieure à la vôtre et à la mienne. Et des millions d'heures d'entraînement pour porter cette machine à son point de production maximum qui est d'ailleurs tout près du point de rupture. Et le talent, direz-vous ? Accessoire, le talent. La jeune nageuse Audrey Lacroix (200 papillon) me disait qu'elle vient d'une famille de joueurs de tennis, mais qu'elle s'est finalement retrouvée en natation parce qu'elle n'a aucun talent pour jouer à jouer à quelque chose avec quelque chose, une raquette, un bâton de golf ou de hockey. Donc deux entraînements par jour, quand ce n'est pas trois, pendant un certain nombre d'années, entre cinq et dix pour accéder à l'élite. Une routine à la fois exigeante et sécurisante comme une prison, une bulle dont les athlètes ne sortent pas aisément à la fin de leur carrière.

Je reviens à la natation. Je n'ai pas remarqué durant cette semaine que les nageurs étaient différents des autres athlètes. Les sprinters sont chromés et fantasques comme en athlétisme ou en vélo, pas grande différence entre Yannick Lupien et Nicolas Macrozonaris. Les brasseurs font bande à part, ils marchent comme des pingouins et parait-il, comme eux, sont tout seuls sur leur banquise. J'ai noté aussi que les nageurs ont des corps superbes, mais pas les nageuses qui sont étonnamment toutounes, comme la petite nouvelle, Brittany Reimer, joufflue et boudinée de partout. Paraît que ça ne dérange pas pour nager, dans l'eau elles n'ont pas à traîner leur gras : il flotte. Quand même, je les mettrais aux biscottes. Des exceptions, bien sûr, mais pas assez pour faire un calendrier commandité par les pompiers, surtout avec le départ de Marianne Limpert et de Joanne Malar.

J'ai rencontré plein de gens au bord de la piscine d'Etobicoke, mais le croiriez-vous, pour mon grand bonheur, je n'ai pas croisé un seul agent d'athlètes. La natation est pauvre : pas d'argent, pas d'agent. La natation est pauvre et inexplicablement négligée des médias. On parlera plus volontiers des patineurs de vitesse courte piste, des coureuses cyclistes, de joueuses de hockey championnes du monde. Pourtant, pour se faire une place dans l'élite mondiale, un Yannick Lupien, par exemple, qui nage le 100 libre, doit battre des Australiens, des Américains, des Espagnols, des Italiens, des Français, des Africains du Sud, des Polonais, des Roumains, des Hollandais, des Brésiliens, des Japonais, des Anglais, des Hongrois... Faites le même exercice avec un patineur de vitesse courte piste, vous ne dépasserez pas trois pays. Cinq avec une coureuse cycliste. Un seul avec une médaillée d'or de l'équipe nationale de hockey.

J'ai dit inexplicablement mais c'est tout simple à expliquer. Il se passe dans le sport ce qui se passe dans la culture en général. L'émotion prime sur la performance. L'émotion prend toute la place, fuck la performance. Les Jeux olympiques sont payés par par la télé. La télé, elle, se paie comment ? Par les annonceurs. Que veulent les annonceurs ? Des cotes d'écoute. C'est qui la cote d'écoute ? C'est vous. Que connaissez-vous à la natation et au sport en général ? Rien. C'est pour ça que le beach-volley est maintenant au programme des Jeux. Et si cela ne suffit pas, ne zappez pas, ils vous donneront bientôt du beach-judo.

Qu'est-ce que je disais ? Que j'ai beaucoup aimé ma semaine à Etobicoke. Mais je rapporte de ces essais olympiques une sorte de vertige devant le fossé qui se creuse de plus en plus entre les athlètes et le public. Le sport d'élite devient de plus en plus technique, scientifique, pointu. Vous n'imaginez pas combien pointu. Vous n'imaginez pas le nombre de semaines, de mois, d'années qu'une nageuse de papillon peut passer à bien placer son petit doigt. En même temps, le spectateur moyen est de moins en moins apte à juger d'une performance et d'ailleurs, de moins en moins intéressé par la performance.

Il y a 50 ans, le sport intéressait disons trois personnes sur dix. Mais voila que les Jeux olympiques se sont mis à engloutir des milliards dans leur gigantisme et, pour les payer, ben c'est pas compliqué : ça prend du monde. Bien plus de monde qu'avant. Tout à fait artificiellement -- par des cérémonies pompeuses, par la présentation de disciplines bâtardes mais spectaculaires -- on réussit maintenant à intéresser huit personnes sur dix aux Jeux olympiques. De ces huit-là, cinq n'entendent strictement rien au sport. De ces huit-là, pas un crisse n'a assisté à une compétition de natation, d'athlétisme, encore moins d'aviron au cours des dernières années.

Pensez-y, c'est complètement fou. C'est comme si les gens qui regardent la soirée de Oscars n'allaient jamais au cinéma. Cherchez l'erreur.

Audrey, hélas...

Yannick Lupien sera finalement le seul Québécois de la plus petite équipe canadienne de natation à n'avoir jamais participé aux Jeux, équipe de 20 nageurs, 14 hommes et seulement six femmes.

Même si elle a nettement remporté le 200 papillon hier soir, Audrey Lacroix, du club CAMO, a tout aussi nettement raté son standard (plus d'une seconde) et n'ira pas à Athènes. Elle était pourtant bien partie. Aux 150 mètres, elle avait son billet pour la Grèce ; une laborieuse dernière longueur de piscine la renvoyait à ses études. Souriante malgré tout sur le podium, Audrey disait n'avoir aucun regret : « Je n'aurais pas pu nager plus vite de toute façon. »

Ces essais olympiques se sont terminés par une petite soirée médiocre. Dans le 1500 mètres, Kurtis MacGillivary est passé à quatre secondes du standard et dans le 800, Brittany Reimer a de nouveau nagé largement en deça des chronos qui nous l'annonçaient comme le messie de la natation canadienne. Lupien a pris la troisième place du 50 libre (22,28), Matt Rose passant à un centième du standard. Quant à Nadine Rolland, elle ne s'est même pas qualifiée pour la finale consolation de 100 libre.

L'équipe officielle. Les 14 hommes ..............
Les six femmes : ..............

Si cette chronique vous avait donné une irrésistible envie d'aller voir une compétition de natation, hors des Jeux olympiques je veux dire, dans un an, les Championnats du monde de natation auront lieu à Montréal, du 17 au 31 juillet. Ces Championnats mondiaux (tous les deux ans) incluent tous les sports d'eau chapeautés par la FINA : natation, nage synchro, plongeon et water-polo. Allez, on se reparle cette semaine.