Le jeudi 15 juillet 2004


Le cas Dionne
Pierre Foglia, La Presse

Les critères de sélection sont forcément moins objectifs en cyclisme qu'en natation ou en athlétisme, où l'on peut laisser parler les chronos. Remarquez que cela ne change pas grand-chose. Quand les athlètes ne satisfont pas à un critère objectif, ils contestent le critère. Leur mauvaise foi commence à m'énarver; j'y reviendrai dans une prochaine chronique. Et quand il ne peut y avoir de critère objectif, comme en cyclisme, le rejeté conteste alors les sélectionneurs. Ainsi le coureur cycliste québécois Charles Dionne crie très fort à l'injustice, ces jours-ci.

J'ai écrit juste avant les Championnats canadiens de cyclisme que la sélection de Charles Dionne me semblait indiscutable. Au risque de jeter de l'huile sur le feu, je persiste à croire que le comité de sélection de la fédération canadienne de cyclisme n'avait pas le choix de le... choisir.

Le premier des critères non objectifs, le plus incontournable, devrait être la valeur de l'athlète considéré. Cela tombe sous le sens. Et Charles Dionne est, au moment où on se parle, un meilleur coureur que ce Eric Wohlberg qu'on lui a préféré. Dionne a connu une bonne saison, s'imposant aussi bien au sprint à la Redlands et à la Sea Otter que sur des terrains beaucoup plus exigeants, comme le Grand Prix de Beauce. Dionne a le profil du gros rouleur de classique comme ceux qu'on verra en tête de la course sur le parcours d'Athènes. Autre détail : il est au milieu de la vingtaine. Wohlberg est, à six mois près, quadragénaire. Cela n'est pas indifférent.

En fait, Dionne n'a qu'un défaut, mais un gros : son attitude. Il parle beaucoup et avec suffisance. Il dit n'importe quoi sans égard pour personne et a froissé bien inutilement de nombreux coureurs depuis son arrivée dans le peloton. Soyons clair : il est détesté. On le dit aussi mauvais équipier. Mais de cela je me méfie un peu : ici, on fait trop souvent de la course d'équipe une fin en soi. Qu'importe, il est évident qu'on ne voulait pas de Dionne à cause de son attitude.

Limité à trois coureurs (plutôt qu'à cinq comme les autres grandes équipes nationales), le Canada comptera surtout sur Michael Barry pour prendre la bonne échappée et qui sait... On a vu à Hamilton l'automne dernier que Barry est capable de rouler avec les meilleurs jusqu'à la fin d'une course très dure. Il est évident que le rôle de Wohlberg sera de se sacrifier pour Michael Barry. Sauf que Dionne aurait pu le faire tout aussi bien. Il n'est pas dans sa nature de se sacrifier ? Il suffisait de lui parler dans le casque. De lui dire tu t'en vas à Athènes comme domestique de Barry, c'tu clair, ti-pit ? Dionne eût été un domestique de grand luxe. Et un leader de rechange au cas où. Ce que se seront ni Wohlberg ni Gordon Fraser.

Évidemment, d'aucun voient dans cette mauvaise décision un complot des méchants anglos. J'ai reçu les courriels habituels des énervés du fleurdelisé, Charles Dionne lui-même est en train d'en faire une montagne, ce qui peut se comprendre de sa part. Reste que les conséquences de cette mauvaise décision ne compromettent pas sa carrière. Il n'ira pas faire le domestique pour Barry à Athènes, voilà tout. L'avenir de Dionne ne passait pas, de toute façon, par Athènes. Son avenir est en Europe dans une petite équipe pro où il ferait «le métier».

Geneviève Jeanson, dites-vous ? Geneviève ne méritait pas, sur sa forme actuelle, d'être sélectionnée. Qu'elle se repose. Surtout, qu'elle fasse le point sur sa carrière. Juste avant la Coupe du monde sur le mont Royal, elle me disait, vous savez, Athènes, ça me tente plus ou moins. Son illusoire victoire sur le mont Royal avait grandement relancé son intérêts. La suite a montré qu'elle n'avait pas la tête (ni les jambes) au vélo. Mais était-ce bien nécessaire de la nommer troisième (troisième ! ! !) substitut, juste pour l'écoeurer un peu plus ?

Dans cette course-là aussi le Canada a de très bonnes chances de médaille. Qu'on se souvienne qu'à Sydney, Mme Lyne Bessette n'avait raté le podium que par la faute de Geneviève Jeanson, qui avait ramené le peloton sur elle, alors qu'elle était en échappée et avait quasiment une pédale, peut-être bien les deux, sur le podium. Cette fois, il n'y aura point de fourbe pour empêcher Mme Bessette de s'accomplir. Au contraire. La fidèle, la loyale Manon Jutras sera toute là pour ouvrir la route à Mme Bessette. Ôtez-vous de d'là les petites filles.

C'est quand ça commence ?

Deux semaines plus tard, il ne s'est toujours rien passé dans le Tour de France. Rien depuis le coup de semonce d'Armstrong dans le prologue. Que des non-événements : un contre-la-montre par équipes infirmé par ses nouvelles règles ; Iban Mayo éliminé sur les pavés ; Petacchi pas intéressé. Je pensais que le Tour commencerait hier. Je suis allé le suivre chez un ami qui a une soucoupe. Une chance que j'y suis allé en vélo. J'ai grimpé la Joy Hill pour y aller et la côte du village pour revenir, et c'est le seul vélo que j'ai vu hier.

Lâchez-moi avec l'échappée de 200 kilomètres de Richard Virenque. J'aurais pu vous l'annoncer quand le parcours du Tour est sorti l'automne dernier. L'étape a été dessinée exprès pour lui. Il s'est arrangé depuis le départ pour y arriver assez loin au classement général. À 12 minutes, il ne dérangeait personne. Il avait la bénédiction du peloton. Vas-y mon Richard. C'était le 14 juillet en plus. C'est beau le Tour de France, mais des fois aussi, c'est des grosses ficelles. C'est pompier. Le Tour se décline de plus en plus comme Hollywood et bégaie comme Hollywood. Matrix 2, Matrix 3, Spider-Man 2, Mission impossible 3. Hier c'était Virenque 25. Ben oui, il a roulé 200 kilomètres presque tout seul. Ben oui, à près de 40 km/h. Ben oui. Mais cela faisait l'affaire des favoris. Les Espagnols se réservent pour demain et samedi. Les Français qui auarient pu l'accompagner -- je pense à Moncoutier, Didier Rous, Brochard -- se seraient fait accuser «de-se-tirer-dans-les-pattes-entre-Français-un-14-juillet ».

Je croyais quand même que, derrière Virenque, les favoris se battraient dans le Pas de Peyrol qui n'est pas facile -- je l'ai montré il y a quelques années avec un collègue de La Presse et on n'arrêtait pas de dire : qu'est-ce que les Français viennent faire chez nous ? C'en est pas, ça, des grands espaces ? Et magnifiques en plus -- je croyais donc que le Tour commencerait hier dans le Pas de Peyrol, pas du tout. Il ne commencera pas non plus aujourd'hui. Peut-être pas demain non plus puisque cette première étape pyrénéenne s'arrête à mi-pente du Tourmalet, là où les choses seraient devenues vraiment difficiles. Samedi alors. Remarquez que le tour pourrait se terminer à Paris dans un peu plus d'une semaine sans avoir vraiment commencé. C'est Armstrong qui sera content. Il en gagnera cinq autres comme celui-là.