Le samedi 17 juillet 2004


Style papillon
Pierre Foglia, La Presse

Une jeune femme de 20 ans transparente, spontanée. Un parcours exemplaire. Peut-être un peu petite pour une nageuse, mais ce n'est pas si grave en papillon. Originaire de Pont-Rouge dans la banlieue de Québec, Audrey Lacroix a suivi ses entraîneurs qui rejoignaient le club Camo à Montréal qui est aussi un centre national d'entraînement. Son papa lui a acheté un condo tout près de la piscine au centre Claude-Robillard, elle fréquente le Cégep où elle terminera à l'automne des études en science de la nature. Elle vit - modestement, pas d'auto, pas de folie - elle vit des bourses de Sport Canada et des programmes du sport québécois, $25 000 environ par année, en comptant les crédits d'impôts. Elle est dans l'eau à 6h du matin, jusqu'à 8h et l'après-midi de 16h à 18h30. Tous les jours, sauf le dimanche.

C'était l'avant-veille de a finale. Audrey Lacroix était confiante. Je venais de lui demander ce qu'elle pensait des standards, pas si pires, m'a-t-elle dit. Elle ne doutait d'atteindre celui du 200 mètres papillon. Elle affichait la sereine assurance de la première de classe qui a bien fait ses devoirs. Pourquoi raterait-elle son examen ?

Elle l'a raté.

Elle a raté les deux standards. Celui du comité olympique canadien que dénoncent tant d'athlètes ces jours-ci, accusant le COC de placer la barre trop haute. Mais elle a raté aussi celui, plus facile, de la Fédération internationale de natation. Audrey est partie sur des bases trop rapides. Elle l'a payé dans le dernier 50 mètres. Je dis qu'elle est partie vite, oui et non, aux 150 mètres elle était juste dans les temps. Elle a manqué de ressources pour la dernière longueur de piscine. Elle n'avait pas ( elle n'a pas ) ce chrono-là dans les bras, c'est tout. Sur le plan athlétique, elle n'a donc aucun regret à avoir.

Sur le podium elle avait un pauvre sourire, mais elle n'était pas en sanglots comme les autres qui ont raté leur standard. Et je me suis dis tiens, elle est solide cette fille, solide et lucide. Aussi ai-je été très surpris de lire sa lettre dans La Presse de cette semaine, une lettre dans laquelle elle accuse les gens du Comité olympique canadien d'être des briseurs de rêves.



////////////////////////////////////////

Cette chronique ne se veut pas une réponse à Audrey. Il se trouve que la lettre de la jeune femme véhicule un esprit, une attitude et deux ou trois clichés fort répandus ces jours-ci dans le monde du sport olympique et c'est à cela que je réponds ici.

Audrey commence sa lettre en nous annonçant qu'il n'y aura pas de nageuse canadienne au 200 papillon à Athènes. Cela est dit sur le même ton que si l'on disait : le Canada n'enverra pas d'aide humanitaire au Soudan, ou encore : le Canada manque tragiquement d'infirmière. Hola jeune fille. On compatit sincèrement avec votre peine, mais dans l'absolu, que le Canada ne soit pas représenté dans le 200 papillon à Athènes, en s'en contrefout.

Les athlètes d'élites sont suivis par des entraîneurs, des physio, des psy, auxquels il faudra bientôt songer à adjoindre un prof ''de vie''. Enfermés dans leur routine, ''focussés'' comme ils disent sur leurs objectifs, les athlètes perdent souvent contact avec la réalité. Il faut avoir perdu un peu le sens de la réalité pour nous annoncer solennellement que le Canada ne sera du 200 mètres papillon.

Je suis de ceux qui tiennent le sport pour une culture. Je trouve essentiel que des jeunes filles se lèvent tous les matins pour aller nager très vite en style papillon, je trouve les nageuses aussi utiles dans une société que les poètes, ou les médecins. Je déplore seulement la tendance des athlètes d'élite à oublier qu'il y a aussi des poètes et des médecins.

Je suis de ceux qui trouvent important que la société donne aux athlètes d'élite les moyens de performer. Je suis de ceux qui disent que le Canada devrait prendre modèle sur l'Australie, l'Allemagne, l'Angleterre. Je suis de ceux qui déplorent que le Canada soit toujours le cul entre deux chaises, toujours à hésiter entre sport de masse et d'élite, et finit toujours par privilégier le premier au détriment du second .

Mais en même temps que je trouve primordial d'aider les athlètes d'élite, je déplore le petit discours moral qu'on leur met dans la tête. Les athlètes se trompent sur la place qu'ils tiennent dans la société. On ne demande pas d'être l'inspiration de la jeunesse. On ne leur demande pas de défendre des valeurs. Ils ont du sport une vision dangereusement ''régénératrice''. Le sport n'est ni bon, ni mauvais. C'est une culture. Vos performances parlent d'elles-mêmes, se suffisent à elles-mêmes. Chacun les reçoit comme il l'entend, personnellement, et cela vous fera peut-être sourire, je les reçois comme des œuvres . Je vous répète que le sport est une culture. Pas une putain de morale.

Je déplore qu'on vous prépare si mal mentalement. Bien sûr la déception de ne pas aller à Athènes. Mais ne dites pas que vous avez fait cela pour rien, ça c'est malade dans la tête. Vous vous êtes accomplis à travers votre entraînement, à travers vos performances. Vous êtes le résultat de quatre ans d'entraînement, deux entraînements par jour. Vous êtes une œuvre. Vous n'irez pas à Athènes, pis ?

Athènes n'est pas un jamboree. Il faut bien tirer une ligne quelque part. Vous vous retrouvez du mauvais côté de la ligne et… et je ne comprends pas. Si durs à la souffrance, et si vite désemparés. Toujours à nous parler de vos valeurs, mais le stoïcisme n'en fait manifestement pas partie. Durs au mal, mais pas forts dans les vraies épreuves. Et parfois même, un peu cheaps.

Oui il y a quelque chose de cheap dans les lamentations de athlètes qui sont en train d'inventer ''un droit d'aller à Athènes'', comme il y a un droit à l'éducation gratuite, à la santé. À les entendre, le Canada est terre de martyrs pour l'élite sportive. Pour le fun, ils devraient consulter les standards de sélection des Allemands, de Anglais, des Australiens. Qui sait si en se comparant ils ne trouveraient pas à se consoler.

Nicolas Macrozonaris et Perdita Felicien disaient l'autre jour qu'il faut envoyer aux Jeux les jeunes espoirs pour les initier. Les initier à quoi ? Qu'est-ce qu'un jeune sprinter qui se fera sortir en première vague, apprendra de plus qu'à un championnat canadien? Il apprendra à échanger des pins au village olympique ?

'' Ils étaient où les gens du COC qui a établi les standards quand ma tête voulait exploser, quand l'acide lactique paralysaient mes bras en finale du 200 papillon ?'' demande Audrey Lacroix dans sa lettre. Dans la même veine démagogique, Kevin Sullivan, un des leaders de l'équipe canadienne d'athlétisme (1500 mètres), affirme '' qu'il y aura, à Athènes, des bureaucrates en vacances aux frais de la princesse dans des hôtels chics pendant que des athlètes qui crèvent de faim seront restés au Canada parce qu'ils n'auront pas réussi les standards.'' Snif, snif.

Pour répondre à votre question Mlle Lacroix, je ne sais pas où étaient les gens du COC pendant que vous nagiez. Mais le lendemain matin, j'ai pris la peine de vérifier : ils étaient à la job. Vous ?

Quant aux fonctionnaires du sport qui se vautrent dans les grands hôtels, le cliché renvoie à une époque résolue. Kevin Sullivan est bien placé pour savoir que ce sont, aujourd'hui, les stars de l'athlétisme mondial qui séjournent dans les suites des palaces aux frais de Nike et Adidas.