Le samedi 18 septembre 2004


Toto m'attendait pour mourir
Pierre Foglia, La Presse

Ce que j'ai retrouvé avec le plus de plaisir à mon retour d'Athènes ? Le climat. Notez-la, celle-là. Vous la resservirez en mars, quand je bougonnerai sur l'hiver. Relisez, monsieur le chroniqueur, ce que vous écriviez dans l'exaltation d'un septembre flamboyant... Je n'en pouvais plus du ciel grec. Non seulement il est bleu, mais les nappes de chaleur qui s'y suspendent sont bleuâtres aussi. Il me faut des nuages. Il me faut de petites laines a mettre le soir pour lire sur la galerie. Je ne pourrais pas vivre très longtemps dans ce pays chauffé à blanc. Il me faut m'arrêter en haut de la montagne de Jay pour enfiler mon coupe-vent avant de basculer vers Montgomery. Qu'est-ce que j'aime pédaler mes petites montagnes vertes depuis que j'ai goûté à la gargouille du paysage grec ! Qu'est-ce que j'aime mes petites routes d'ombre après un mois d'éblouissements méditerranéens !

Ce que j'ai retrouvé avec le plus de plaisir ? Mes chats, bien sûr. Toto Bine m'attendait pour mourir. Je reportais la chose depuis des mois. C'est quand je l'ai vu, le jour de mon retour, à la pluie battante, cloué dans le gazon, incapable de se rendre à l'appentis pour s'abriter. Je suis allé le ramasser. Allez viens, Toto, c'est fini. Dans l'auto, je n'ai pas arrêté de lui parler.

De la mort, bien sûr. Je lui disais platement que mourir c'est comme aller dans une ville dont aucun voyageur ne revient jamais, ce qu au fond ne change rien puisque, de toute façon, quand on va dans les villes dont les voyageurs reviennent, on ne les reconnaît pas. Tiens, moi par exemple, j'ai connu mille voyageurs qui revenaient d'Athènes, du tout ce qu'ils m'ont dit je n'ai reconnu que l'Acropole, comme si la ville n'était que cette colline plantée de colonnes et de frontons.

Tu m'écoutes toujours, Bino ? (Je savais bien que non, cela fait quelques années qu'il est sourd.). Vous restez là pendant que je le pique ? m'a demandé la vet. Je n'y tenais pas. Elle est venue me chercher 10 minutes après dans la salle d'attente.

C'est fait.

Ma fiancée l'a enterré au pied du muret de pierre. Cela m'étonne toujours de la voir faire des trous si peu profonds pour enterrer nos chats. Je foirais plus creux, si c'était moi. Picotte non plus ne ne trouvait pas que c'était une bonne idée, cette mort à fleur de terre. Réprobateur, il observait la scène de la galerie. C'est lui l'ancêtre, maintenant. C'est lui le prochain aussi. Il m'a regardé avec un air de défi : ou toi !

Ou moi, c'est vrai.

On est si peu de chose. Je pense au monsieur de Saint-Jean qui s'est empoisonné en mangeant des amanites vireuses, un des rares champignons mortels de nos bois. J'arrivais justement, ce matin, d'aller en cueillir un plein panier dans une ancienne prucheraie difficile à marcher. Pas des amanites. Les dernières chanterelles, pas mal fripées, les pieds de mouton si savoureux, des bolets bleuissants, quelques oronges étonnamment tardifs, et des bolets jaunes insignifiants au goût, mais qui fond du volume dans la poêle.

Lis ça ! Ma fiancée m'a mis La Presse sous le nez. J'ai lu le papier de mon collègue Pierre Gingras à la une d'hier. Les bras me sont tombés. Ce champignon vénéneux, c'est le tout premier qu'on apprend à reconnaître avant d'aller dans le bois. Ce blanc laiteux, comment se tromper ? Et puis c'est pas comme ça qu'on va aux champignons. On ne va pas aux champignons en général, en se disant qu'on les triera après. On va à ce qu'on connaît. On va aux chanterelles. On va aux pieds de mouton, les deux si particuliers qu'on ne pas se tromper. On va aux bolets, qui ne sont pas toujours bons mais qui ne sont jamais mauvais (les bolets n'ont pas de lamelles sous le chapeau, mais une sorte de mousse spongieuse).

Anyway, je peux bien vous dire n'importe quoi, c'est comme la peur des serpents, cela ne se raisonne pas. J'imagine que cet accident va vous rendre encore plus méfiants et qu'on ne vous reverra pas de sitôt dans le bois, votre petit panier à la main...

Good !

L'obscénité de l'intimité

Si elle n'est pas passée de mode, les Français ont une expression -- triviale mais assez coup de poing -- pour décrire quelqu'un qui est en train d'atermoyer, de « passer par Sherbrooke pour aller à Paris ». Il disent : tortiller du cul pour chier droit.

Arrête de tortiller du cul pour chier droit : arrête de faire des détours.

Depuis cette semaine, on sait chez nous qu'il est possible de tortiller du cul toute sa vie ET de chier droit, du moins drette là. Devant tout le monde. Il s'en trouve paraît-il pour applaudir. Au nom de je na sais quelle sincérité, de quel parler-vrai, plutôt de quel faire-vrai.

Cela dit, et sans chercher d'excuses à cette femme saoule, il faut bien reconnaître que chier en public est dans les manières du temps. Pensez à ce Jeff Fillion. J'y reviens une fois de plus, ou plutôt je n'en reviens toujours pas, et n'en reviendrai jamais, tout ce que je sais de ce monsieur, c'est qu'il a salué la mort d'un grand comédien en imitant des bruits de pets dans le micro. Si ce n'est pas là chier en public... Que des dizaines de milliers de personnes soient descendues dans la rue pour le défendre, confondant ainsi la liberté d'expression et le droit des étrons à puer, ne fait qu'ajouter à la pestilences universelle.

Et il est bien d'autres merdes qui, pour être plus soft, n'en empestent pas moins. Je suis tombé cette semaine sur un talk-show de fin de soirée animé par une sorte de gnome à pinch, Josélito Machin, qui recevait ce soir-là une chanteuse du quotidien, le genre qui chante « viens pas chez nous j'ai pas eu le temps de faire le ménage ». Je crois bien que je préférerais me colleter avec Jeff Fillion que de m'asseoir sur le sofa où ces deux-là se congratulaient, le gnome surtout, qui se trémoussait, minaudait, s'extasiait, je me suis dit ce n'est pas vrai, il l'aime tant, il va lui faire un enfant devant nous...

Nous vivons des temps obscènes. Je ne dis pas cela parce qu'une vieille scato a chié sur le tapis d'un motel. Je dis cela parce que la téléréalité. Je dis cela parce que Josélito. Je dis cela parce que des dizaines de milliers de voyeurs qui sont descendus dans la rue pour défendre Jeff Fillion. Je dis cela parce que l'obscénité de l'intime. Quand l'intime n'a d'autre projet de révéler l'intimité de l'intimité. L'intime sans transsubstantiation. Sans transformation de la substance. Et comment pourrait-il y avoir transformation de la substance quand la substance n'est que merde.