Le mardi 21 septembre 2004


Un prix Nobel pour handicapés ?
Pierre Foglia, La Presse

Mettons ça clair, je n'aurai jamais le prix Nobel de physique. Il y a à cela une bonne raison, je ne suis pas très intelligent.

Mais si, mais si, protestez-vous. Vous êtes gentil. Mais comme vous êtes au moins aussi con que moi, cela ne me rassure pas vraiment. Et cela ne me conforte pas plus quand vous m'expliquez qu'il n'est pas une mais des intelligences et que de ne pas avoir celle d'élaborer des systèmes mathématiques n'est pas si grave. Je crains hélas de ne pas avoir non plus l'intelligence de fonder un système philosophique. Ni celle de dessiner des ponts. Ni celle de résoudre des situations complexes. L'intelligence d'écrire, alors ? Pas vraiment non plus. Si je l'avais, j'aurais déjà écrit quelques romans. Je n'aurai jamais le Nobel de littérature, ni le Goncourt, ni le Pulitzer. J'ai l'ai d'en parler légèrement, j'en suis pourtant très fâché. Fâché comme un peut l'être d'une grande injustice.

C'est donc l'affaire d'intelligence. Et l'intelligence est essentiellement affaire de cerveau. De matière grise. De cortex. D'hypothalamus, de cervelet, je ne sais pas trop (je n'aurai jamais le Nobel de médecine non plus). Mais ce que je sais, c'est que si on compare le cerveau d'un prix Nobel de physique et le mien, c'est effrayant, l'injustice est flagrante. Le sien est gros. Le mien est petit.

Je suis handicapé du cerveau. C'est clair. Mais est-ce une raison pour qu'on ne me donne pas le prix Nobel ? Absolument. Est-ce qu'on empêche les handicapés de participer aux Olympiques et de gagner des médailles olympiques ? Oui. Par contre, on leur organise des jeux olympiques spéciaux, que l'on appelle Paralympiques. Para qui signifie, en grec, à côté de.

Sur le même modèle que les Paralympiques, j'exige donc qu'on institue un Paranobel de physique spécialement pour les cons. Et un Paranobel de littérature. Et un Parangoucourt. Et un Parapulitzer. Y a pas de raison. Si on donne une médaille olympique de course à pied à un cul-de-jatte, je ne vois pas pourquoi on ne donnerait pas un prix Nobel à un con.

Vous allez me dire : oui, mais les cons ne sont pas tous cons pareil. Je vous remercie de l'avoir noté, mais rien n'empêche de les classer en différentes catégories. Et qu'on remette un Paranobel de physique, ou de littérature, par catégorie. Encore une fois, comme aux Paralympiques, où les athlètes sont classés selon leur handicap : cérébral, visuel, moteur, etc. Avec des sous-catégories à l'intérieur de chaque handicap. Prenons par exemple les handicapés moteurs. Ils sont classés selon leurs capacités fonctionnelles -- force musculaire, amplitude, coordination -- Dans 10 Catégories Différentes pour la seule nage papillon ! Chacun sa médaille, évidemment.

Finalement, en prenant en compte le Jeux Olympiques, les Jeux paralympiques, les Jeux gais, les Jeux ceci cela, les championnats pour vétérans, et les matinées olympiques spéciales pour obèses du Centre Claude Robillard, finalement, il faut vraiment le faire exprès pour ne jamais gagner de médaille dans le 100 mètres papillon.

Il y a que les cons, finalement, à qui on ne donne pas de médailles. On leur permet de signer des chroniques, mais pas pareil. C'est pas le même feeling que de monter sur un podium.

Pour ses travaux sur le Luxembourg, point d'achèvement de la civilisation électroménagère, le Paranobel de la paix est remis cette année à Pierre Foglia.

Tadam.

Pour en finir avec les jeux paralympiques

Mais Chantal Petitclerc, me direz-vous ? Sous toute réserve, je vous dirai qu'elle n'est pas si loin de mes positions sur le sujet. Assurément contre ces Jeux paralympiques et pour leur intégration aux Jeux olympiques. L'intégration de quoi, au juste ?

Il faudra le lui demander.

En ce qui me regarde, je veux bien une course en fauteuil roulant au programme des vrais Jeux. C'est pas plus bête que le vélo sur piste, ou le patinage courte piste. Que le 800 mètres en fauteuil roulant, par exemple, devienne une discipline olympique, j'en suis. Une condition : qu'elle soit ouverte aux non handicapés. Qu'elle devienne une épreuve sans astérisque pour signifier je ne sais quelle singularité.

Ce qui n'empêcherait pas, par ailleurs, des championnats mondiaux pour handicapés, comme il y a des jeux pour les pompiers, pour les gais, pour le vétérans. Mais je ne vois pas pourquoi cette cour des miracles devrait être absolument olympique.

Pour en finir avec Athènes

Après la Joy Hill, juste avant d'arriver au premier cimetière, dans le plus beau de mes collines, la double ligne jaune de la route est hachurée de petites barres obliques sur 300 mètres pour faire croire que c'est une route grecque. En Grèce, les doubles lignes jaunes sont hachurées comme ça. Air Canada a tourné là une publicité pour les Jeux -- pas géniale, d'ailleurs, celle du coureurs cycliste qui renverse la bouteille d'huile sur sa roue arrière -- et chaque fois que je passe, je repense à Athènes. C'est drôle ce qui surnage un mois après. Me revient toujours le même flash. Perdita. Perdita qui se relève et qui ne se précipite pas vers la Russe qu'elle a fait tomber. Perdita qui ne pense pas d'abord et avant tout à s'excuser. Ce qu'eût fait n'importe qui. Je veux dire n'importe qui qui ne serait pas un athlète de haut niveau.

Des fois j'hayiiiiis les athlètes avec la même ferveur que j'aime le sport. Ils se prennent pour des modèles, ce sont des grosses pathologies.

Le bonheur

Dans deux ans, rapporte le Courrier International, qui reproduit un article de The Independent de Londres, dans deux ans, on aura mis au point un vaccin contre la toxicomanie. On pourra alors vacciner les enfants contre la cigarette, la cocaïne, l'hérïne, comme on les vaccine contre la rougeole. Comment agit le vaccin ? En supprimant le sentiment d'euphorie que procure la dope.

Petite question aux biochimistes : êtes-vous bien certains que le sentiment d'euphorie que procure la dope n'est pas le même sentiment d'euphorie que procure la confiture de mirabelles ? Que procure la petite route que je suis le seul à connaître qui relie Highgate Center à la douane de Philipsburg ? Democraty de Leonard Cohen chantée par Judy Collins ? Les couinements d'une portée de jeunes chiots qui dévorent le ventre de leur mère ? Ma fiancée dans sa robe bleue ? Êtes-vous bien certains que votre connerie de vaccin n'est pas contre l'euphorie en général ?

Parce qu'alors ce serait une plus grande invention encore. Vous viendriez d'inventer le vaccin contre le bonheur. Comme dit Desjardins, pas de bonheur, pas de malheur. Je vous félicite