Le jeudi 23 septembre 2004


La fin de l'innocence
Pierre Foglia, La Presse

Rien que cette année dans le vélo : l'affaire Cofidis et les aveux de David Millar, champion du monde en titre du contre-la-montre...

Une année normale dirons-nous. Ben oui, ben oui...

Tous dopés ? Je ne dis pas cela. Je distingue encore entre les sûrement et les possible. Entre la grande masse des susceptibles de et les improbables. Pour ce qui est des hautement improbables et les sûr que non, mes dix doigts suffisent...

S'il existe une contre-culture sportive, Tyler Hamilton en est un des chefs de file... S'il se confirme qu'il s'est bien dopé par transfusion sanguine, Tyler Hamilton n'est pas un tricheur de plus. C'est la fin de ce qui restait d'innocence dans le vélo, si ce n'est pas dans le sport tout entier. Une considérable désillusion...

Le dopage par transfusion sanguine a remplacé l'EPO depuis trois ou quatre ans, depuis que l'EPO est détectable. Comme l'EPO, la transfusion apporte un supplément de globules rouges (et d'oxygène dans les muscles). Deux sortes de transfusion, l'hétérotransfusion par laquelle on s'injecte le sang d'un donneur compatible, et l'autotransfusion, beaucoup plus compliquée qui consiste à se réinjecter son propre sang. L'autotransfusion est indétectable. Mais une méthode mise au point en Australie et testée pour la première fois aux Jeux olympiques d'Athènes permet de détecter l'hétérotransfusion. Tyler Hamilton est le premier cas positif.

Un lien ? Toute l'équipe de cyclisme sur piste américaine des Jeux de Los Angeles était transfusée...

Une joke ? Sauf qu'elle est vraie. En 1984 aux Jeux de Los Angeles, le Finlandais Marti Vainio, médaillé d'argent de 10 000 mètres est trouvé positif aux anabolisants. Un coureur de fond qui prend des anabolisants comme une sprinter ? Les médecins du CIO se grattaient la tête. Vérification faite, on a déclaré qu'il s'était transfusé le sang d'un copain qui... prenait des anabolisants. Une jolie métaphore du sport moderne !

Ton sang c'est bien du O universel comme le mien ? M'en donnerais-tu un quart de litre que je m'en fasse une bouillie de globules rouges à la centrifugeuse, je cours le marathon de New York la semaine prochaine...

Ce serait avec plaisir mon vieux, mais je fume du pot, ça va paraître au contrôle...

Crisse de drogué !

LE VRAI MONDE

Une victoire du vrai monde, ont commenté les adéquistes après avoir fait élire un des leurs dans Vanier.

Le vrai monde ? Il y aurait un peuple vrai et un peuple faux ?

J'ai toujours pensé le peuple comme un nombre. Un nombre trituré par les politiciens pour remplir leurs urnes. Désiré par les artistes pour remplir leurs salles. Méprisé par les intellectuels parce que justement c'est un grand nombre. C'est en s'excluant de ce nombre qu'on devient snob ou qu'on rejoint l'élite. C'est un nombre de gauche quand il descend dans la rue pour dire non Bush. C'est un nombre de droite quand il élit Bush. Un nombre narcissique à force d'être photographié par les sondages. Un nombre autrefois silencieux, aujourd'hui bruyamment autosatisfait tant on lui prête du « gros bon sens ». Un nombre divin, vox populi... Un nombre qui a parfois la noblesse d'un audience, parfois la vulgarité d'une cote d'écoute. Un nombre que l'on confond souvent avec la démocratie. Un nombre qui est la démocratie sur la place Tiananmen. Un nombre qui varie. Un nombre qui peut aussi bien exprimer une solidarité qu'une ruée carnassière.

Un nombre pas du tout entier malgré les apparences. Un nombre ni faux, ni vrai, c'est à cela que je voulais en venir, le vrai monde n'existe pas à l'état naturel. Quand il existe, c'est qu'il y a une salope quelque part qui fabrique exprès du faux. Alors par réaction le monde se dit, se croit, se pense, se veut vrai. Alors le pire peut arriver. Des Hutus contre des Tutsis. Des Hitler contre les Juifs. Des hordes contre les citoyens. Un lynchage au lieu de la justice. Un plébiscite au lieu d'une élection.