Le samedi 25 septembre 2004


L'éthique
Pierre Foglia, La Presse

J'avais rendez-vous l'autre jour à l'École nationale d'administration publique (ENAP), où j'étais invité par le laboratoire d'éthique à répondre à un questionnaire. Ce laboratoire étudie les problèmes reliés à l'éthique sociétale, l'étude des valeurs et des principes qui fondent notre société.

Le laboratoire d'éthique est situé rue Hemi-Julien. J'arrive là en vélo. On me barre l'entrée. Vous ne pouvez pas entrer avec votre vélo, il y a un parking exprès.
Oui, mais je n'ai pas de cadenas...
On peut vOus en prêter un, me propose le gardien.

Je lui explique que je n'ai pas de cadenas parce que la dernière fois que j'en avais un, on l'a cisaillé et mon vélo a été volé. Depuis, j'évite de me déplacer en vélo en ville, mais quand je l'ai, désolé, j'entre dans les édifices avec mon vélo ou je n'entre pas du tout. Le gardien me fait signe qu'il n'y peut rien. Obligeamment, il accepte de me le garder cinq minutes dans sa guérite pendant que je vais avertir la personne qui m'attend (le téléphone du laboratoire d'éthique était en dérangement ce matin-là).

Je rejoins finalement la dame, je lui dis écoutez, c'est pas grave, soit nous procédons à l'entrevue à l'extérieur, soit nous remettons ce rendez-vous à une date ultérieure.

In:tervient alors le directeur général du laboratoire d'éthique sociétale, M. Yves Boisvert. Je trouve que ça conunence à prendre des proportions un peu dramatiques, j'ai l'air de l'emmerdeur total, alors que je fais du bénévolat. C'est eux qui veulent quelque chose, pas moi. Et conune je viens de le dire, je suis prêt à donner l'entrevue à l'extérieur, ou à revenir en auto un autre jour. Bref, je ne suis pas fâché du tout. Bref encore, y en a pas, de problème.

Et c'est exactement ce que me dit le directeur général du laboratoire d'éthique: y en a pas, de problème. Il descend avec moi. On récupère mon vélo. On sort. On fait le tour par la rue Laval. On entre par la porte arrière de l'édifice, que le directeur général du laboratoire d'éthique sociétale ouvre avec sa carte magnétique et, mon vélo à l'épaule, nous montons au deuxième étage, dans les locaux du laboratoire d'éthique sociétale.

Et là on a parlé d'éthique sociétale..
Un sujet bien intéressant mais aussi, vous me voyez venir, bien théorique.

La famille

Je ne suis pas un honune de famille, mais c'est seulement par inaptitude, par incapacité. J'aurais bien aimé. Papa, maman, les enfants.

Vous croyez que je niaise ? Pas vraiment.

J'ai en tête des voisins que je cite en exemple depuis 15 ans. J'en parle toujours avec fierté, comme si j'étais pour quelque chose dans leur réussite familiale. J'en parle avec pittoresque, comme d'une curiosité dans le paysage, je m'en vante presque, hey, je connais une famille qui fonctionne à côté de chez nous. Depuis 15 ans que je répète ça.

Rien de compliqué. De bons parents. Cinq enfants. Quatre garçons, deux à l'université, un en littérature, a-t-on idée quand on a des parents agriculteurs, un autre qui fait médecine vétérinaire à Guelph. Les jumeaux sont au cégep à Saint-Hyacinthe. La fille s'est mariée cet été avec un coiffeur français qui tient salon à Sherbrooke. Réjeane, la mère, une grande Gaspésienne, mène la ferme laitière comme un chalut au grand large, en tenant tout le monde occupé sur le pont. Le père, Gaby, est à l'étable quand il n'est pas aux champs, et quand il n'est ni à l'une ni aux autres, alors c'est qu'il est à son garage, à réparer la machinerie. C'est là que je l'ai trouvé. Je voulais du sirop d'érable. Bonjour Gaby. Réjeane est là ?
Réjeane est partie.
Quelque chose dans le ton me disait qu'elle n'était pas partie faire des courses à Cowansville. Partie ?
Partie. On s'est séparés en juillet après le mariage de Noémie (leur fille). Elle te la faisait à combien ?
Quoi ?
La can de sirop.
Il avait déposé les quatre cans sur le comptoir de la cuisine et les poussait vers moi avec les paumes de ses deux mains ouvertes, sans me regarder.

La Question

J'aimais bien Stéphan Bureau. Je le trouvais intelligent. Son brutal retrait des médias, cette coupure avec ce qui semblait être toute sa vie me l'avait rendu encore plus sympathique. Il lui arrivait d'en mettre trop, là il n'en mettait plus du tout. Parlez-moi d'un pied de nez à ceux-là qui le prenaient pour un indécrottable m'as-tu-vu.

Bien sûr, il allait rebondir un jour. Tout aussi affûté. On le retrouverait avec plaisir dans une émission culturelle, il ferait sûrement une Christiane Charette de lui-même, et ce serait encore mieux que Charette.

Mais voilà que nous arrive une mauvaise nouvelle. Voilà qu'il est tombé dans la soupe ésotérique. Voilà qu'il a rejoint le troupeau des zozos qui attendent des signaux du cosmos pour la suite des choses. Voilà qu'il s'égare dans des séminaires de « connaissance de soi ». A un de ces séminaires, nous rapporte-t-on, il a été radiographié par huit proches qui ont chacun répondu à 250 questions le concernant.

Vous imaginez 250 questions sur n'importe quoi ? Sur n'importe qui ? Moi, quand j'ai posé cinq questions dans une entrevue, je ne sais plus quoi demander. Deux cent cinquante questions, c'est des questions en ta... dirait Moose Dupont.

Me permettez-vous de vous en poser une 251e, jeune homme ?
Pensez-vous parfois à la mort ? Mais ce n'est pas la question. La question, c'est: est-ce que cela vous faire rire ? Et puis tiens, une dernière: Avez-vous lu Thomas Bernhard ? Vous devriez.

MAXiiiiME

Voilà bien longtemps que je vous ai donné des nouvelles de mon ami Maxiiiime. Il travaille dans un IGA comme emballeur. Il suit un cours de création littéraire, ce doit être au cégep, sa dernière année. Il doit bien avoir 19 ans, depuis le temps. Dieu sait qu'il n'a pas besoin de ce genre de cours. Personne, d'ailleurs. C'est un peu ce qu'il me dit dans son dernier courriel... l'autre jour il fallait lire de la poésie qu'on a écrite devant tout le monde et c'était très déprimant d'écouter toutes ces filles --- les cours de création sont pleins de filles --- on dirait qu'elles écrivent toutes le même poème: je t'aime mais tu m'aimes pas / pourquoi c'est comme ça ? / Je suis si seule / Ô douleur de mon coeur... En gros.
Mon ami Olivier et moi, on s'est commandé des livres de Bukowski sur le Net.